Communiqué de la section SNESUP-FSU de l'Université de Poitiers, 30 mai 2020
Rentrée 2020 à hauts risques :
plus que jamais, l'ESR a besoin de moyens supplémentaires
Depuis le 16 mars, l'Université de Poitiers est fermée aux étudiant·es. Malgré l'implication et les efforts des personnels, force est de constater que la situation que nous avons vécue depuis relève bien d'une situation dégradée : fracture numérique, sanitaire, sociale, surcharge de travail pour les étudiant·es et les personnels, coûts induits par l'utilisation du matériel personnel, isolement des étudiant·es, etc. Le travail à domicile s'est ainsi effectué sans cadre, sans délimitation horaire, très souvent avec du matériel personnel (ordinateur, connexion, etc.) et dans des contextes personnels et familiaux très variables. Cela a entraîné dans certains cas pour les personnels des pratiques intrusives et le non respect de la vie privée. Le CHSCT de l'université de Poitiers s'est exprimé très clairement sur ce problème le 6 mai dernier.
Sur le plan pédagogique, des adaptations diverses ont été mises en œuvre pour maintenir, coûte que coûte, le maximum de liens avec les étudiant·es. Pour autant, la grande majorité des collègues et des étudiant·es perçoivent les limites de cette "pédagogie à distance" tant vantée par la ministre. Nous ne pouvons parler dans ces conditions de "continuité" pédagogique mais bien de "rupture" pédagogique, au regard du nombre d'étudiants restés sur le chemin. Nous espérons que cette expérience aura au moins le mérite d'ouvrir les yeux des messagers d'une pédagogie tout "numérique" trop souvent présentée comme solution miracle et prétexte à une réduction des coûts...
Depuis le 11 mai, nous sommes toutes et tous partagés entre la volonté de retrouver notre lieu de travail pour des raisons matérielles, professionnelles, de sociabilisation... et l'exigence de protéger les personnels et les étudiant·es face à un risque toujours présent. Cette tension est renforcée par les signaux contradictoires envoyés par le gouvernement, qui dans la même semaine, décide d'ouvrir le Puy du Fou mais maintient la fermeture de la Bibliothèque Nationale de France !
Envisager la rentrée dans ce contexte est particulièrement difficile. C'est à la fois anticiper et gérer les difficultés organisationnelles et de mise en œuvre liées aux contraintes sanitaires et prendre en compte le fait que la formation des étudiant·es / lycéen·nes aura été incomplète cette année. Il serait inconscient et dramatique pour tout le monde de continuer comme si cet épisode n'était pas arrivé. On ne peut pas envisager la pédagogie et le rapport aux étudiant·es sans tenir compte de ce contexte.
D'ores et déjà, l'université de Poitiers prévoit des solutions dites "hybrides"
[1] pour que les enseignements aient lieu dans le respect des normes sanitaires : recours aux classes virtuelles, podcasts, webinaires... en alternance avec des cours en présentiel (dans un système de rotation de groupes). Ces pistes inquiètent les collègues, qui mesurent la dégradation des conditions d'enseignement et d'apprentissage, la surcharge de travail, la limitation des interactions, l'appauvrissement des "groupes-classes", les inégalités engendrées, le grignotage encore accentué du temps de travail consacré à la recherche. Le danger de l'hybride est particulièrement fort pour les étudiant·es de licences première année soumis au risque absolu et inévitable de décrochage et de mal-être. Le développement du distanciel conduira aussi à freiner la vie sociale des étudiant·es et les échanges entre eux qui contribuent aussi à leur formation et leur émancipation.
Il ne faut pas ignorer non plus la question de la restauration et des conditions de logements pour des étudiant·es qui devront payer un loyer pour assister parfois à une semaine de cours par mois, alors que nombre d'entre eux seront touchés par la diminution des emplois étudiants.
Les nombreuses incertitudes dans lesquelles cette rentrée doit se préparer renforcent ces inquiétudes.
Certes, la mise en place de la rentrée est une tâche extrêmement complexe, d'autant que tous les paramètres ne sont pas connus. Pour le SNESUP-FSU, il est indispensable de privilégier l'enseignement en présentiel, et pour cela d'examiner toutes les pistes possibles : utilisation de locaux hors université avec les moyens techniques et de personnels associés, dédoublements des groupes, recrutement de personnels, etc.
Mais toutes les solutions ne se valent pas et le SNESUP-FSU n'acceptera pas n'importe quelles conditions : les solutions qui dégradent les conditions de travail et d'études doivent rester temporaires et être modifiées en cas de levée des contraintes sanitaires. Elles ne doivent pas être l'occasion d'imposer aux collègues des pratiques pédagogiques ou des outils particuliers, à court comme à long terme. Si enseignement en distanciel il y a, cela ne peut s'envisager sans une aide à l'équipement des étudiant·es et des personnels. Les mesures pédagogiques ne peuvent se prendre sans tenir compte des activités de recherche dans le service des EC. Enfin, les moyens dégagés pour la mise en place de cette rentrée particulière (y compris le choix de certains outils numériques) ne doivent pas mettre en péril les investissements utiles de façon pérenne pour l'université.
Localement, le SNESUP-FSU demande à ce que toutes les pistes pour maintenir le présentiel soient explorées et que la gestion de crise soit pilotée de manière collégiale et dans le respect de la représentativité des instances, tant sur le plan sanitaire que pédagogique.
Plus que jamais, dans cette situation d'une complexité inédite, il est primordial de discuter avec les personnels concernés et les équipes pédagogiques. Dans ce contexte, le CHSCT, le CT et la CFVU ont un rôle important à jouer. Conscient que tout ne relève pas de la politique locale, le SNESUP-FSU dénonce l'abandon dans lequel le ministère a laissé les établissements et les personnels pour gérer la crise sanitaire - ne se manifestant que dans la publication de décrets réactionnaires et l'entêtement à imposer la LPPR, le BUT, la certification en anglais par des organismes extérieurs à l'université dès la licence et la réforme de la formation des enseignants. Loin de tirer les conséquences du désengagement de l'état dans la crise actuelle, avec un nombre d'étudiants croissant et une diminution continue des recrutements enseignants et de BIATSS, le ministère tente d'instrumentaliser l'épidémie pour imposer son modèle néo-libéral. La rentrée de septembre nécessite un effort budgétaire à la hauteur des enjeux universitaires mais également économiques, sociaux et écologiques, la crise actuelle ne faisant qu'amplifier le manque criant de moyens dont souffre l'université française.
Refusons de sacrifier une génération entière d'étudiant·es, d'épuiser les personnels de l'ESR, de mettre en danger la recherche effectuée à l'université. Le SNESUP-FSU appelle le gouvernement et la représentation nationale à prendre ses responsabilités et à donner dès maintenant les moyens nécessaires au service public de l'enseignement supérieur et de la recherche. Pour cela, un plan d'urgence pour l'enseignement supérieur et la recherche, avec recrutement de personnels, est plus que jamais nécessaire ! Pas de retour à l'anormal !
Section Snesup-Fsu de l'Université de Poitiers
[1] en conformité avec les préconisations du ministère : https://services.dgesip.fr/fichiers/Fiche_10_-_Hybrider_la_formation_dans_un_contexte_restreint.pdf