Après avoir mis en place une plateforme par décret avant la promulgation de la loi, voilà que le gouvernement nous demande de donner un avis sur les décrets d’application alors que celle-ci a fait l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel.
Le CNESER est l’instance représentative démocratiquement élue de la communauté de l’ESR. Son travail, ses avis, ses membres élu.e.s se doivent d’être respecté.e.s. Nous attendons toujours un bilan du suivi de ses avis, qui nous avait été promis à l’issue de la dernière mandature comme lors de l’installation de ce conseil en juillet dernier.
Concernant les attendus : comment ont-ils été définis ? Sous l’injonction ministérielle, les doyen.ne.s des UFR des disciplines des mentions de licence ont mobilisé leur grande expérience et leurs connaissances pour jeter sur le papier une liste de compétences jugées nécessaires pour réussir en première année. La C3D, l'association des doyen.ne.s des UFR STAPS a pris ce travail très à cœur et a confectionné, probablement en s’appuyant sur les compétences qui devaient être acquises au cours de la première année de licence STAPS, une liste fort longue de compétences déclinées en capacités censées « informer » les lycéen.ne.s qui choisiraient de poursuivre leurs études dans cette filière, les attendus n’étant censés être qu’informatifs dans le jargon de la « start-up nation » macroniste. Cependant nos doyen.ne.s n’ont pas eu la pudeur gouvernementale de s’arrêter à ce niveau et ils et elles ont, comme de bien entendu, décliné ces attendus en critères de choix et en barème pour noter les candidatures, de celles et ceux qui auront choisi cette formation parmi leurs 10 vœux. Je ne reviendrai pas sur l’opportunité d’évoquer parmi ces attendus un engagement collectif sanctionné par un BAFA, ou des diplômes fédéraux payants pour en attester. Les discriminations sociales et de genre engendrées par les informations de parcoursup sont maintenant très bien documentées par de nombreu.x/ses chercheur.e.s en sociologie et plusieurs journaux s’en sont fait les échos. Les premières données comme celles issues du rectorat de Créteil[1] montrent des discriminations de genre.[2]
Les officines privées profitent de l’insuffisance du nombre de CoPsyEN et de la détresse des familles face à la plateforme pour proposer des services marchands : stages payants pendant les vacances d’hiver pour construire son dossier STAPS, coaching privé par webcam à 120 €/h pack « sérénité » à 560 € qui assure une place…
Tout cela n’est ni très rigoureux, ni scientifique et surtout guère plus légitime que le tirage au sort. Ainsi une équipe de pédagogues et scientifiques, il y en a dans l’enseignement supérieur, enseignant.e.s et enseignant.e.s-chercheur.e.s ont eu l’idée (saugrenue ?) de tester ce barème sur les étudiant.e.s de 1ère année de licence pour voir si elles et ils auraient été pris.es et là, surprise, nombre d’entre eux/elles ne passent pas le seuil d’acceptation pour pouvoir être inscrit.e.s à la rentrée 2018 alors qu’ils/elles réussissent leur formation. Mais mieux : le classement généré par cet algorithme national n’est pas corrélé avec le classement des étudiant.e.s au cours de cette première année !
Pourtant n’est-ce pas le sens que le ministère souhaitait donner à ces attendus ? Détecter et prévoir qui, à partir de données scolaires et personnelles, a les compétences pour réussir une première année du 1er cycle universitaire …
Le rôle des attendus sur lesquels nous sommes invité.e.s à donner notre avis aujourd’hui, est plus certainement d’accepter des lycéen.ne.s qui ont déjà bien performé dans les disciplines jugées comme des prérequis aux études de licence, donc de reproduire les inégalités sociales du lycée, de récompenser les bon.ne.s lycéen.ne.s et, par là même, d’interdire le brassage social permis par l’accès de droit des bachelier.e.s en licence pour toutes celles et tous ceux qui n’auront pas brillé au lycée, qui auront été orienté.e.s précocement dans une série de bac non conforme à leurs ambitions ou qui s’autocensureront face à ces exigences fussent-elles présentées comme informatives.
Quant au classement des candidat.e.s, pour une licence qui accueille 1000 bachelier.e.s et qui devrait donc classer les vœux de 10 000 candidat.e.s, cela reviendra à les distinguer au 1000e de point ; et avec une distribution gaussienne, à regrouper 1000 d’entre eux/elles entre 10 et 10,5 par exemple ! Pour toutes les filières qui ne seront qu’artificiellement mises en tension cela conduira à un travail inutile et stigmatisant pour les bachelier.e.s.
