Stéphanie Tralongo - Maîtresse de Conférences en sociologie
Equipe MEPS, Centre Max Weber
Intervention du séminaire basée sur une précédente présentation.
Titre : La question de l’innovation pédagogique dans le supérieur aujourd’hui. Une approche sociologique
Depuis une quinzaine d’années en France et de façon plus ancienne dans d’autres pays, des dispositifs et initiatives visant la professionnalisation des enseignants du supérieur se développent. Il peut s’agir de manifestations de types journées d’études ou Assises ou de services institutionnalisés tels que des Services Universitaires de Pédagogie. Largement relayé par des publications en augmentation, le message fédérateur est le suivant : la pédagogie universitaire est une préoccupation qui doit devenir importante car elle s’inscrit dans une perspective de changement jugé indispensable à la fois pour l’intervenant (afin de soutenir son « développement professionnel »), pour l’étudiant (qui sera mieux formé par des enseignants prenant en considération son « apprentissage »), enfin pour les structures universitaires (qui pourront pleinement participer à la production d’une offre de formation de « qualité »).
Ce message véhicule en creux l’image d’un enseignant du supérieur qui – d’actuel profane de la pédagogie – doit se transformer pour en devenir un expert. Il soutient également l’idée que la réussite (pédagogique, des étudiants, des universités, etc.) peut être définie de façon univoque et se mesure par exemple au taux d’insertion des diplômés. Concernant les pratiques de formation à l’enseignement dans le supérieur, le discours officiel est assez clair : il s’agit d’organiser la mise en œuvre d’un « changement de paradigme » qui affectera tout autant le contenu que les objectifs, pratiques et modalités pédagogiques (STRANES, 2016). Or, changer de paradigme, ce n’est pas rien et l’objet de cette communication était de confronter ce discours officiel aux faits et résultats de recherches concernant l’enseignement supérieur.
Trois parties ont structuré le propos. Dans un premier temps, la reconstruction de l’actuel discours officiel sur l’innovation pédagogique dans le supérieur a été mené, à partir d’une revue de littérature (littérature « grise », scientifique), d’une recension d’événements (journées d’études, colloques, etc…) et de structures de soutien à la pédagogie du supérieur.
Dans un second temps, il s’agissait de confronter ce discours officiel aux faits et résultats de recherche scientifique sur toute une série de thèmes (les transformations de l’enseignement supérieur ; les étudiants, l’ « échec en premier cycle » ; les enseignants-chercheurs, les disciplines, les relations entre enseignement et recherche ; la relation formation-emploi ; le déploiement de la qualité dans le service public et le supérieur …). Pour chacun de ces thèmes, l’écart est considérable.
Dans un troisième temps, il s’agissait de proposer une grille de lecture des pratiques d’enseignement dans le supérieur, en rupture avec ce discours sur l’innovation pédagogique, de manière à tenter d’articuler un regard objectivant sur ses propres pratiques, sans importer clandestinement des catégories de perception issues du discours officiel.
