Le Snesup a été reçu au MESRI le 23 novembre dans le cadre de la concertation sur l'évolution du cadre réglementaire de la formation des enseignants. Trois documents avaient été envoyés avant l’audience : arrêté master MEEF, attendus à l’entrée du master, référentiel de formation.
Nous avons pointé les problèmes que pose le projet de “réforme” : du point de vue de la formation (quel master ?), en montrant les contradictions avec ce que la recherche nous dit de la formation des enseignants, en explicitant ce que le “terrain” peut apporter à la formation, en interrogeant l’avenir des structures de formation et des personnels (absence de démocratie, négation de la collégialité universitaire, remise en cause des enseignants 1er et 2 d degrés affectés plein temps.).
Nous avons pu présenter notre analyse des documents soumis et réaffirmer que rien, dans les mesures présentées, n’est susceptible d’améliorer la formation. Certaines contribuent à renforcer les tensions entre situation professionnelle et formation universitaire, d’autres créent de fausses oppositions entre collègues de statuts différents, toutes renvoient à une certaine conception de la formation, que les ministères supposent partagée par tous, mais ne l’est pas en réalité : la prévalence du terrain sur toutes les autres composantes de la formation.
Lors de cette audience, le Snesup-FSU a exprimé une nouvelle fois son opposition au projet de “réforme” de la formation des enseignants dans son contenu actuel et à la méthode employée par le MEN et le MESRI, qui consiste à modifier les textes de manière fragmentée sans jamais discuter l’architecture d’ensemble de la formation.
Nous aurons l’occasion de voir très prochainement ce que les ministères retiendront de l’ensemble de ces audiences, menées en parallèle au MEN et au MESRI – les textes devant être publiés d’ici janvier 2019 (avant le vote de la loi “École de la confiance”).
Notes de l'audience \ audience_mesri_23_nov_2018_cr.pdf
Délégation Snesup : Muriel Coret, Vincent Charbonnier, Stéphane Tassel, Michèle Artaud, Gilles Tabourdeau (MAT).
Nathalie Hervé (DGESIP) Laurent Régnier (DGESIP) Marianne Tomi (DGESCO), Rachel-Marie Pradeilles-Duval (MESRI) et un représentant de la DGRH (DGESCO)
Nous remercions le ministère pour cette invitation, mais tenons à exprimer d’emblée des réserves, à la fois sur la méthode de cette concertation et sur le fond du projet de réforme :
Sur la méthode :
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Nous regrettons la forme fragmentée des discussions : au MEN et au MESRI ; sur l’arrêté / le référentiel / les attendus / le prérecrutement (autre périmètre) ; sur le projet de loi (structure ESPE et direction)... mais pas sur le projet global, ni sur les deux points qui sont identifiés par tous comme les deux problèmes majeurs de la situation actuelle : la position du concours et l’utilisation des stagiaires comme moyens d’enseignement.
D’autre part, nous nous demandons ce qu’il est possible d’espérer de ces concertations:
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Les points concernant la FDE ont reçu des avis négatifs très majoritaires dans les instances où ils ont été présentés (CSE, CNESER, CTMESR), sans que cela soit pris en compte.
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Les textes sont en consultation depuis au moins le 2 octobre, sans changement malgré les discussions.
MESRI : Les textes n’ont pas bougé pour que toutes les concertations se passent avec les mêmes textes et la même base.
Snesup : Quel est le calendrier ?
MESRI : On travaille d’abord sur le parcours de référence, ensuite sur les parcours adaptés ; le parcours de référence n’est pas indépendant de la discussion sur la professionnalisation de la licence ; ¼ des étudiants en premier cycle sont concernés. On est conscient que la place du concours et son contenu sont essentiels. Le calendrier est court sur la première partie : début de mise en oeuvre à la rentrée 2019 et donc publication des textes le plus tôt possible avec un “accompagnement” (dixit le MESRI) pour éviter ce qui s’est passé en 2013. Décembre 2018/janvier 2019 période intense.
Sur le fond :
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Nous sommes très inquiets des projets sur la FDE. En particulier, nous nous demandons (qu’est-ce) qui fait la preuve que les mesures annoncées vont améliorer la formation à court terme, en attendant une réforme global. Nous avons toutes les raisons de penser que ces mesures ne vont pas améliorer la formation, mais vont la dégrader encore.
