Ce 15 janvier ouvre Parcoursup, la nouvelle plateforme d'orientation post-bac. Derrière cette réforme d'apparence technique, mal préparée, imposée à marche forcée après l'échec programmé d'Admission post-bac (APB), se cache la mise en place de la sélection à l'entrée de l'université. Nous, lycéen·nes, étudiant·es, personnels de l'enseignement secondaire et supérieur, appelons à une mobilisation d'ampleur contre ce recul historique du droit à l'éducation.
Nous demandons l'arrêt de la mise en place de la réforme engagée avant même son adoption par le Parlement.
Nous exigeons le retrait du projet de loi « relatif à l'orientation et à la réussite des étudiants ».
- Premièrement, elle organise dans les faits l'exclusion de nombreux et nombreuses bachelier·es de l'université.
- Deuxièmement, la réforme telle qu'elle est proposée est inapplicable pratiquement et pourtant d'ores et déjà imposée dans les lycées et universités en dehors de tout cadre légal.
Nous sommes convaincu·es que la situation actuelle n'est pas tenable et doit évoluer mais avant tout par un investissement massif dans l'éducation, la création de places dans le supérieur, l'embauche de personnels titulaires et la mise à disposition de locaux.
L'année dernière, plus de 17 000 jeunes se sont retrouvé·es sans solution d'inscription dans le supérieur. Cette situation ne s'explique pas tant par la faillite d'APB que par l'impréparation des gouvernements successifs face à la hausse démographique. Elle n'appelle pas une simple solution technique mais le choix politique de donner les moyens aux établissements d'accueillir les étudiant·es dans de bonnes conditions. Il faudrait pour cela deux milliards d'euros par an, soit dix fois plus que l'investissement proposé par le gouvernement pour cinq ans. Faute de moyens, le nombre d'étudiant·es qui resteront sur le carreau en 2018 est amené à exploser, avec un niveau de tension dans les établissements universitaires jamais atteint.Parcoursup reproduira les injustices d'APB en les aggravant. Le gouvernement propose aux élèves de terminale de faire seulement dix vœux, sans les hiérarchiser. À partir de mai, en pleines révisions du bac, les lycéens et lycéennes qui auront reçu plusieurs réponses positives auront quelques jours pour faire leur choix et laisser les places restantes aux candidat·es moins bien classé·es qu'elles.eux par les établissements d'enseignement supérieur – réattribution des places qu'APB effectuait automatiquement. Ce sont d'interminables listes d'attente qui seront ainsi engendrées, génératrices d'anxiété pour les lycéen·nes et leurs familles.
De leur côté, les universités sont supposées choisir – donc sélectionner – les candidat·es en fonction d' « attendus » définis par le ministère et déclinés localement en critère de sélection. En affirmant remplacer APB, le gouvernement ne fait que transférer les difficultés vers les établissements. Le cadrage national des attendus consiste, pour chaque filière, en une liste de compétences très générales, qui dresse le portrait élitiste d’un·e étudiant·e idéale, dont l'objectif réel est de tenter de justifier l'exclusion d'une partie des bachelier·es. Cette exclusion sera d'autant plus forte que les budgets seront serrés et que la direction d'établissement aura une politique d'« excellence ». Au passage, cela renforcera l'autocensure d'une partie de la jeunesse, notamment issue des classes populaires. Il s'agit bien d'organiser les flux d'étudiant·es, en imposant à certain·es lycéen·nes certaines filières, créant ainsi des licences à différentes vitesses et des voies de garage, organisant la casse du cadre national des diplômes puisque les capacités d’accueil seront fixées par les rectorats et les parcours par les établissements. Quant aux attendus locaux, de plus en plus de composantes des universités annoncent les boycotter, n'ayant ni les moyens ni la volonté de classer les milliers de candidatures qu'elles s'apprêtent à recevoir. Et comment le pourraient-elles, si ce n'est en créant leurs propres algorithmes locaux, tournant selon des critères occultes sur la base des notes, des filières du bac (ou des modules suivis en lycée), voire des lycées fréquentés, ou dans le flou le plus total en mettant en avant un melting-pot de compétences et de qualités comportementales ? En ordonnant l'application immédiate d'une réforme inique, le gouvernement organise un crash-test sur une génération sacrifiée d'élèves de terminale.
Ne nous y trompons pas : il s'agit moins là d'amateurisme que de la volonté d'imposer à tout prix, sans le dire, et pour des raisons idéologiques, la sélection à l'entrée de l'université. Pour contenir le flux des bachelier·es qui s’y engagent et ainsi limiter l’investissement nécessaire pour les accueillir et les faire réussir. C'est détruire un droit fondamental de la jeunesse : celui, pour tout.e bachelier.e, d'accéder aux études supérieures. En cela, cette réforme est cohérente avec celle du bac et du lycée modulaire, que nous dénonçons également. Le gouvernement entend en effet supprimer les différentes filières pour en fait démultiplier des parcours (constitués de modules validables) étroitement corrélés aux attendus du supérieur et choisis dès la classe de seconde. Il s’agit d'orienter de plus en plus tôt, pour présélectionner en amont d'un baccalauréat en pratique vidé de sa substance et privé de son statut de premier grade universitaire.
La sélection ne favorisera jamais la réussite des jeunes : elle ne fait qu'alléger les finances publiques sur le dos des plus fragiles, favoriser la reproduction sociale par l'école et accentuer la différentiation des universités (« excellence » vs « tout venant »). Si un·e étudiant·e sur deux échoue lors de sa première année universitaire, ce n'est pas parce qu'il.elle n'y aurait pas sa place, par nature ou par la magie du déterminisme social. C'est parce que les moyens ne sont pas donnés pour l'accompagner dans ses études à la hauteur de ceux qui sont octroyés dans d’autres filières. C'est pourquoi nous mettrons tout en œuvre, aujourd'hui et demain, pour obtenir le retrait d'un projet de loi qui va à l'encontre des besoins de notre société.
Signataires :
Marie Buisson, secrétaire générale de la FERC CGT
Hubert Raguin, secrétaire général de la FNEC FP FO
Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU
Ugo Thomas, président du SGL
Florent Chapelle, porte-parole de Solidaires étudiant-e-s
Aurélien Boudon, co-secrétaire général de la fédération SUD Education
Lilâ Lebas, présidente de l’UNEF
Clara Jaboulay, secrétaire générale de l’UNL
Nathan Le Potier, secrétaire général de l’UNL SD