Séminaire du 11 janvier 2018 : les transformations du travail universitaire

Publié le : 07/06/2018

Retour sur le séminaire « Les transformations du travail universitaire »

Retour sur le Séminaire « Les transformations du travail universitaire » 

Les quinze dernières années de réformes de l’enseignement supérieur ont profondément affecté l’exercice de notre métier. Si les causes de ces évolutions sont bien connues et analysées, leurs impacts sur nos conditions de travail, la nature de nos missions et leur exercice sont moins étudiés. Le séminaire sur « les transformations du travail universitaire », coorganisé par la direction du SNESUP-FSU et les camarades du chantier travail de l’Institut de recherches de la FSU, a réuni une quarantaine de participants le jeudi 11 janvier à l’ÉSPÉ de Paris. Nous avons pu échanger à propos de nos expériences, proposer des concepts, des outils et des méthodes qui permettent de mener une réflexion de terrain, sur l’activité des enseignant.e.s-chercheur/euse.s et des enseignant.e.s du supérieur.

Qu’est-ce qu’enseigner dans l’enseignement supérieur ? Qu’est-ce que faire de la recherche en 2018 dans nos disciplines, dans nos laboratoires, dans le contexte institutionnel national et international. Qu’est-ce que s’engager dans les missions de coordination et de direction ?

Si les réformes de ces dernières années ont pu se déployer, c’est que des enseignant.e.s et des enseignant.e.s-chercheur/euse.s qui se battent pour continuer à bien faire leur travail ont bricolé avec leurs valeurs, leurs savoir-faire et leurs connaissances pour parfois s’y conformer, parfois les adapter ou résister et s’en détacher. Pour reprendre une remarque d’Yves Baunay, « nous sommes à la fois des parties du problème et de la solution ».

Enfin, si nous souhaitons aujourd’hui questionner nos activités, ce n’est pas pour nous auto-analyser ou nous évaluer mais pour faire du syndicalisme. C’est pour identifier les transformations génériques de nos activités, construire des mandats permettant d’améliorer nos conditions de travail ainsi que l’organisation du travail, de reprendre la main et de reprendre en main nos missions, et de permettre de continuer à y trouver du sens, si possible conformément à nos valeurs. Car si nous avons des métiers formidables, reconnaissons qu’ils nous permettent parfois de nous épanouir mais que parfois aussi, ils nous rendent malades.

Le séminaire a été organisé en plusieurs temps.
Le matin, nous avons eu le plaisir d’accueillir Yves Schwartz, philosophe, professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille en ergologie. Pour nous outiller en concepts et introduire l’analyse des activités de notre travail universitaire.
Dans un deuxième temps, nous nous sommes réunis en ateliers afin de recueillir nos paroles de pédagogues et de chercheurs à propos de trois dimensions de la transformation de notre travail :
n l’évolution des missions et l’intensification du travail (les prescriptions et leurs évolutions en lien avec les réformes) ;
n le travail collectif versus le travail individuel, ainsi que les lieux de travail (l’activité et l’interprétation de la prescription) ;
n les formes de reconnaissance, la satisfaction et le sens du travail (la santé et les conséquences de l’activité).
L’après-midi, après une restitution des premiers résultats de l’enquête du SNESUP-FSU sur les conditions de travail des enseignant.e.s et des enseignant.e.s-chercheur/euse.s, deux tables rondes ont permis, pour la première, de recueillir les expériences et les pratiques de recueil des activités des enseignant.e.s et des enseignant.e.s-chercheur/euse.s, et pour la seconde, de proposer des perspectives d’usages syndicaux de ces données.
Enfin, nous avons eu le plaisir de conclure cette journée avec Roland Gori, psychanalyste, professeur émérite de psychologie et de psychopathologie clinique à l’université Aix-Marseille, fondateur de l’Appel des appels et coauteur du « Manifeste des œuvriers ».
Ce séminaire s’est conclu par le lancement des Assises du travail universitaire, qui coordonneront les travaux de recueil des données et analyses de nos activités qui se déploieront dans nos sections locales au cours des prochains mois.

 

La conférence d’Yves Schwartz, philosophe et professeur émérite d’ergologie, a permis de rappeler l’importance d’une réflexion syndicale sur le travail, sur l’activité des enseignant.e.s et des enseignant.e.s-chercheu/euse.s, ainsi que sur celle des syndicalistes eux-mêmes (bien abordée dans l’ouvrage Syndicalisme, c’est quoi ce travail ?). En présentant des concepts tels que « l’usage de soi » et « la renormalisation » du travail prescrit, Yves Schwartz a rappelé que tout travail est un usage de soi par les autres et par soi-même, que nous ne sommes jamais de simples exécutants des normes prescrites, que tout travail est un lieu de renormalisation individuelle et collective de la prescription et que toute situation de travail dispose d’une réserve d’alternatives. À travers les concepts de savoir-valeur et de travail invisible, les spécificités des activités des enseignant.e.s et des enseignant.e.s-chercheur/euse.s ont pu être également abordées. Les savoir-valeur (tels que ceux qui contribuent aux renormalisations) ne sont pas quantifiables tout comme une grande partie de nos activités pédagogiques ou de recherche, qui ne sont pas ni recensées par les indicateurs de productivité, ni reconnues par les normes de bonne gestion.

