[Article du dossier "Pédagogie et didactique à l'université : des questions vives" de la revue Former des Maîtres n°593 de mars 2011]
- par Jean Fabbri, Université de Tours
Jean Fabbri, ancien secrétaire général, a coordonné en septembre 2010 un dossier sur les dimensions pédagogiques de l’enseignement supérieur dans le mensuel du SNESUP. Il revient ici, sur quelques « évidences » et quelques interrogations.
Pour la première fois depuis de longues années le mensuel du SNESUP a consacré en septembre dernier son dossier central aux dimensions pédagogiques de l’enseignement supérieur. La raison en était double, et les interrogations méritent d’être prolongées dans ce FDM.
D’abord, et même si c’est un propos à nuancer, je crois que la grande majorité des universitaires (enseignants- chercheurs et enseignants) est réellement attachée à la réussite de cette phase conséquente de leur activité professionnelle. Réussite qui, pour chacun, se manifeste par une présence « attentive » des étudiants aux enseignements (cours TD ou TP), par des questions posées au fil du cours ou par la suite (y compris via l’internet), et enfin par la lecture de copies d’examen. Faire croire le contraire – ce que tente de faire la ministre, voire certains collègues (au motif que pour l’essentiel la carrière des enseignants-chercheurs se joue sur des dimensions « recherche »), n’est pas vrai.
En second lieu, l’un des enjeux de la période actuelle est bien de faire reconnaître la diversité justifiée et nécessaire des pratiques d’enseignement dans le supérieur... au contraire d’une organisation de l’enseignement totalement calibrée et normative dont le modèle explicite et affublé du label « pratiques pédagogiques innovantes » est promu intensivement par le ministère. Il revient donc aux collègues, à leurs associations de spécialistes, à leurs syndicats de porter, comme dans le champ scientifique, l’exigence du pluralisme et … d’un réel investissement par la création d’emplois statutaires.
S’il s’agit ici de jeter quelques pistes il convient aussi de dénoncer ce qui apparaît comme le cadre conceptuel de la pédagogie dans le post-bac qui est tout sauf neutre et dont les acteurs premiers – universitaires et étudiants – se sont peu à peu laissés déposséder. En effet, en cette période où la logique libérale imprègne tout, la dimension pédagogique paraît réduite à des indicateurs, lesquels sont comme souvent des chiffres discutables tant dans leur élaboration que dans leur usage. De quoi parle-t-on : du taux d’échec (essentiellement en première année), de taux d’insertion professionnel et des palmarès établis par les étudiants. Il est donc plus que nécessaire de redéfinir le champ des objectifs pédagogiques appuyés sur des fondements didactiques solides. En l’occurrence devraient être convoquées les expériences de formation d’adultes (en formation initiale comme en formation continue), les pratiques les plus variées de stimulations directes et indirectes des apprentissages... et surtout il conviendrait de prendre appui sur un corpus théorique lié aux sciences cognitives.
Pour une large part, les débats autour de ces questions sont biaisés par le refus tant des pouvoirs publics que du monde universitaire (certes très préoccupé actuellement par sa survie dans le cadre très hostile de la loi LRU) d’interroger le fond des objectifs des cursus post-bac. L’uniformisation de la structure LMD n’est pas pour clarifier dans ces enjeux. La fonction de transmission des savoirs dans l’enseignement supérieur n’est pas détachable d’enjeux considérables sur lesquels interviennent avec constance le patronat et les idéologues qu’il influence. En premier lieu, ce sont bien les savoirs mêmes (et pas seulement leur transmission) qui sont pour partie sinon récusés du moins minorés dans la plupart des propos libéraux. Du MEDEF, à l’Institut Montaigne, des rapports transmis aux ministres ou aux parlementaires, dans les discours de la ministre, le terme « compétences » l’emporte – de loin – sur celui de « savoirs ». La montée en effectif des Écoles de Commerce, le plus souvent déconnectées de toute formation universitaire à l’économie, comme l’intervention récente du MEDEF pour défendre les privilèges de la Commission des Titres d’Ingénieurs dans l’examen d’habilitation des formations d’ingénieurs attestent du caractère dominant de ce côté-là d’une vision des formations supérieures étroitement liée au compagnonnage. Dans ce qui est présenté par V. Pécresse comme « la nouvelle licence », ces deux aspects : compétences et compagnonnage sont fortement présents et liés. C’est une régression historique.
Au lieu de nous accommoder d’une vision – qui n’est pas la nôtre ! – de l’enseignement comme une sorte de maladie honteuse de l’université, affichons une fierté des constructions pédagogiques élaborées au plus près des enjeux disciplinaires et des publics étudiants. Dénonçons l’obscurantisme des supposées « pédagogies innovantes » prônées par le ministère le plus souvent fondées sur les supports logiciels marchands, sur une dématérialisation des apprentissages qui masque y compris la dimension physique du travail tant celui des enseignants (ni présents ni écrivant au tableau...) que celui des étudiants réduits à des manipulateurs de « souris » et de fichiers virtuels !