Tribune parue sur le site de L'Obs, le 5 novembre 2018
Quand l’antisémitisme surgit à bas bruit en faculté de médecine
TRIBUNE. Inscriptions antisémites, injures et harcèlement... Des faits graves se sont multipliés ces dernières semaines. Trois enseignantes questionnent : nos sociétés démocratiques peuvent-elles parvenir à sortir de l'antisémitisme grâce à la force et la valeur de leurs propres principes fondateurs ?
Céline Masson, référent racisme et antisémitisme, coresponsable du réseau de recherche sur le racisme et l'antisémitisme (RRA), professeure des universités, centre d'Histoire des Sociétés, des Sciences et de Conflits, Université de Picardie Jules-Verne.
Isabelle de Mecquenem, référent racisme et antisémitisme, coresponsable du réseau de recherche sur le racisme et l'antisémitisme, professeure agrégée en ESPE, Université de Reims-Champagne-Ardenne
Martine Benoit, professeure des universités, université de Lille, directrice de la Maison européenne des Sciences de l'Homme et de la Société.
Depuis plusieurs semaines, des incidents provoquent stupeur et consternation. Inscriptions antisémites visant le doyen par intérim de la faculté de médecine de Créteil, harcèlement subi par une étudiante d'origine juive en deuxième année de médecine à la faculté de médecine de l'Université de Paris 13. L'étudiante dénonce des "blagues" sur la Shoah, des saluts hitlériens, des "jeux" qui consistent à lancer des kippas et à les piétiner. Ces événements ont eu lieu pendant des week-ends d'intégration. Dans une autre université, c'est une interne en médecine qui diffuse des messages racistes, antisémites et négationnistes sur son compte Twitter.
Si les faits relatés troublent profondément, c'est non seulement parce qu'ils semblent moralement insupportables, mais aussi parce que leur contexte universitaire les rend de prime abord improbables et illisibles sauf à les réduire à d'autres phénomènes : humour potache à la dérive, variante de harcèlement moral, forme larvée de bizutage.
Une terreur ciblée
Rappelons que le droit qui régule nos sociétés démocratiques a une fonction symbolique et anthropologique et qu'il est fondamental que nos établissements d'enseignement supérieur réaffirment ces limites et la conscience des interdits. Ces actes participent d'une transgression que la loi du 17 juin 1998, actualisée par celle du 27 janvier 2017 relative au bizutage (1), prescrit formellement. Or, les faits à Paris 13 relèvent d'une forme de terreur ciblée d'autant plus inquiétante, qu'elle participe d'une violence ritualisée et de l'esprit même d'une future corporation dont l'éthique hippocratique relève de principes déontologiques où l'humain dans sa vulnérabilité et sa dignité est au centre des préoccupations, quelles que soient les origines.
Les étudiants impliqués, qui sont les soignants de demain, ont vraisemblablement inventé un bizutage d'un autre type à l'heure où la sexualité n'est plus le tabou majeur : là où la mort était tournée en dérision, c'est la figure du juif et ce qui lui est associé (la Shoah) qui est dénigrée et objet de railleries. Ainsi assiste-t-on à ce que l'on pourrait nommer une "Shoah party" dans un registre de dérision et de transgression mêlées dont la chanson de Dieudonné "Shoananas" est un exemple paradigmatique. L'humour, mécanisme de défense bien connu, semble autoriser l'expression de haine, surtout si celle-ci prend naissance dans un groupe qui suspend la responsabilité individuelle.