 

Le premier atelier a introduit un questionnement sur notre rapport au temps. Est-ce l’intensification de nos missions qui a évolué ou leur nature ? L’année universitaire officielle s’étendant maintenant du 1er septembre au 31 juillet, cette organisation laisse de moins et moins de temps pour la recherche. Cependant, plusieurs réflexions ont conduit à privilégier la seconde hypothèse. Parmi nos activités, nombreuses sont celles que nous ne percevons pas comme génératrices de « savoir-valeur ». Soit ce sont des tâches subalternes bureaucratiques, soit elles répondent principalement aux intérêts économiques, territoriaux et de court terme. Les appels à projets bureaucratisent nos activités. Le travail de recherche et de préparation des cours se retrouve être effectué « clandestinement », et progressivement relégué sur notre temps de travail invisible. Les tâches se subdivisent et se partialisent, entraînant une dispersion des activités pédagogiques, scientifiques. Le manque de personnels dédiés conduit à une inflation des activités administratives pour les enseignant.e.s et les enseignant.e.s-chercheur/euse.s. Face à ces constats, des formes de résistance s’organisent : remontée des maquettes sans répondre à l’injonction de la réduction de leur volume horaire, non-usage des logiciels qui imposent des quotas de promotions, non-réponse aux appels à projets… Le système génère également des fraudes ou des tricheries sur les chiffres…

Le deuxième atelier a rassemblé des collègues qui, tous, travaillaient sur plusieurs sites. Ils ont révélé que si les activités étaient organisées en équipes, les structures n’instituent plus des collectifs (avec des objectifs communs et une solidarité entre les membres). Les collectifs de travail s’organisent en dehors des structures administratives Au sein des structures, les activités sont le plus souvent réalisées individuellement sous la pression du temps et de la compétition.

Le troisième atelier s’est intéressé à la perte de sens que nous ressentons dans notre exercice. Celle-ci est due à la réduction du temps consacré à nos missions et en particulier à celui consacré à la recherche ; à la destruction des collectifs de travail, à la multiplication des évaluations, à la pression productiviste, à la réduction de l’autonomie et des libertés académiques et à la déstabilisation des laboratoires sous l’effet des restructurations.

Après que Gérard Grosse, responsable du chantier travail de l’Institut de recherches de la FSU, eut présenté une restitution des premiers résultats de l’enquête effectuée à partir des données recueillies en 2017 par SNESUP-FSU sur les conditions de travail des enseignant.e.s et enseignant.e.s-chercheur/euse.s, une première table ronde a réuni Catherine Delgoulet, qui a développé une méthode d’analyse de son activité d’enseignante-chercheuse, Dominique Cau-Bareille, maître de conférences en ergonomie, Isabelle de Mecquenem, responsable de la cellule harcèlement du SNESUP-FSU, et Michel Carpentier, membre du CHSCT du ministère (MESRI). Elles et ils ont débattu des possibilités de mettre en place sur le terrain, dans nos universités, dans la durée, une réflexion sur l’activité du travail universitaire.

La seconde table ronde a réuni Marie-Jo Bellosta, secrétaire nationale en charge du secteur Situation du personnel, Pascal Maillard, secrétaire national, élu au CHSCT de l’université de Strasbourg, Roland Gori et Hervé Christofol, pour échanger sur l’usage syndical des données recueillies et des analyses sur les conditions de travail en vue de remettre en cause et en débat l’organisation du travail universitaire.

 

Roland Gori, dans sa conférence, a questionné l’évaluation quantitative, formelle et procédurale du travail universitaire, génératrice de fraudes, de perte de sens, et de stigmatisation de nombreuses disciplines dont les publications ont des facteurs d’impacts moins élevés que d’autres. La hiérarchie des disciplines est socialement conditionnée. Les formes du savoir sont indissociables des pratiques du pouvoir, et actuellement règnent les mythes de la performance et de l’excellence qui sont adaptés du monde des chevaux de course et de l’audimat.
« Nous serions capables d’éteindre le soleil et les étoiles parce qu’ils ne nous versent pas de dividendes. » (Keynes)

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