La mort en janvier 2010 d'Akim, élève assassiné dans l'enceinte d'un établissement scolaire qui avait été pourvu peu auparavant de portails détecteurs de métaux, repose en des termes cruels le problème de l'inadaptation croissante du système scolaire aux évolutions et aux crises de la société. Cette inadaptation est renforcée par le dispositif des « réformes » néolibérales, imposées en matière de formation des enseignants et d'éducation ; comme les personnels de l'académie de Créteil, la grande majorité des professionnels et de leurs organismes représentatifs estime en effet qu'une telle politique rend et rendra plus difficile encore l'exercice de leur métier(1). Dans ces conditions, quelles propositions alternatives formuler, quels leviers stratégiques pouvons-nous actionner pour (re)mobiliser formateurs, éducateurs comme usagers de l'Ecole sur un autre avenir possible ? Une perspective de cet ordre ne pourra se concrétiser qu'en fonction, entre autres, des deux principes suivants, celui de l'harmonisation des objectifs de formation et d'éducation et le principe complémentaire, qui consiste à associer tout aussi systématiquement les questions programmatiques et institutionnelles. Ainsi, en contextualisant davantage le cadre de leur exercice et en évitant le piège du corporatisme gestionnaire dans lequel menace de les enfermer le système actuel, les IUFM pourront reconquérir auprès de l'opinion publique le leadership intellectuel et moral qui doit être le leur.
Une réhabilitation du système ne pourra pas faire l'économie d'un retour sur l'histoire de l'institution et sur son ambivalence, dans le cadre et de l'Etat-nation et du système néo-libéral propre à la sphère occidentale et européenne. Au moment où les pouvoirs publics échouent à définir l'identité nationale par opposition aux réalités culturelles de l'immigration, il faut rappeler la double tradition française, faite à la fois de progressisme social et d'autoritarisme impérial. Dans son processus de démocratisation, l'Ecole républicaine s'est voulue égalitaire, sans vraiment parvenir à réaliser cet objectif. Malgré des acquis historiques, le système éducatif français reste inéquitable car trop uniforme. Les raisons de ce passif sont à rechercher dans les structures anthropologiques de notre mode républicain et dans ses ombres au tableau, à savoir le centralisme qui confine, en l'absence de contrepoids suffisants, à un unitarisme autoritaire de même qu'une citoyenneté individuelle qui laisse de la même manière trop peu de place au dialogue des cultures, de quelque nature qu'elles soient (d'origine, de genre...). Ce double effet pervers de notre tradition politique et éducative explique en grande partie la montée en puissance d'un technocratisme gestionnaire, qui sévit souvent au détriment d'alternatives complémentaires et d'expérimentations vivantes et autonomes. Ce phénomène institutionnel tend à se manifester par mimétisme dans les collectifs de formateurs, d'universitaires et d'enseignants dans lequel manque un débat d'idées novatrices, d'ordre épistémologique et programmatique.
En France, la différence culturelle et l'hétérogénéité de niveau sont généralement vécues comme négatives, alors que dans certains pays, ces facteurs objectifs sont reconnus et utilisés comme positifs ou à positiver, selon le cas(2). Ainsi, le rayonnement actuel de l'Espagne démocratique doit beaucoup au dialogue des communautés autonomes et de la capitale, les diverses langues-cultures du pays étant largement réhabilitées à l'Ecole et dans les médias. Dans le même temps s'y développe la co-éducation (« co-educación ») depuis plus de 20 ans au niveau de l'enseignement ce courant propose réflexions et actions pour lutter contre la violence de genre et les manifestations du machisme.
Dans les pays scandinaves, c'est la personnalisation, c'est-à-dire la construction de l'élève comme sujet, qui est à l'honneur, cette démarche s'adressant à tous les élèves, quel que soit leur niveau. « Ainsi, l'intégration individualisée est associée à la fois à un niveau éducatif général élevé, une proportion d'élèves en difficulté faible, et une élite développée. C'est de plus le seul modèle de gestion de l'hétérogénéité capable de limiter les inégalités scolaires générales et d'origine sociale. » (Mons, 2009, p.169).