Enfin, quant au calendrier qui ne prévoit que 24 h pour répondre à une proposition en août, outre le fait que cela ne me semble pas très respectueux de l’égalité de traitement des citoyen.ne.s devant notre service public, tou.te.s les candidat.e.s n’ayant pas un téléphone ou un ordinateur perpétuellement connecté, cela isole et stresse le ou la candidat.e sans lui permettre de mesurer tous les impacts de sa décision. Le dernier mot à l’étudiant.e sera bien dans ce cas plutôt celui des recteurs et rectrices !
À propos des parcours spécifiques proposés à celles et ceux qui à l’issu des algorithmes locaux ou nationaux, n’auraient pas suffisamment de points pour atteindre le seuil d’acceptation du « OUI » et seraient cependant au-dessus de celui du seuil des « EN ATTENTE », à savoir les « OUI SI », le ministère a communiqué depuis plusieurs mois sur le fait qu’ils seraient proposés dans toutes les formations de licence. Après consultation des président.e.s d’université, une majorité d’entre eux/elles ont affirmé qu’ils n’en proposeraient pas faute de moyens pour mettre en place ces dispositifs (Marne-la-Vallée, Nice, Corse, etc). La communication ministérielle a donc évolué pour affirmer maintenant que ces dispositifs existaient déjà à peu près partout, … Rappelons que pour qu’une remédiation soit efficace, les chercheur.e.s en sciences de l’éducation ont démontré que ces dispositifs devraient être collectifs, simultanés et intégrés, c’est-à-dire proposés à tous et toutes et intégrés dans les maquettes.
Mais avec un budget 2018 en progression, de 15 M€ plus 20 M€ de rallonge, soit 35 M€ pour mettre en place cette réforme, comment accueillir 38 000 bachelier.e.s de plus ? Autrement dit comment à la fois financer :
- 38 000 places à 3400 € en 1/3 d’année soit 130 M€ ;
- la conception et la mise en place des enseignements de remédiation (parcours spécifiques) ;
- l’organisation et la réalisation du tri des dossiers évaluées à 6 M€ (soit moins de 1 € le dossier).
La Ministre affirme qu’elle est déjà parvenue à financer 17 000 places en licence avec 13 M€ cela porte l’investissement de l’État à 2294 € par année pleine soit 25 % du coût moyen ! C’est le niveau moyen d’investissement de la Colombie ou de l'indonésie. Nous ne prenons pas la trajectoire budgétaire votée avec la STRANES !
De plus, ces places supplémentaires ne sont pas renseignées dans Parcoursup. Nous en avons fait une extraction il y a 15 jours et les capacités d’accueil déclarées étaient très en deçà des annonces. Le ministère souhaite-t-il informer ou désinformer les lycéen.ne.s ?
Avec cette réforme, ces décrets et arrêtés, ce sont encore les personnels et les étudiant.e.s qui seront mis.es à contribution pour travailler plus (sélection, parcours spécifiques) pour gagner moins (CSG, jours de carence, gel du point d’indice et PPCR reporté) et pour la jeunesse, c’est un investissement quatre fois moindre que celui accordé aux générations précédentes !
Vous comprendrez, dans ces conditions, que nous ne voterons pas les attendus ni le calendrier de mise en place de la plateforme Parcoursup (qui prévoit 24 h pour donner une réponse dans le courant du mois d’août, …) et qui, avec 10 vœux non ordonnés, organise la sélection, la mise en concurrence des établissements et des bachelier.e.s au nom d’une idéologie qui n’a rien ni de scientifique, ni de pédagogique et qui ne se préoccupe pas plus de la réussite des étudiant.e.s que des conditions de travail des personnels de l’enseignement supérieur.
Notre organisation, aux côtés de plusieurs autres, appelle les personnels de l’ESR à se mettre en grève et à manifester pour des créations d’emplois, des revalorisations salariales et pour le retrait de la loi ORE le jeudi 22 mars 2018.
Paris, le 6 mars 2018
[1] SAIO CRETEIL. Le déroulement de la procédure de pré-inscription postbac 5 semaines après l’ouverture de la plateforme (26.02.2018)
[2] Une réactivité des filles par rapport à celle des garçons qui se creuse pour se connecter (+8,1 points contre +7,1 points au niveau national) et pour formuler au moins 1 vœu (+11,1 points contre +9,9 points au niveau national).