Le nouveau cahier des charges des grades de licence et de master1, publié le 27 janvier 2020, permet dorénavant d'accorder le grade universitaire à des diplômes d'établissements, publics et privés, en plus des diplômes nationaux. C'est la porte ouverte à une dérégulation complète de la nomenclature des diplômes permettant par exemple à des bachelors d'obtenir le grade universitaire de licence comme le diplôme national de licence mais avec des règles d'accès aux diplômes différentes en termes de frais, notamment d'inscription, et de modalités de fonctionnement. La déclinaison de l'année en blocs de compétences, qui apparaît comme une nécessité dans ce cahier des charges, a pour objectif de découper les diplômes en certifications monnayables auprès des employeurs. D'ailleurs, l'extrait "pour répondre aux exigences du marché du travail en matière d'insertion mais aussi, le cas échéant, aux besoins émergents de nouvelles filières et de nouveaux métiers, la présence de représentants du monde socio-économique au sein de l'équipe pédagogique comme l'existence de relations formalisées avec le monde professionnel concerné par la formation sont nécessaires" ouvre la porte à la mainmise du monde socio-économique sur les objectifs et contenus des formations. Certes, la participation de professionnels des entreprises dans les enseignements de formations à insertion professionnelle immédiate est pertinente. Mais avec ce nouveau cahier des charges, elle deviendra le primat au sein de la formation.
Le cahier des charges se présente comme une véritable atteinte aux libertés académiques (méthodes pédagogiques, contenus). Il met en avant une démarche pédagogique spécifique, l'approche par compétences, dans l'attribution du grade universitaire. Plus inquiétant, il fait même disparaître la référence à l'autonomie pédagogique et scientifique, qui est le fondement du fonctionnement des universités.
Pire encore, le nouveau cahier des charges laisse le choix aux établissements de recourir à des officines privées pour certifier les compétences transversales dans les domaines du numérique et des langues étrangères des étudiant.es.
Certains indicateurs associés aux conditions d'attribution du grade sont discutables. La part de "permanent" ne distingue pas les CDI des fonctionnaires dont le recrutement par concours et le statut garantissent l'indépendance de l'enseignant et une homogénéité de la qualité des formations sur l'ensemble du territoire. La référence au nombre de publications et brevets de l'équipe pédagogique comme gage de qualité de la formation est en contradiction avec la déclaration de San Francisco2 qui remet en cause l'usage croissant du classement bibliométrique comme indice au service de l'évaluation de la Recherche ou des chercheur.es.
Cette dérégulation des formations officialisées par ce nouveau cahier des charges des grades universitaires de licence et de master s'articule avec l'expansion des formations privées dans l'ESR grâce entre autres au soutien des collectivités territoriales. C'est une véritable porosité entre le public et le privé qui s'installe, l’État devenant un opérateur de régulation des diplômes.
Au CNESER du 29 novembre 2019 où ce cahier des charges a été débattu, il a été largement rejeté (42 contre, 1 pour, 28 abstentions). Le SNESUP-FSU a présenté des modifications pour préserver un service public de qualité et dénué de tout intérêt économique : l'autonomie pédagogique et scientifique (41 pour, 23 contre, 11 abstentions), la référence à des certifications publiques en langue via le CLES3 (52 pour, 0 contre, 10 abstentions, 4 refus de vote), le remplacement de la bibliométrie par un critère d'adossement de l'équipe pédagogique à des unités de recherche reconnues par l'État (45 pour, 2 contre, 16 abstentions, 4 refus de vote). L'éviction des amendements du SNESUP-FSU par le ministère montre la volonté du gouvernement de développer le "nouveau management public" et la marchandisation de l'enseignement supérieur dans une logique néolibérale.
Le SNESUP-FSU dénonce la fragilisation du service public qui en découle et qui réduit les possibilités d'accès aux études supérieures pour les étudiant.es d'origine modeste. Il réaffirme son attachement à un service public de l'ESR, ouvert, gratuit, laïque et de haut niveau au service de toutes et tous. Il exige des financements et des emplois de fonctionnaires à hauteur des besoins pour garder le haut niveau de qualité des formations publiques.
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