Mais l'esprit jacobin a du mal à envisager une vraie différenciation des apprentissages de même qu'une réelle décentralisation culturelle. Associé au dispositif néolibéral européen, ce passif historique conduit désormais à un dépérissement certain de l'organisme Education nationale, et cela au risque de former une médiocratie conformiste car ego-ethnocentrée(3). Ce centralisme autoritaire s'enracine dans la gestion de la corporation enseignante et de ses relations avec la hiérarchie et avec les publics scolaires et se maintient du fait de la féminisation croissante du métier, synonyme de vulnérabilisation en l'absence de prise en compte de ce paramètre dans la gestion des ressources humaines. Depuis les réformes de l'après mai 68, la participation des parents d'élèves et des élèves et à la vie des établissements scolaires s'est accomplie en effet sans que les enseignants ne bénéficient eux-mêmes de prérogatives élargies en matière de création et d'autonomie didactique et pédagogique. Censée s'inscrire dans un processus de démocratisation interne, la formation continue n'a pas vraiment donné lieu à l'émulation que l'on pouvait légitimement en attendre, dans le contexte de la crise scolaire notamment. Là est l'une des raisons de la désaffection de l'opinion publique à l'égard des IUFM, trop détachés des réalités concrètes et du quotidien de l'Ecole. Par ailleurs pris en étau entre l'immobilisme hiérarchique et une pression accrue du terrain parental et juvénile marqué par la peur de l'avenir professionnel et l'angoisse du chômage, tout comme par la perte des repères traditionnels, le métier d'enseignant a lui-même perdu en termes d'autorité intellectuelle et morale. Avec la montée des incivilités et des violences dans les établissements scolaires, l'évaluation systématisée des enseignements et la judiciarisation des incidents de parcours sont les effets logiques d'une telle politique de formation et d'éducation.
C'est dans ce cadre tendant à devenir un carcan que la normativité managériale(4) s'impose trop souvent désormais, au détriment de la loi et des principes républicains : la course aux « contrats d'objectifs » et aux compétences en matière de compétitivité et d'adaptabilité aux marchés, la transparence informatique devenue inquiétante du métier d'enseignant(5) sont censées se substituer à une dynamique de groupe d'ordre épistémologique, sur l'actualisation des finalités de la formation et de l'éducation. Pour contrecarrer cette dérive clientéliste et populiste, s'impose donc d'assumer le recours à des démarches délibérément différenciées et dialogiques en matière de formation comme d'éducation.
La menace de disparition des IUFM ne peut être comprise non plus sans référence à la dite « économie de la connaissance » qui remodèle sur le standard euro-occidental le dispositif global de recherche, de formation et d'enseignement. La mastérisation de l'enseignement à l'Université s'inscrit en effet dans une démarche de marchandisation des savoirs, dont les savoirs professionnels, ceux-ci pouvant être dispensés également par des instituts privés. Cette mesure s'ajoute à la « libéralisation » en interne de l'Université (via la LRU), qui fragilise cette institution dans ses missions républicaines ; en plus des centaines d'instituts privés à caractère industriel et commercial déjà subventionnés, la création des pôles régionaux de compétitivité et des pôles d'excellence (plan Campus) renforce l'impact des marchés et de l'industrie, la constitution de l'ANR et de l'AERES gérés par l'exécutif s'inscrivant quant à elle au détriment du CNRS, ce pôle central et jusque là relativement autonome de la recherche nationale étant lui-même soumis à une contractualisation étroite et mercantile de ses objectifs; dans ce contexte de collusion croissante des institutions de l'Etat et des intérêts privés, la disparition des IUFM s'apparenterait à la mise en berne du service public de formation et d'éducation. Ce même phénomène se manifeste au niveau de l'Ecole, de plus en plus concurrencée par des réseaux d'établissements privés et/ou confessionnels bénéficiant du soutien de l'Etat.
