Une espèce en voie de disparition : les disciplines à petits effectifs

Publié le : 19/03/2013


Une espèce en voie de disparition :
les disciplines à petits effectifs

par Anne-Marie Bernardi, MCF de langue et littérature grecques, université d’Aix-en-Provence

Le passage des universités aux RCE, qui a élargi le cercle des disciplines en danger,
menace à terme l’existence de doctorants et donc de futurs chercheurs. La nécessité
d’une gestion nationale, soulignée par la CP-CNU, pourrait prendre
la forme d’un contingent de postes, attribués sur la base d’un état des lieux,
dressé par le CNU, des disciplines en danger.

On les nomme disciplines à petits effectifs
ou disciplines minoritaires, on sait
que certaines, comme les langues anciennes
ou les langues dites rares, sont menacées
depuis longtemps. Le mouvement de déclin
qui les touche s’est accéléré
avec la loi LRU : bien des
universités, contraintes par
leurs difficultés budgétaires,
ont choisi de fermer des
filières à petits effectifs,
considérées comme coûteuses,
ou de les contraindre
à des fusions parfois acrobatiques
avec d’autres
filières, pour permettre le
redéploiement des postes
vers des disciplines estimées
plus porteuses. 

Avec le passage de toutes
les universités aux RCE, le
cercle des disciplines en
danger s’est élargi : désormais, ce sont la
plupart des filières de langues qui sont menacées
(à l’exception de l’anglais et du chinois).
D’autres disciplines, comme la philosophie,
se retrouvent parfois localement dans
la même situation que les disciplines à faibles
effectifs, soumises elles aussi à la variation du
nombre des étudiants et aux restrictions budgétaires.
Si les SHS sont les plus touchées,
certaines sciences « dures », en général théoriques,
sont également concernées. 

Risques graves pour la formation
et la recherche 

 

Les risques que fait peser cette évolution,
autant sur la formation que sur la recherche,
sont évidents. Les conséquences en sont
déjà perceptibles.
La réduction de l’offre de formation dans
ces disciplines est engagée, ce qui renforce
les disparités territoriales : les étudiants désireux
de suivre un cursus dans certaines
filières doivent aller faire leurs études dans
une université où ces formations minoritaires
sont encore assurées ou renoncer. Certaines
formations, comme le portugais, sont
déjà en voie de disparition. À terme, c’est le vivier des diplômés dans certains cursus qui
risque de se tarir. Or il ne s’agit pas de disciplines
secondaires, que l’on pourrait sacrifier
sous prétexte qu’elles ne permettraient
pas l’insertion professionnelle : outre la solide
formation générale qu’elles
donnent et qui permet
l’adaptation à des profils
divers, elles ont souvent pour
débouchés les concours de
l’enseignement. Or on sait
que, dans certaines matières
(lettres classiques et
modernes, mathématiques…),
le manque d’étudiants
est dramatique et le
nombre de candidats est parfois
inférieur aux nombres
de postes mis au concours.
En outre, la réforme du
CAPES envisagée va vider les
masters recherche qui risquent
de disparaître dans des disciplines à
effectif réduit. À terme, c’est l’existence même
de doctorants et donc de futurs chercheurs
qui est en question : certains pans de la
recherche, dans ces disciplines qui sont loin
d’être marginales, vont s’étioler voire disparaître. 

Déjà, la recherche est menacée dans certaines
universités, du fait de l’isolement des
enseignants-chercheurs, qui se retrouvent
dans des équipes exsangues, si elles existent
encore. Les conditions d’exercice se sont
considérablement dégradées : les disciplines
minoritaires sont sous-représentées dans les
conseils centraux des établissements et n’ont
pas la possibilité de défendre leur position,
voire leur existence. Les chances, d’obtenir
localement un CRCT, une promotion, sont
minces dans ces conditions. La nécessité
d’imaginer des stratégies complexes pour
défendre la survie de leurs enseignements ou
de leurs équipes dévore une bonne partie du
temps et de l’énergie que les enseignants-chercheurs
voudraient pouvoir consacrer à
leur recherche. 

Il faudrait des mesures rapides pour enrayer
ces évolutions, mais le projet de loi qui sera prochainement présenté au Parlement n’en
prend pas le chemin. Au niveau des établissements,
quels que soient les statuts adoptés
pour les regroupements d’universités envisagés,
les arbitrages ont toute chance d’être
défavorables aux disciplines minoritaires :
les suppressions de postes, de filières, vont
se multiplier. Le groupe de travail qu’a mis
sur pied la CP-CNU, pour réfléchir à l’avenir
des disciplines à petits effectifs et faire des
propositions, met en évidence la nécessité
d’une gestion nationale, qui pourrait prendre
la forme, par exemple, d’un contingent national
de postes, attribués sur la base d’un état
des lieux, dressé par le CNU, des disciplines
en danger. 

Pour éviter l’extinction de la formation et
de la recherche dans ces secteurs, le ministère
et la CPU doivent entendre le cri
d’alarme lancé par les sociétés savantes et
prendre en compte les analyses et propositions de la CP-CNU.