Nous souhaitons que la discussion s’engage autour de 4 points :
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ce que la recherche nous dit sur la FDE
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le “terrain” et ce qu’on en attend dans la formation
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le type de master que les projets en cours dessinent
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l’avenir de la structure ESPE et des personnels
1. Ce que la recherche nous dit sur la FDE
Les recherches en éducation peuvent outiller la réflexion, et fournissent des arguments pour penser que les mesures actuelles vont contribuer à détériorer la formation (écologie didactique):
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Les conditions prévalant dans notre société aujourd’hui, et qu’on ne peut pas changer d’un claquement de doigts, sont peu favorables à une formation au sens fort des enseignants, comme on forme des médecins par exemple ;
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Pour survivre, cette formation requiert donc un effort important qui suppose :
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que l’on puisse avoir une skholè : toute "école" doit pouvoir être une trêve qui prime sur ce qu'elle suspend : les affairements de la vie quotidienne et les occupations serviles
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que l’on ait le temps de travailler la partie qui justifie, produit les pratiques, qui est indispensable à une formation “au sens fort” ;
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que des équipes constituées puissent travailler dans la stabilité de façon à pouvoir mettre les résultats de la recherche au service de la formation.
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Pour faire évoluer le métier, on a besoin d’une formation un peu “préservée”, de conditions sereines pour travailler en équipe et aussi pour produire et réfléchir. On a dans les équipes des enseignants et des chercheurs dont les compétences en constitution de formation sont avérées ; il est inconcevable qu’ils fassent le contraire de ce qu’ils savent être productif.
Or les conséquences des mesures envisagées par le ministère ne vont pas créer ces conditions. Sans reprendre le détail de textes, on peut citer quelques points très inquiétants :
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attribuer 40 ects pour le stage en M2, c’est considérer que le stage vaut 80% de la formation - ce qu’aucun autre master ne fait
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formuler l’injonction qu’un tiers de la formation au moins doit être faite par des collègues en service partagé. Etant donné que les équipes de direction font valoir que c'est déjà le cas, et que dans le même temps on manque de bras pour la recherche dans les ÉSPÉ, quel message envoie-t-on aux collègues et aux étudiants, stagiaires ?
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exclusion des personnels dans la désignation du directeur, contre toute collégialité universitaire, au motif que la nomination conjointe du directeur par le rectorat et le président d’université suffirait à “les engager” dans la formation
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prescription de volumes horaires et de pratiques pédagogiques au détriment de la liberté pédagogique
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sélection à l’entrée du master par des attendus qui correspondent en réalité à ce qui est travaillé en master et ne saurait logiquement l'être dans toutes les licences qui ont par ailleurs leurs finalités propres.
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mise en responsabilité dans les classes - c’est-à-dire seuls dans les classes - d’étudiants
MESRI (L. Régnier) : Le poids réel du stage avec 40 ects n’est pas 80% de la formation mais 30% si on compte sur l’ensemble des 120 ects de master, ce qui est en-deçà de ce que cela devrait peser. Cela répond à une revendication des étudiants : compte tenu de la lourdeur du travail, il faut le valoriser.
Snesup : Nous comprenons l’argument, mais nous le contestons. Notre position est que le stage dans ses modalités actuelles est trop lourd, donc le valoriser dans l’évaluation ne répond pas au problème. Ce qu’il faut, ce n’est pas que le stage compte davantage, c’est changer les modalités de stage : pas à mi-temps tout seul toute l’année.
SCO : Mais le stagiaire n’est pas tout seul, il y a de l’accompagnement.
Snesup : Il faut rappeler le réel : il y a des inégalités entre les berceaux de stage, des situations très disparates, avec des tuteurs présents ou non (pas dans la même école en général pour les PE) et plus ou moins formés. Les berceaux ne sont pas choisis pour la formation mais en fonction de paramètres extérieurs (proximité, besoins RH). Être “en stage”, sur le terrain, ne suffit pas à être en formation : dans les écoles qui accueillent des stagiaires, les collègues ne sont pas eux-mêmes formateurs ; les stagiaires sont mis en situation de gérer des difficultés nombreuses et de natures différentes (y compris sur des aspects “périphériques”), difficultés nombreuses et de natures différentes qu'ils sont censés affronter comme s'ils étaient des professionnels experts.
SCO : La qualité de l’accompagnement tient aussi aux outils mis en place (grille d’observation, livret de stage, livret du tuteur).
Snesup : Le stage à l’année aura pour effet de polariser la formation universitaire sur ce stage et uniquement sur lui au détriment d’autres situations possibles. Ce n’est pas une formation au métier mais une adaptation à l’emploi. De fait, les stagiaires n’approcheront pas d’autres terrains. En outre, ils se trouvent ensuite affectés, après la titularisation, sur des postes très différents de celui du stage, précaires (à l’année) et donc différents d’une année à l’autre pendant plusieurs années avant d’être titulaire d’un poste et de pouvoir “s’installer” un peu dans le métier.