Par une refonte complète du dispositif institutionnel, l'objectif programmatique principal réside dans le renforcement de la rentabilité des disciplines marchandisables dont les sciences et les techniques et, pour ce faire, à une interdisciplinarité sélective de ce champ. Par contrecoup, ce processus conduit à la marginalisation proportionnelle des sciences humaines et sociales, des humanités, des Lettres et des Arts, considérés comme moins rentables et inadaptés au marché de l'emploi et dont le mode de fonctionnement est encore isolé et peu en réseau. Un tel déséquilibre entre les champs disciplinaires et entre les cultures de genre correspondants (6) ne peut que conduire à la régression de la culture humaniste et de sa transmission aux nouvelles générations.
Ce passif interdisciplinaire se cristallise sur la formation des enseignants : la majorité des professeurs des écoles provient du deuxième champ disciplinaire précité. Par ailleurs, la professionnalisation des enseignants nécessite le recours aux sciences de l'éducation, psychopédagogie et didactique, dont l'avenir est également menacé.
La perte d'influence du français à l'échelle internationale comme en interne, dans le système éducatif national est emblématique des nouveaux enjeux de pouvoirs et de la crise de l'identité nationale, quoi qu'en disent les pouvoirs publics. Cette discipline fondamentale subit en fait le contrecoup et d'une économie technoscientiste et anglophone et d'une politique néocoloniale et assimilationniste qui nie, ce faisant, les ressources des régions historiques, des pays anciennement colonisés et de la francophonie. Deux films-culte récents, Entre les murs de Laurent Cantet, adapté du livre de François Bégaudeau et palme d'or au festival de Cannes 2008 et La journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld (2009), portent sur l'enseignement du français en collège ; y est prégnante l'absence de moyens didactiques et psycho-pédagogiques pour contribuer à résorber les difficultés des jeunes, spécialement des villes et des banlieues: manque de motivation, prégnance des conflits ethniques et identitaires, ainsi que des rapports de force entre garçons et filles. L'avenir du français et au-delà de l'Ecole se joue a contrario dans le dialogue interculturel et dans un plurilinguisme assumé : la connaissance d'une langue régionale ou étrangère, la découverte de l'altérité permet de mieux cerner les spécificités de sa propre langue.
Cette démarche s'impose à l'heure de la mondialisation et de la médiatisation des échanges, qui sont à l'origine de nouveaux modes de fonctionnement social, en réseau et rapidement évolutifs de ce fait. Or, autre effet du centralisme à la française, le cloisonnement actuel des disciplines d'enseignement ne permet pas de former à une pensée apte à s'adapter à ce mode de fonctionnement, à gérer la complexité des systèmes constitués et à trouver des solutions aux problèmes engendrés(7). Ce type d'enseignement produit des spécialistes perdant de vue le fait que « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » (Rabelais). Les produits financiers tels la titrisation aux USA, qui ont généré la crise économique très grave dont nous subissons encore les conséquences, sont l'œuvre de mathématiciens français. Que dire des spéculations des actionnaires et des traders qui jonglent avec les chiffres dans un monde économico-financier virtuel sans réaliser les conséquences matérielles et humaines de leurs actes ? Comment interpréter la recrudescence des images de violence dans les médias et les jeux vidéo et les massacres en milieu scolaire par des adolescents voire des adultes?
La liste des propositions qui suit est établie à partir des principes institutionnels et programmatiques précédemment étudiés.
Préserver les budgets consacrés à l'éducation et à la formation des enseignant(e)s
- la réhabilitation de la liberté pédagogique, de l'intégrité et de l'autorité morale et intellectuelle des personnels d'éducation et des enseignant(e)s
Ce dispositif alternatif de formation des enseignants et d'éducation s'inscrit dans le cadre d'une société en réseau et dont les transformations rapides procèdent de la médiatisation d'échanges désormais mondialisés. Face à la déferlante d'un technocratisme économiciste et normatif dans ce nouveau contexte, il s'agit d'adapter et de «remodéliser » le service public d'éducation et la formation correspondante des enseignant(e)s, cela de manière à leur redonner le statut premier qui était le leur, celui de pilier central de l'édifice républicain et démocratique français. En effet, le renforcement de l'identité de l'Ecole et du métier d'enseignant apparaît comme une condition fondamentale de la promotion d'une identité nationale laïque et républicaine, basée sur un humanisme démocratique, paritaire et interculturel.