Pistes indicatives de lecture (utilisées pour préparer la conférence ou évoquées lors des questions)
Partie 1 – Les constats : l’actuel discours officiel sur l’innovation pédagogique
Bertrand C., (2014) « Soutenir la transformation pédagogique dans l’enseignement supérieur », Rapport à la demande de Madame S. BONNAFOUS, Directrice générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle
Rapport STRANES, (2016), http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid30540/strategie-nationale-de-l-enseignement-superieur-stranes.html
Frenay M., Paquay L. (2011), « Former les universitaires en pédagogie », Revue Formation et Recherche, n°7
Lison C. & Jutras F., (2014) « Innover à l’université : penser les situations d’enseignement pour soutenir l’apprentissage », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 30-1
Rege Colet N., Romainville M. (eds) (2006), La pratique enseignante en mutation à l’université, De Boeck, Bruxelles
Rege-Colet N. & Berthiaume D. (2013 & 2015), La pédagogie de l’enseignement supérieur : repères théoriques et applications pratiques. Tome 1(2013) : Enseigner au supérieur ; Tome 2 : Se développer au titre d’enseignant (2015), Peter Lang, Berne : Suisse
Stes A. & Van Petegem P. (2011) « La formation pédagogique des professeurs dans l’enseignement supérieur », Recherche et formation [En ligne], 67 |
Demougeot-Lebel J. et al., (2012) « Regards croisés sur des pratiques de formation à l'enseignement universitaire », Savoirs, 2012/1 n° 28
Demougeot-Lebel J. & Perret Cathy, (2011), « Qu’attendent les enseignants universitaires français en termes de formation et d’accompagnement pédagogiques ? », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 27-1
Education et sociétés, (2012)/1, n° 29
Enseigner et former dans le supérieur https://www.fun-mooc.fr/courses/ENSCachan/20012/session01/about
Partie 2 – Le discours officiel, l’existant et les faits scientifiques, confrontations
Bernstein B. (2007), Pédagogie, Contrôle symbolique et identité, Canada, Presses universitaires de Laval
Bodin R., Millet M., (2011), « L’université, un espace de régulation », Sociologie [En ligne], N°3, vol. 2 | 2011, mis en ligne le 06 janvier 2012, URL : http://sociologie.revues.org/998
Bourdieu P.,(1984), Homo academicus, Paris, Editions de Minuit
Brusadelli N., Lebaron F., (2012), « Les indicateurs de " performance " universitaire. Outils statistiques de la privatisation de l'excellence », Savoir/Agir, 4/2012 (n° 22), p. 97-104.
Charle C., Soulié C. (2008), Les ravages de la « modernisation » universitaire, Paris, Syllepse
Charle C. et Soulié C. (dir.) 2015, La dérégulation universitaire. La construction étatisée des « marchés » des études supérieures dans le monde, Paris Editions Syllepse, et Quebec M Editeur
Charlier J.-É. & Croché S., (2003), « Le processus de Bologne, ses acteurs et leurs complices », in Éducation et Sociétés, n° 12, 2003, pp. 13-34.
Garcia S. (2008) « L'expert et le profane : qui est juge de la qualité universitaire ? », Genèses, 2008/1 n° 70
Faure S., Soulié C.,, Millet M., (2005), Enquête exploratoire sur le travail des enseignants chercheurs. Vers un bouleversement de la ”table des valeurs académiques” ? https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00602398
Faure S., Soulié C., Millet M., (2008) « Visions et divisions à l’université », Recherche et formation [En ligne], 57 |
Isambert-Jamati V., (1990), Les savoirs scolaires : enjeux sociaux des contenus d’enseignement et de leurs réformes, Paris : Editions universitaires
Lebaron F., (2015), « Injonction comptable et révolution culturelle à l’Université », La nouvelle revue du travail [En ligne], 6 | 2015, mis en ligne le 01 mai 2015, URL : http://nrt.revues.org/2177 ; DOI : 10.4000/nrt.2177
Normand R., Vincent-Dalud M., (2012) « Sciences de gouvernement de l'éducation et réseaux transnationaux d'experts : la fabrication d'une politique européenne », Education et sociétés, 1/2012 (n° 29), p. 103-123.
Soulié C., (2016) « Quelques pistes à propos de l’université française », Intervention faite à Orsay dans le cadre du colloque « Idées d’université par temps de mutation », organisé par le Centre d’Alembert le 6 avril 2016, document en ligne sur le site ARESER : https://docs.google.com/viewer?a=v&pid=sites&srcid=ZGVmYXVsdGRvbWFpbnxhcmVzZXJzaXRlfGd4Ojc0YjlmZjAyNjU3MWI0M2Y
Tanguy L., (1983), « Savoirs et rapports sociaux dans l’enseignement secondaire en France », Revue Française de Sociologie, , vol XXIV, 1983, p. 227 – 254
Partie 3 – Penser ses pratiques d’enseignement dans le supérieur (SHS)
Annoot E., Fave-Bonnet M-F., dir., Les pratiques pédagogiques dans l’enseignement supérieur : enseigner, apprendre, évaluer, Paris, L’Harmattan, 2004.