2. Le ”terrain” et ce que la formation peut en attendre
On voit que le projet repose sur une conception particulière de la formation des enseignants
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Le terrain : ne sont légitimes à former que les collègues eux-mêmes sur le terrain, l’évaluation du master se joue sur le stage, c’est-à-dire sur le terrain
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Les enseignants, de tous les niveaux, sont des exécutants - qui n’ont pas droit à la parole dans leurs propres instances universitaires, qui doivent appliquer les prescriptions tant sur les horaires que sur les contenus et jusqu’aux modalités de travail (le serious game…)
Mais le stage ou le terrain ne font pas tout
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Les étudiants, dans le cadre des stages et, plus généralement, les collègues qui résistent le mieux aux difficultés du métier d’enseignant sont ceux qui arrivent avec un bagage didactique solide. Ceux qui rencontrent des problèmes de gestion de classe, hors cas d’élèves “explosifs”, sont souvent ceux qui ne sont pas armés pour construire des enseignements pertinents.
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Le stage n’a de sens dans la formation que si il est progressif, accompagné par des formateurs “formés” (qui ne font pas de la formation simplement avec l’exemple de leurs seules propres pratiques, sans les avoir comparées à d’autres, analysées avec d’autres etc.), et au service de la formation initiale. Il doit permettre à l’étudiant de se questionner sur le métier, sa pratique, les disciplines enseignées, les méthodes d’enseignement afin de pouvoir commencer à faire face à l'évolution du métier - ce qui devra être poursuivi tout au long de sa carrière.
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Si, au contraire, la formation n’est qu’au service du stage, les futurs professionnels ne sauront répondre qu’à un type de poste sans avoir les ressources nécessaires pour relever les défis de l’école de demain (par exemple l’inclusion, à moyens constants, de 80% des élèves en instituts à l’horizon 2021).
SCO : Mais le stage est quand même formateur, c’est important de suivre les apprentissages sur le temps d’une année.
Snesup : Cela demande que les stagiaires aient les mêmes compétences que les enseignants expérimentés… Dans la formation des pilotes ou des médecins, on peut s’entraîner sans mettre personne en danger, avoir un accident et mourir “pour de faux”… Mais pour les enseignants, on est sans filet tout de suite, avec de vrais élèves.
DGESIP : Est-ce que de ce point de vue les dispositifs de stage massé sont meilleurs ?
Snesup : Tant qu’on est sur du mi-temps, c’est trop lourd.
3. Le master
Snesup : Dans le master tel qu’envisagé par les textes du ministère, le poids relatif que représente le stage et la partie dite académique pose problème. Evaluer le stage à 40 ects, ça voudrait dire alors évaluer par compétences du tout transversal, en situation. Cela fait débat, et poserait aussi la question de l’encadrement et du suivi (on ne développe pas ici).
MSERI : Pour répondre à ces problèmes constatés sur l’année de M2, comment voyez-vous ce qui peut se faire avant ? En M1 voire en Licence ?
Snesup : Est-il envisagé de créer de nouvelles mentions de licence ? Comment peut-on imaginer assortir toutes les licences de contenus didactiques ? Observer ne suffit pas, il faut réfléchir à ce qui justifie les pratiques. Mais si on fait des contenus didactiques en licence… quand les contenus des licences elles-mêmes seront-ils abordés ?
MESRI : Pas de nouvelles licences en tant que telles, mais des parcours qui orientent vers le MEEF, avec de la prépro.
Snesup : Il faut alors poser la question de l’articulation entre licence et master et du droit à la poursuite d’études.
Il ne peut pas y avoir les attendus licence et en plus des attendus spécifiques pour le MEEF. Les attendus tels qu’envisagés par le ministère ne sont pas du tout réalistes : la marche est trop haute. On ne peut pas penser, pour justifier une responsabilité en M2 trop difficile parce que trop lourde, reporter en amont, sur l’étudiant lui-même et dès la licence la responsabilité d’avoir acquis les compétences nécessaires pour enseigner. Ce serait à l’étudiant de faire les bons choix en licence, d’aller de lui-même sur le terrain avant le master… Nous ne souhaitons pas sélectionner les étudiants, nous souhaitons avoir du temps pour former les étudiants tels qu'ils sont et tous (pas seulement ceux qui sortent juste de la licence).