Florence SAINT-LUC :
Martine BOUDET :
(1) Les articles ci-après montrent l'état de démoralisation et les combats du monde enseignant, pour la défense du métier et de l'Education nationale. Dans Le Monde: "L'éducation nationale sans rêve ni moteur", par Luc Cédelle: http:// www.lemonde.fr/opinions/article/2009/11/24/l-education-nationale-sans-reve-ni-moteur-par-luc-cedelle_1271268_3232.html
(2) Face aux publics scolaires hétérogènes, les enseignants ont réagi en pratiquant « la constante macabre » (Antibi, 2003), c'est-à-dire un classement systématique d'un tiers de bons, un tiers de moyens, et un tiers d'élèves faibles et écartés, une sélection par le redoublement et la relégation dans des filières dévalorisées, au lieu de proposer une approche différenciée, comme dans le mode d'intégration à la carte pratiquée au Royaume-Uni, ou comme dans le mode d'intégration individualisée pratiqué en Finlande. L'aide personnalisée rendue obligatoire en primaire s'adresse officiellement aux élèves en difficulté. Les enseignants souhaitant pratiquer la différenciation dans leurs pratiques quotidiennes pour utiliser les deux heures par semaine d'aide personnalisée pour des actions « alternatives » comme des pratiques artistiques ou culturelles (théâtre, par exemple), se sont vus sanctionnés.
(3) Les travaux de Nathalie Mons montrent que les systèmes les plus performants et les plus équitables sont ceux qui proposent un programme national d'objectifs communs, avec une autonomie importante dans la mise en œuvre des projets pédagogiques dans les établissements, et un encadrement de l'Etat en matière d'évaluations nationales, transférant les obligations de moyens en obligations de résultats. Dans les pays fortement décentralisés, des inégalités territoriales peuvent certes apparaître entre régions, entre villes... Une forme de régulation assurant une meilleure équité de moyens semble donc nécessaire pour éviter ces effets négatifs. De même, il semblerait que le libre choix régulé soit une solution permettant d'apporter une différenciation, un libre choix, mais avec des correctifs apportés par des politiques éducatives locales et nationales pour éviter les phénomènes de ghettoïsation.
(4) Roland Gori, Barbara Cassin, Christian Laval, L'Appel des appels, Pour une insurrection des consciences ouvrage collectif (Mille et une nuits, 2009)
(5) La mise en ligne des cahiers de texte des enseignants depuis début 2010 et sans garantie préalable d'ordre juridique ou administratif ne va-t-elle pas fragiliser une corporation déjà sur la brèche ?
(6) Il est reconnu que sciences, économie et techniques sont reliées à une culture de tradition encore majoritairement masculine, à la différence du champ disciplinaire constitué des sciences humaines, Lettres et arts, féminisés ou paritaires selon le cas.
(7) Morin Edgar, Relier les connaissances (le défi du 21e siècle) ouvrage collectif (Seuil, 1999)
(8) Bulletin officiel de l'Education Nationale: Convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif (février 2007)
(9) Loi Taubira-Delanon (2002). Comité pour la mémoire de l'esclavage (Maryse Condé, Françoise Vergès), Mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions (La découverte, 2005)
(10) Rapport de Régis Debray (Ministère de l'Education Nationale) : L'enseignement du fait religieux dans l'Ecole laïque (2002)
(11) Voir à ce sujet let film de Youssef Chahine, « Le destin » (1997), révélant l'horreur de tous les intégrismes (aussi bien islamique que chrétien, avec des images de l'Inquisition au début du film), présentant l'existence d'Averroés comme forme d'islamisme éclairé en Espagne, ensuite persécuté par les intégristes.
(12) Abdallah -Pretceille Martine, L'éducation interculturelle (Que sais-je ?)
