Depuis trois ans se sont succédé "concertations” « occupationnelles », textes flous remis au dernier moment et rédigés par des interlocuteurs ignorants des réalités de la FDE : l’ensemble a conduit à une usure des débats, sans qu’une virgule ne change, le plus souvent : le MEN a été partout, le MESRI nulle part.
C’est dans ce contexte que les INSPÉ ont « répondu à la demande » des dossiers d’accréditation, de façon plus ou moins verticale selon les académies : ils se préparent à mettre en œuvre au 1er septembre (contre les personnels) une « réforme », censée au départ « harmoniser » la FDE sur le territoire, mais qui va en réalité la renvoyer à l’émiettement du localisme. Et ce dans une impréparation factuelle, jamais encore expérimentée à ce degré dans le champ qui nous occupe.
Le cahier des charges que les INSPÉ se sont vu imposer se caractérise par trois attaques frontales sur 1) l’idée même de formation universitaire, 2) le statut des personnels, et leurs conditions de travail et 3) la qualité de la formation, et donc à terme la réussite des élèves.
Cette « réforme » est une attaque contre l’idée d’une formation universitaire
Les instituts restent formellement rattachés à des universités mais ils n’ont d’universitaire quasiment que le nom : le directeur de l’INSPÉ est nommé en excluant toute représentation ou avis des élu·es du personnel. Il n’y a même plus de semblant de démocratie universitaire.
Mais le ministère franchit aujourd’hui un pas supplémentaire : ce n’est plus la composante qui élabore et décide des maquettes de master, sous contrôle de la CFVU. Les plans de formation doivent inclure les injonctions et contraintes du MEN (volumes horaires des maquettes, ventilation par blocs des contenus, “modules” divers – inclusion, numérique, laïcité...) et laisser place à autre chose que des enseignements universitaires pensés, articulés et mis en œuvre par les équipes de master. Le « cadrage » ministériel et les injonctions rectorales locales se substituent au travail des équipes universitaires pour la définition des contenus permettant de construire les compétences universitaires professionnelles attendues.
Par ailleurs, le volume horaire de formation et les contraintes imposées par le ministère de l’Éducation nationale (MEN) ne permettent ni une formation de qualité dans les différentes disciplines à enseigner ni l’acquisition des savoirs pertinents pour enseigner. De surcroît, la dimension de la polyvalence pour les futur·es enseignant·es du 1er degré n’est absolument pas assurée.
Dans le même temps, la question d’un réel continuum de formation, de la licence aux premières années d’exercice n’a fait l’objet d’aucun travail concret et concerté – de ce point de vue, la création des PPPE vient concurrencer, de façon incompréhensible et dommageable, la pré-professionnalisation dans les licences. Un réel continuum de formation est pourtant une condition essentielle pour alléger les injonctions sur les masters et répartir de manière pertinente et cohérente, l’ensemble des contenus de formation.
À deux semaines de la fin de l’année universitaire, le ministère n’est pas en mesure de répondre aux questions posées par les équipes, les académies non plus. Force est de constater que les discussions avec le « terrain » ont été insuffisantes et qu’il n’est pas possible de mettre en œuvre la formation de manière satisfaisante à la rentrée.
Cette « réforme » est aussi une attaque contre les statuts des personnels et les collectifs de travail
La loi glisse un alinéa sur un quota minimal d’un tiers de personnels enseignants à temps partagé dans la formation MEEF. Mais il ne s’agit pas de structurer des équipes plurielles, de leur donner les moyens de travailler, de développer des collectifs de travail... c’est de tout autre chose qu’il s’agit. Comme si enseigner et former étaient deux métiers strictement identiques, les collègues sont recruté·es, sur un repérage de “bonnes pratiques”, par les corps d’inspection - indépendamment des compétences qu’ils/elles peuvent avoir par ailleurs. Ils/elles ne bénéficient pas des procédures habituelles de sélection sur dossier et audition par des jurys universitaires en fonction d’un profil de poste correspondant à des besoins identifiés : ils/elles relèvent de commissions formelles ad hoc. Ces collègues sont « sous contrat » renouvelable... ou pas, selon le bon vouloir de leur hiérarchie.
Cette injonction, les dossiers le disent bien, ne s’accompagne par ailleurs d’aucun modèle économique en permettant la mise en œuvre.
Cette « réforme », c’est enfin une attaque contre le statut des formés et la qualité de la formation
Le dispositif de l’alternance, tel que pensé par le ministère, alourdit considérablement la charge de travail des étudiant·es en master, ce qui compromet leurs chances de réussite aux concours, contraint de manière excessive voire empêche la formation et in fine pesera sur les conditions d’apprentissage des élèves.
On ne peut que continuer de dénoncer l’utilisation des étudiant-es comme moyens d’emploi.
D’autant que concrètement dans les académies :
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les étudiant·es ont candidaté sans toujours savoir où - des difficultés sont donc à craindre concernant la fatigue et la charge financière que représenteront les déplacements à la rentrée ;
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les tuteurs/tutrices ont été sollicité·es (y compris sous forme de pressions amicales, de chantage à la formation, etc.) sans savoir à quoi ils s’engageaient ! Personne n’a cadré le nombre de visites attendues, le rôle dans l’évaluation du master, le temps sur lequel les tuteurs/tutrices pourront effectivement suivre les alternant·es (sur le temps personnel dans le 2d degré, sur quel temps en 1er degré ?).
Voilà la réalité dans laquelle s’inscrit la présentation des dossiers d’accréditation.
Les « réponses » apportées par les différents INSPÉ, au-delà de l’habillage de façade que l’exercice même requiert, ne sauraient convaincre quiconque. Mais peu importe : ce qui intéresse en réalité le MEN dans ces dossiers, c’est qu’ils satisfassent aux injonctions qu’il a formulées. On s’étonne d’ailleurs de ce point de vue que la DGESIP prenne la peine de relever comme une réussite le fait que les maquettes incluent les thématiques de l’inclusion, du numérique, de la laïcité... comme si jusqu’à maintenant on n’abordait pas ces contenus en FDE !
Ce qui préoccupe le MESRI, de son côté, c’est la soutenabilité financière. Soit. Mais pour nous, la « soutenabilité financière » et l’économie de moyens ne sauraient être les indicateurs des besoins de la formation des enseignant·es et CPE. La soutenabilité doit d’abord être celle de l’efficacité professionnelle, de la qualité de l’offre de formation et des moyens qui lui sont nécessaires, de la sécurité juridique et statutaire des personnels et usager·es, de la santé au travail prenant en compte les risques psychosociaux.
L’objectif d’une formation des enseignant·es de haut niveau, au sein de l’université exige que la parole des acteurs et actrices de la formation soit réellement écoutée et que s’engage enfin, rapidement, une réelle concertation.