Tour de vis et pilotage

Publié le : 26/11/2009

Tour de vis et pilotage

La politique de la Recherche du MESR est de plus en plus marquée par la double volonté d'un assujettissement de la communauté scientifique à des objectifs de rentabilisation immédiate de la recherche et d'un pilotage de la recherche selon des axes scientifiques jamais décidés par la communauté mais dictés par une idéologie marchande. Cette politique commune à l'ensemble des pays européens participant au processus de Bologne et à la stratégie de Lisbonne oriente la recherche dans un souci de compétitivité économique et la place sous l'influence des grandes entreprises, à l'encontre des valeurs du service public.

Quelques éléments récents éclairent (s'il en était encore besoin) cette politique.

La Stratégie Nationale de Recherche et d'Innovation présentée par V Pécresse le 16 Octobre 2009 engage selon 29 projets les universités et les organismes de recherche dans la valorisation de la recherche publique et sa mise à disposition aux intérêts économiques immédiats du pays. Notons au passge que ni les syndicats, ni les instances scientifiques n'ont été consultées. Pas plus que le Parlement bien qu'il s'agisse d'une stratégie nationale.

Un aspect essentiel est l'orientation « utilitaire » de la recherche : doter en capital des fondations ou des « sociétés d'accélération du transfert de technologie », donner comme objectif à près de la moitié des propositions le développement de « démonstrateurs technologiques » sont deux exemples
de subordination de la recherche à la filière industrielle.

Les trois priorités scientifiques (Santé, bien-être, alimentation et biotechnologies Environnement et écotechnologies - Information, communication et nanotechnologies) éliminent (faut il s'en étonner?) le secteur des Sciences Humaines et Sociales. Le discours d'ouverture du CDHSS de V. Pécresse confirme sa vision réductrice de ce secteur : prestataire de service, subordonné aux sciences dures.

Un dernier élément (qui ne figure pas dans la SNRI mais auquel les collègues sont confrontés) : les stages en laboratoire des M2 Recherche doivent être rémunérés, bien qu'aucun crédit de fonctionnement supplémentaire ne permette effectivement de mettre en oeuvre ce changement de règles dans les maquettes. Quels laboratoires pourront payer les étudiants? Ceux qui ont des contrats avec des entreprises. Exit la recherche fondamentale. Exit les SHS.

Pour que cette politique de recherche fonctionne sans entrave, il faut réduire au silence la communauté scientifique. Les attaques contre le CNRS par exemple et sa restructuration en sont des éléments. Le décret organique récemment publié supprime au CNRS sa capacité d'évaluer la qualité et la pertinence des recherches en son sein, en confiant les évaluations aux responsables nommés par le pouvoir politique de l'AERES. Il entérine l'organisation du CNRS en 10 instituts et la disparition des structures chargées de mettre en place des programmes interdisciplinaires. Dans le même registre, V Pécresse a rappelé la primauté accordée aux Alliances, structures sans élus, pour superviser l'action des établissements ou des organismes, ce qui rend subsidiaire le rôle de leurs conseils scientifiques. Cette volonté de structuration du paysage se complète par les fondations scientifiques (RTRA par exemple) où les élus sont très minoritaires.

Enfin, le financement de la recherche fait la part belle au financement sur projets (par le truchement de l'ANR), renforçant le pilotage sur le court terme même si les programmes blancs ont été réévalués. Par ailleurs la part consacrée au soutien de la recherche privée au détriment de la recherche publique est énorme. Aujourd'hui, le Crédit Impôt Recherche représente un investissement pour l'État de l'ordre de 4 milliards d'euros par an en créances fiscales, (il a plus que doublé en trois ans). Pour donner un ordre de grandeur, recruter 60 000 personnes de plus dans l'enseignement supérieur et la recherche, en dix ans, coûterait 300 millions de plus par an. Cela est à mettre en regard des crédits de base des laboratoires, qui ne cessent de regresser en volume depuis 2002.

Aux antipodes de cette vision utilitariste de la recherche, c'est bien d'une recherche publique scientifiquement libre que nous devons nous doter. Cela suppose un effort pluriannuel en crédits récurrents et en postes, associé à une véritable revalorisation des carrières. A l'opposé des primes qui mettent en concurrence les laboratoires entre eux, les enseignants-chercheurs et les chercheurs entre eux, c'est d'une revalorisation pour tous dont nous avons besoin. La recherche se mène en équipe, nécessite des collaborations au sein de la communauté scientifique et doit repousser la mise en concurrence délétère.