MESRI : Que peut-on attendre de la prépro pour ce vivier d’étudiants qui se destinent au master MEEF ?
Snesup : Certainement pas qu’ils possèdent déjà les contenus que nous travaillons justement en master ! Si on peut s’attendre à ce qu’un item comme “identifier globalement les acteurs internes et externes à l’école et leurs rôles respectifs” soit effectivement abordé en prépro, il est impensable d’attendre qu’en fin de licence les étudiants aient construit une “approche des notions relatives aux programmes de la ou des disciplines à enseigner aux différents niveaux d’enseignement (collège et lycée)” ou “aient acquis une maîtrise suffisante des savoirs didactiques et disciplinaires enseignés à l’école primaire”. Il s’agit là de savoirs qui sont construits pendant la formation en master.
MESRI : Les attendus n’ont pas vocation à sélectionner, ils ne sont pas excluants. Il faut les réécrire dans le cadre d’une réflexion sur la licence. Les attendus interrogent la responsabilité des établissements dans leur implication dans les ÉSPÉ et la formation des enseignants.
Snesup : Encore faudrait-il qu’il y ait les forces suffisantes dans les ÉSPÉ et les universités, et des terrains de stage en nombre… Pour le moment, dans de nombreux cas, les étudiants en prépro doivent eux-mêmes contacter les écoles pour espérer être pris en stage quelque part.
4. La structure ÉSPÉ
À quel problème le changement de désignation des directeurs des ÉSPÉ est-il censé répondre ? Les personnels sont déjà minoritaires dans leur Conseil… pourquoi renforcer encore l’emprise de l’institution dans la désignation du directeur jusqu’ici élu par le CE ? Les collègues le prennent comme un signe de défiance.
Ce qu’on demande, c’est avoir le même traitement que toutes les autres composantes : les personnels doivent avoir la main sur les conseils.
La FDE que nous défendons
Nos métiers ne sont pas des semi-professions… Ce qu’on ne veut pas : une formation par les pairs, une formation qui ne mobilise pas des sciences pour produire et justifier les pratiques, une formation qui viserait des professionnels incapables de justifier ce qu’ils font autrement que parce c’est comme ça qu’on leur a dit de faire ou qu’ils ne savent pas faire autrement (et que “ça marche”). Pas une formation qui est incapable de répondre, si peu que ce soit, aux questions au coeur du métier au motif que les savoirs nécessaires ne sont pas connus ou disponibles voire sont méprisés.
Une formation donc qui réponde à la promotion de nos métiers comme des métiers de concepteurs et pas d'exécutants (est-ce une conception partagée ? réponse positive de l’ensemble des interlocuteurs).
Ce que nous voulons :
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Des moyens pour assurer le recrutement des EC selon les besoins d’une formation universitaire ;
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Des moyens pour faire exister des équipes plurielles selon les besoins d’une formation professionnelle ;
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Des stages à tiers-temps maximum et hors « plafond d’emploi » pour donner le temps aux fonctionnaires stagiaires de se former à un métier de conception ;
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Des lieux de stage définis en fonction des besoins de la formation et de l’encadrement et non des besoins et plafonds d’emplois ;
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Des instances démocratiques au sein des ÉSPÉ ;
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Un budget fléché pour les ÉSPÉ dans la mesure où ce sont des structures académiques et inter-universités.
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En ce qui concerne la concertation ?
Snesup: Sur la forme : une concertation unitaire MEN + MESRI.
MESRI : Les réunions au Sup sont ouvertes, pas d’exclusive a priori.
Snesup: Sur le fond, il faut entrer dans la réflexion sur l’ensemble de la formation, pas par petits bouts. Nous ne souhaitons pas une concertation qui n’amène pas à changer les maquettes ou à modifier le fonctionnement des équipes à la rentrée 2019 pour ensuite changer encore, quand l’architecture de la formation changera (du fait de la position du concours). Les collègues ne suivront pas. Nous faudrait-il penser qu’on n’a pas besoin que les collègues adhèrent, et que le ministère rédigera les maquettes tout seul, que les collègues n’auront qu’à appliquer ?
MSERI : Les projets actuels veulent réorganiser la formation qui existe dans les ÉSPÉ, pas tout changer. Suite des concertations bilatérales puis concertation multilatérale. L’objectif est de sortir les textes rapidement et de voir comment on accompagne leur appropriation dans les ÉSPÉ.
DGESIP : il n’est pas question que la DGESIP fasse les maquettes.