(14) A la différence des écoles d'ingénieurs, de gestion, de commerce... qui cultivent une concurrence souvent déloyale à l'égard de l'Université, les IUFM sont plutôt reliés aux départements de sciences humaines et de Lettres, tant par la formation aux sciences de l'éducation que du fait de l'origine universitaire de nombreux stagiaires, appelés à devenir professeurs des écoles, en particulier.
(15) Cette évolution commence à être amorcée. Voir le projet de programmes de la classe de seconde générale et technologique Littérature et société (Enseignement d'exploration) (27 janvier 2010)
(16) Voir la démarche de la Direction générale de la langue française et des langues de France (DGLFLF) au ministère de la Culture : http://www.dglf.culture.gouv.fr
(17) La formation des formateurs est essentielle : formation à la conduite de groupes d'analyses de pratiques, à la dynamique de groupe, à la différenciation, et même pour les professeurs d'université, qui n'ont souvent pas eux-mêmes reçu de formation didactique et pédagogique ! Des formations transversales pourraient amener les formateurs de terrain et les formateurs disciplinaires à se rencontrer, ce qui faciliterait des partenariats ultérieurs en situation dans le cadre de masters, et un lien entre stages et cours. Les enseignants de primaire ou de secondaire souhaitant devenir formateurs devraient trouver les conditions nécessaires à la réalisation de leur projet : le temps dans leur carrière ou leur emploi du temps pour atteindre le recul nécessaire et le diplôme universitaire validant leur niveau de compétence. Des niveaux d'enseignement et de formation initiaux de base différents, rassemblés au sein de groupes hétérogènes, pourraient aborder de concert les contenus et les traiter dans le cadre de recherches-actions et d'échanges, développant simultanément l'esprit coopératif, la décentration, et la démarche scientifique.Pour une politique éducative de co-civilisation -Propositions alternatives pour la formation des enseignants-
Plan
1.1 Le système éducatif français : entre principe d'égalité et différenciation culturelle et individuelle
1.2 Economie de la connaissance vs interdisciplinarité
1.3 Mondialisation, médiatisation et pensée complexe
2.1 Contexte général
2.1.1-Les relations Etat- Ecole- marché
2.1.2- Les institutions socio-éducatives et leurs interactions
2.2 Cadre et relations institutionnelles
2.2.1- Les relations entre institutions éducatives
2.2.2-Les relations homme-femme
2.3.1-Les langues-cultures et l'interculturalité
2.3.2-Les disciplines et l'interdisciplinarité
3.3.3--les sciences de l'éducation et leurs interactions: psychopédagogie et didactiques
III- Finalités de l'Ecole et du métier d'enseignant: pour une politique éducative de co-civilisation
Introduction : La crise de l'Ecole et des IUFM alimentée par le dispositif néolibéral
I- Constats et objectifs
1.1 Le système éducatif français : entre principe d'égalité et différenciation culturelle et individuelle
1.2 Economie de la connaissance vs interdisciplinarité
1.3 Former à la pensée complexe dans le contexte de la mondialisation-médiatisation
En France, effet du technocratisme étatico-scolaire, l'on raisonne par ailleurs souvent de manière trop abstraite, sur du papier ou sur écran sans lien avec des applications pratiques et sociales, et ce dès l'école maternelle. Sortir de l'universalisme abstrait, ancrer l'enseignement sur le réel et donner une vraie place à l'éthique citoyenne est impossible dans le cadre d'une formation universitaire exclusivement disciplinaire. Le plan Langevin-Wallon, et deux rapports de l'UNESCO [Apprendre à être (1972) - L'éducation, un trésor est caché dedans (1996)] présentent depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale des préconisations dans ce sens qui n'ont jamais été mises en œuvre dans notre pays.
