Pédagogie et didactique à l’université : des questions vives

Publié le : 19/03/2011

[Introduction au dossier "Pédagogie et didactique à l'université : des questions vives" de la revue Former des Maîtres n°593 de mars 2011]

En introduction au dossier, Alain Legardez propose quelques réflexions sur des « questions vives » liées aux recherches, aux réflexions et aux opinions sur les pratiques en pédagogie et didactique à l’université. Ces réflexions et leurs illustrations dans ce texte et dans ceux des autres contributeurs visent à interpeller les communautés universitaire et syndicale sur le mot d’ordre qui s’est imposé principalement dans les IUFM : « enseigner est un métier qui s’apprend ».

Les questions de pédagogie et de didactique ont longtemps été taboues dans l’enseignement supérieur. Avec quelque raison jusqu’à la démocratisation de l’enseignement supérieur, puisqu’il y avait une forte proximité culturelle entre les enseignants et leurs étudiants disciples et donc les méthodes transmissives pouvaient fonctionner sur l’illusion suivante : « je suis savant ; j’enseigne mon savoir savant ; tu écoutes ; tu apprends ... et donc tu sauras, toi aussi ».

Les publics ont changé, pas les méthodes de transmission des savoirs

En revanche, cette illusion ne peut plus fonctionner à partir du moment où la vague de démocratisation amorcée dans les années 1960-70 amène sur les bancs des universités des enfants des classes moyennes et populaires. La distance culturelle est alors souvent telle, que l’acculturation aux attentes de l’université (le plus souvent implicites) ne peut se faire suffisamment vite pour que ces « nouveaux étudiants » puissent, sans délai, décrypter les codes de l’université traditionnelle. Pourtant, de nombreux responsables de formations se retranchent toujours derrière le manque (réel) de moyens pour éviter de remettre en cause des pratiques d’enseignement très « économiques ». Certes, de nombreuses expériences ont lieu pour faciliter ce périlleux passage entre le secondaire et le supérieur, mais elles restent souvent marginales et fugaces. Il faudra attendre que l’institution prenne conscience des gaspillages de tous ordres qu’impliquent les échecs massifs dans les premiers cycles universitaires pour que des mesures globales soient prises pour tenter de lutter contre cet échec : LMD, semestrialisation, mastérisation, tutorats, plan licence... Par ailleurs, certains se posent quand même la question des modalités d’enseignement à l’université et envisagent de contourner les résistances des universitaires en place ; c’est ainsi que sont créés (voici plus de vingt ans) les CIES (Centres d’Initiation à l’Enseignement Supérieur). Des associations innovatrices voient également le jour, comme l’ADMES (Association pour le Développement des Méthodes dans l’Enseignement Supérieur) ou l’AIPU (Association Internationale de Pédagogie Universitaire) …

Mais l’Université (ou plutôt ses différents sous ensembles, dont évidemment les classes préparatoires) est faite d’institutions qui fonctionnent globalement à la reproduction. Malgré l’investissement d’une minorité d’universitaires conscients et motivés, les innovations à potentialités transformatrices sont assez souvent « récupérées ». C’est ainsi que, dans les CIES, la place faite aux questions de pédagogie et de didactique tend parfois à être réduite à la portion congrue... sans doute était-ce encore trop, puisque les CIES comme les IUFM et l’INRP – institutions réputées « dangereuses » pour le pouvoir actuel – semblent voués à la dilution, voire à la disparition. Et les moniteurs ont bien compris que le mimétisme et l’allégeance aux mandarins (anciens et nouveaux) restent les comportements les plus « rentables » pour espérer devenir MC.

Peu de recherches, peu de publications

On pourrait penser que cette question ombilicale de la pédagogie universitaire (en ce qu’elle concerne une question cruciale du fonctionnement de l’université) aurait suscité de nombreuses études et recherches de la part d’universitaires, soit des spécialistes des questions d’enseignement et d’apprentissage, soit des spécialistes de divers champs du savoir qui s’interrogeraient sur leurs pratiques et leurs conséquences. Mais bien souvent, ces derniers ont été (et sont encore) marginalisés, voire rejetés par leurs pairs avec le discours suivant : si X s’intéresse tant à des questions si secondaires de l’enseignement de la discipline Y, – pire de sa didactique –, c’est qu’il n’est pas un bon spécialiste de cette discipline Y. Longtemps, les mathématiques, puis les sciences ont joui d’une situation privilégiée... mais qui semble s’être fortement dégradée. Par ailleurs, des études nombreuses sont menées sur « la pédagogie dans l’enseignement supérieur » (titre de la récente livraison de la Revue Pédagogique no 172, 2010), mais plus dans la littérature anglo-saxonne (c’est ainsi qu’existe une « Review of Higher Education »), ou dans la littérature francophone... et plus souvent en Belgique ou au Québec qu’en France, comme la RIPES (Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur)... ou encore, très récemment, dans Les Cahiers Pédagogiques (no 485, 12/2010), ce qui semble néanmoins montrer que la sensibilité de ces questions déborde désormais le monde universitaire stricto sensu. Jusque récemment donc, les travaux francophones sur la pédagogie universitaire étaient des travaux d’équipes plus souvent belges, suisses et canadiennes que françaises (c’est d’ailleurs le cas du dossier de la Revue Pédagogique). Et ces études s’intéressent plus à la question – certes essentielle – des conditions de la réussite des étudiants qu’à des questions des modalités pédagogiques et didactiques des enseignements à l’université. On trouve aussi des travaux intéressants sur les « croyances » des enseignants universitaires, ainsi que sur leurs évolutions. Mais, par exemple, la question de l’existence de régimes didactiques spécifiques n’est que peu étudiée, ce qui est pourtant une question clé pour les didacticiens, mais aussi potentiellement pour tous les universitaires.

Les quelques contributions de ce dossier ne prétendent évidemment pas faire le point sur une question si vaste et si « potentiellement vive ». Certaines resituent le positionnement syndical (Jean Fabbri, Claudine Kahane), d’autres proposent des questionnements (Christian Orange et Bruno Lebouvier, Yves Chevallard), d’autres encore interrogent des évolutions récentes (Bernard Vitoux, Michel Larini, Alain Mercier). Il s’agit donc de textes de différentes natures, mais qui tous visent à interpeller la communauté universitaire en général et les collègues du SNESUP en particulier... et où se retrouve comme un fil rouge la question dirimante de la formation des enseignants – quel que soit le niveau où ils interviennent – et cette affirmation qui n’est peut-être pas encore une évidence pour tous : « enseigner est un métier qui s’apprend ».