Communiqué de la section SNESUP-FSU de l'université Bordeaux Montaigne
16 janvier 2018
Cher.e.s collègues,
Le conseil d'administration de notre établissement va se réunir aujourd'hui. Il aura à prendre position par rapport aux deux motions votées par le comité technique vendredi dernier et par la C.F.V.U. hier. De nombreux éléments concernant la réforme de l'admission en première année ont été livrés. Les véritables chiffres de la réussite étudiante sont désormais connus (80% des inscrit.e.s sortent du système avec un diplôme universitaire). Le "scandale" APB a fait long feu. L'utilisation délibérée de cet argument devrait à tout le moins interroger, surtout quand, dans les salles feutrées de l'assemblée nationale, le rapporteur de la loi, le député (La République en Marche) M. Gabriel Attal peut tranquillement écrire "la généralisation d’APB a ainsi permis une réelle simplification des procédures et une meilleure connaissance de l'offre d'enseignement supérieur disponible sur tout le territoire français. Il s'agit d’une avancée majeure qu'il est évidemment essentiel de préserver et d'amplifier" ; souligner son "coût extrêmement raisonnable", tout en reconnaissant qu'en raison de la hausse démographique "la plate-forme a donc été amenée à gérer des situations, de plus en plus fréquentes, dans lesquelles le nombre de places dans des filières non-sélectives était insuffisant pour satisfaire toutes les demandes" ; et conclure après l'analyse de la session 2017 sur un satisfecit général "l'algorithme d'affectation a donc encore une fois plutôt bien fonctionné".
Le problème est bien celui d'insuffisantes capacités d'accueil, c'est-à-dire, dans certaines formations, d'un nombre de places ne correspondant pas à la demande. Le gouvernement promet des moyens… pour 2019, alors qu'il s'agit d'appliquer une réforme à marche forcée en 2018. Pour cette année en effet, rappelons-le, le budget par étudiant est en baisse par rapport à 2017. Là encore, les véritables intentions gouvernementales sont connues et figurent dans le rapport parlementaire : "Le Gouvernement estime que le nombre de dossiers à analyser dans les formations de Licence oscillera donc entre 2 et 2,5 millions, comme c'est le cas aujourd’hui. En moyenne, il y aura donc 1000 dossiers à analyser par formation de Licence. Ce nombre est significatif, mais peut être pris en charge par des équipes pédagogiques qui sont par hypothèse dimensionnées à la taille de la formation".
Les annonces et les promesses n'engageront que celles et ceux qui veulent bien les croire. Récemment, la ministre a parlé de 6 millions. En laissant de côté la question de l'origine de cette somme – la loi de finance a été votée, le ministère n'a pas compte ouvert dans le budget de la France –, livrons-nous à un rapide calcul. En 2017, APB comptait 12737 formations. L'aide reçue par formation est donc de 471 euros. Pour l'heure donc, il n'y a pas de moyens supplémentaires affectés. Si réforme il y a, son application se fera avec les moyens en baisse prévus pour 2018. Il restera alors à croire qu'après avoir fait la démonstration qu'il était possible de l'appliquer sans argent complémentaire, les universités recevront de ce gouvernement ce qu'elles n'auront pas eu jusque-là. Est-il en outre nécessaire de préciser que dans notre établissement, ces moyens ne deviendraient "supplémentaires" qu'après avoir permis le dégel de tous les postes et le renouvellement de tous les postes d'A.T.E.R.?
Mais dans tous les cas, les moyens ne justifient pas la fin. C'est bien cette réforme dans son ensemble qu'il faut combattre. Au préalable, il convient de rappeler quelques éléments juridiques. Le 30 août 2017, la CNIL a souligné que le traitement par algorithme ne respectait pas la législation, en particulier l'article 10 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée ("Informatique et liberté") selon lequel "aucune autre décision produisant des effets juridiques à l'égard d’une personne ne peut être prise sur le seul fondement d'un traitement automatisé de données destiné à définir le profil de l’intéressé ou à évaluer certains aspects de sa personnalité". Or, dans les faits, sans le dire aux intéressé.e.s (les futur.e.s bachelier.e.s et leurs parents), c'est bien un traitement automatisé qui est envisagé. Là encore, le rapporteur parlementaire ne s'en cache pas : "L'application des critères retenus par l’article L. 612-3 du code de l'éducation, lorsque les capacités d'accueil d’une formation non sélective sont insuffisantes au regard du nombre de candidatures, conduit à ce que les candidats dont le profil semble, ne serait-ce que de manière purement statistique, leur permettre d'obtenir le diplôme sur lequel ils se portent candidats, peuvent ne pas recevoir de proposition d’admission". Traduction : comme il ne sera pas donné de moyens supplémentaires, il est demandé aux universités de sélectionner leurs futur.e.s étudiant.e.s sur la base de considérations statistiques, sans doute en ayant une pensée pour les lettres de motivation qui ne seront même pas lues. Manque de moyens chroniques, orientation forcée, voilà donc la "réussite" qu'annonce cette réforme.
Pour ne pas alourdir ce message, rien ne sera dit sur la destruction de l'intérieur des licences puisque certaines auront un contenu disciplinaire important, d'autres en auront moins avec, à la place, des "compétences transversales" (U.E. de remédiation). Il en sera alors fini de fait du caractère national du diplôme, nul ne pouvant estimer la qualification que celui-ci reconnaît sans regarder le détail de la formation suivie, licencié.e. par licencié.e.
Mais même si cette analyse était contestée, il n'en demeurerait pas moins qu'il s'agit pour l'heure de savoir si un établissement universitaire doit s'engager dans l'application d'une réforme qui n'a pas été définitivement votée et qui ne dispose pas du cadre réglementaire permettant sa mise en œuvre. Il appartient aux membres du conseil d'administration de répondre aussi à cette question.
Cordialement,
Christophe Pébarthe, secrétaire de la section SNESUP-FSU de l'université Bordeaux Montaigne.