Notre système repose surtout sur la reproduction et la systématisation d'exercices d'application. Savoir faire face à l'imprévu et à l'incertitude est une compétence difficile à construire. Elle suppose de développer la créativité, ce que notre système ne sait pas faire actuellement. Ce n'est qu'à partir du master que l'on demande de penser par soi-même et de développer des problématiques. Ce fossé entre la licence, simple lieu de restitution, et le master, où il faut savoir mettre en lien des éléments pour une observation et une analyse fine du réel afin de construire une problématique et de mettre en œuvre une démarche scientifique, conduit beaucoup d'étudiants à des difficultés importantes, voire à des échecs à ce niveau. Ne faudrait-il pas mettre en œuvre la démarche scientifique dans la formation professionnelle pour former des enseignants apte à la mettre en œuvre auprès dès l'enfance ?
Privilégier les savoirs disciplinaires, au détriment des savoirs professionnels transmis par les sciences de l'éducation (psycho-pédagogie et didactique), au contact des sciences humaines et sociales (SHS), c'est aussi privilégier la Culture, héritée d'un système patriarcal et cultivée par les classes dominantes au compte d'un Etat-nation excessivement assimilationniste, et c'est perdre de vue qu'il existe d'autres cultures, en particulier de genre, de classe et d'origine ou d'appartenance. Ignorer celles-ci, c'est produire une violence symbolique certaine qui conduit à une violence en réaction dans certaines régions historiques, DOM-TOM, banlieues, salles de classe ou établissements scolaires. Parmi les principes républicains émergents destinés à amoindrir ces rapports de domination, citons la « parité homme-femme », instituée au niveau de la représentation politique depuis 2002 ; une véritable éducation à l'égalité des sexes (8) et au dialogue des cultures masculine et féminine associée à une expérimentation de la « co-éducation » à l'espagnole résorberait une bonne part des conflits de genre qui émaillent la vie des établissements, spécialement de banlieue. Par ailleurs, les émeutes juvéniles des banlieues de l'automne 2005 ont conduit la communauté nationale à reconnaître la légitimité du principe de la « diversité culturelle ». Les langues régionales sont également inscrites dans la Constitution comme « éléments du patrimoine national » depuis 2008. A l'initiative de la France, « l'exception culturelle francophone » a été adoptée lors du sommet francophone de l'Ile Maurice (1993) pour faire face à la menace hégémonique de l'anglo-américain commercial. Dans le même temps, l'esclavage et la traite négrière ont été reconnus par la France puis par l'ONU comme un « crime contre l'humanité » (9)(2002). Grâce en particulier aux travaux de Régis Debray (10), l'enseignement des faits religieux comme « faits de culture » s'inscrit dans la perspective d'une « laïcité ouverte » qui tend à réconcilier à l'Ecole et en France les courants philosophiques qui l'animent, et à faire face aux montées intégristes de quelques origines qu'elles soient(11) et à leur pendant, la tendance à assimiler tous les Musulmans à des intégristes en occultant l'histoire de nos propres guerres de religion. Selon le cas, il reste à mettre en oeuvre ces principes républicains émergents ou à les faire fructifier au sein de l'Education Nationale. Pour ce faire, l'exemple venant d'en haut, il est nécessaire de les rendre opérationnels au niveau des responsables à la formation, à l'éducation et à l'évaluation (parité) ainsi que dans les IUFM dont l'identité régionale et les spécificités culturelles doivent être davantage affirmées (diversité culturelle) ou dans l'enseignement du français, discipline fondamentale actuellement en crise de croissance (francophonie). D'une manière générale, il s'agit, en complément des spectaculaires évolutions des champs techno-scientifique et économique depuis les réformes de l'après-mai 68, de promouvoir le champ des humanités et des sciences sociales qui en théorisent l'usage et l'expression et qui élaborent des alternatives aux crises de développement qui sont les nôtres.
En effet, dans cette nouvelle ère mondialisée-médiatisée, la jeunesse est la cible de la culture people, d'un consumérisme branché, alimentant un frénétique besoin de posséder et de paraître; l'éducation doit redonner une vraie place à l'être : une finalité essentielle doit être de permettre à chacun d'exister, de trouver sa place, en aidant à construire sa personnalité, en articulant ses différentes identités ou appartenances (12), en développant une intersubjectivité plus harmonieuse (la réflexivité sociale aussi bien que la réflexivité individuelle, dans le respect des autres et de soi-même). D'une manière générale, les médias et autres moyens de communication constituent actuellement une source concurrentielle d'auto-éducation anarchique et non maîtrisée. La mise en place de la mastérisation de la formation des enseignants et la disparition programmée des IUFM risquent de renforcer le phénomène. Dans les faits, la quasi-suppression de la pratique professionnelle dans le cadre de la formation initiale rendra très difficile voire impossible l'éducation véritable des publics en détresse dans des zones de ghettos, et, de manière plus générale, des élèves démotivés face aux apprentissages. Rappelons que les jeunes enseignants sont souvent nommés pour de premiers postes dans les établissements réputés difficiles.
Pour conclure, il importe désormais d'en finir avec le faux débat entre « disciplinaires » (et instructeurs) et éducateurs, avec la division orchestrée entre Université et IUFM par les pouvoirs publics, et d'harmoniser a contrario les volets académiques et didactiques des savoirs, dans la perspective de leur démocratisation. Il s'agit également de sortir de l'impasse d'une gestion exclusivement administrative, en fait technocratique de la formation en interne. Le maintien d'une école professionnelle de professeurs (et des métiers qui leur sont proches, conseillers d'éducation, conseillers d'orientation... ) et l'adaptation des missions des IUFM dans la double perspective précitée s'avèrent des nécessités. A l'image des écoles normales d'antan, piliers des Républiques antérieures, à l'image d'autres écoles de formations de cadres (juges, policiers...), il s'agit de maintenir et de renforcer l'unité et l'intégrité de cette corporation. L'esprit d'équipe qui fait souvent défaut aux enseignants, du fait de l'exercice singulier de leurs fonctions, ne peut se renforcer que par l'existence et l'activité de lieux de formation seuls à même d'aider, que ce soit dans le cadre de la formation initiale ou continue, des professionnels isolés. A cette structure hiérarchique de formation, doit s'ajouter un dispositif de coopération et de co-formation qui permette de « faire remonter » les réalités et aspirations des publics ainsi que les expériences et créations du terrain. C'est sur la base de ces dynamiques plurielles de professionnalisation que peut être refondée à terme l'identité corporative des enseignants, garante de l'affirmation des valeurs républicaines et démocratiques du pays.
II- Stratégies et moyens à mettre en oeuvre
2.1 Contexte général
2.1.1-Les relations Etat- Ecole- marché
2.1.2- Les institutions socio-éducatives et leurs interactions
2.2 - Cadre et relations institutionnelles
2.2.1- Les relations entre institutions éducatives
- l'adoption d'un plan de reconversion et /ou de roulement des enseignant(e)s pour les personnes et les secteurs les plus fragilisés : professeurs en fin de carrière, malades, travaillant dans des quartiers sensibles ...
- la création de listes de diffusion et/ou sites rectoraux (DRH) destinés aux enseignant(e)s concernant la vie scolaire et son actualité
- l'accroissement du nombre de groupes de parole sur ce sujet dans les établissements scolaires
- le renforcement de l'autonomie et des prérogatives des médiations académiques et de l'Autonome de solidarité, dans le traitement des relations des enseignant(e)s avec la hiérarchie et avec les publics scolaires (parentaux)
2.2.2-Les relations homme-femme
2.4 Le curriculum (principes programmatiques)
2.4.1 Les langues-cultures et l'interculturalité
2.4.2-Les disciplines et l'interdisciplinarité
2.4.3-les sciences de l'éducation et leurs interactions: psychopédagogie et didactiques
III-Finalités de l'Ecole et du métier d'enseignant: pour une politique éducative de co-civilisation
Publications :
Bibliographie
Les soutiens aux enseignants en grève de la banlieue est de Paris ... (Le Point, 10 février 2010)
© MEN/DGESCO ? htttp://eduscol.education.fr/consultation
Pour une politique éducative de co-civilisation -Propositions alternatives pour la formation des enseignants-
Publié le : 18/02/2010