Bourdieu P., Passeron J.-C. (1964), Les Héritier. Les étudiants et la culture, Paris : Les Editions de Minuit
Gadea Charles & Soulié Charles, (2000) « Réflexions sur une expérience d'initiation à la recherche en sociologie à l'Université (1994-2000) », Genèses, 2000/2 no 39
Genelot S. & Lapostolle G., (2012) « Du bon usage des sciences humaines et sociales dans la formation des enseignants », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], #12
Jounin N. (2014), Voyage de classes. Des étudiants de Seine-Saint-Denis enquêtent dans les beaux quartiers, Paris : La Découverte
Leblanc F. & ali. (2011), « Echange sur nos pratiques « Enseigner dans un département de non-sociologues », Bulletin de l’ASES, n°38
Soulié C., (2002) « L’adaptation aux « nouveaux publics » de l’enseignement supérieur : auto-analyse d’une pratique d’enseignement magistral en sociologie », Sociétés contemporaines, no 48/4
Éric BRUILLARD – Professeur d’université – ESPE de Créteil
Les questions de pédagogie à l’université se posent de manière particulière : en tension avec les activités des enseignants chercheurs, particulièrement la recherche, dans un périmètre en évolution (au niveau du département, de l’établissement, de la Comue…), dans des formes encore peu collectives, dans un cadre contraint issu des accords de Bologne… Les discours autour de l’innovation pédagogique imposent cette « innovation » comme une évidence non discutable alors que, comme dans l’enseignement scolaire, de très nombreuses pratiques « ordinaires » ou « banales » pourraient constituer des exemples convaincants. Les transformations associées à l’informatique et au « numérique » ont un impact non seulement pédagogique, mais aussi didactique, notamment dans les multiples traitements de données désormais possibles. Nous essayerons d’approfondir ces différents points.
Thierry SPRIET - Maître de conférences en informatique - Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse
Titre : Les transformations pédagogiques dans le supérieur, origines, impacts, conséquences et risques.
L'innovation pour pédagogique ne doit pas être abordée pour son côté innovation mais doit plutôt être vue comme un accompagnement des mutations de notre société. Innovons non pas pour ubériser l'enseignement supérieur mais pour rendre le meilleur service à nos usagers. Les transformations pédagogiques ne sont pas un moyen de réduire les coûts mais une vraie opportunité d'augmenter la qualité d'un enseignement pour tous.
Nous prendrons comme exemple dans cette présentation le cas de l'Enseignement à Distance (EAD), fortement plébiscité actuellement pour ses possibilités d'individualisation des parcours d'apprentissage. Nous explorerons les points d'attention auxquels il faut être attentif pour assurer une transformation gagnant-gagnant des enseignements. L'EAD n'est pas une économie budgétaire mais ne doit pas être non plus une pédagogie au rabais ou même une surcharge bénévole.
Plus largement, cela ouvre le débat de la valorisation pédagogique et des carrières équilibrées des enseignants-chercheurs.
Rose José - Professeur émérite - Sociologie- démographie - Aix Marseille Université
Préparer les étudiants à leur vie professionnelle est une nécessité attendue par eux et par la société. Mais ce n’est pas simple à mettre en œuvre concrètement d’autant que cela interroge le métier comme les pratiques universitaires. L’analyse des obstacles et des conditions de réalisation de cette mission est un préalable nécessaire qui sera abordé par José Rose, auteur de l’ouvrage Mission insertion, un défi pour les universités paru aux PUR en 2014, au cours de sa conférence et de la discussion qui suivra.
Guy Brucy
Compétences, innovation pédagogique, insertion professionnelle : genèse et usages de ces notions.
Compétences, innovation pédagogique, insertion professionnelle : ces questions vives, aujourd’hui posées aux universitaires et aux étudiants, ne sont pas sans origine. Il s’agit d’abord de montrer que ce sont des constructions socio-historiques dont on peut faire la genèse. Celle-ci permettra ensuite d’éclairer les enjeux, très actuels, du long travail de redéfinition des fonctions de l’université entrepris dès les années 1960. Loin de nier les transformations récentes qui affectent le champ universitaire, cette approche souhaite en prendre la juste mesure pour ne pas céder à un utilitarisme de court terme qui, derrière l’apparente « évidence » des discours et des prescriptions, risquerait de reléguer au second plan les enjeux scientifiques, politiques et symboliques des formations.
Stéphane Simonian - Professeur des Universités en Sciences de l'Education – Lyon 2 & Jérôme Eneau – Professeur des Univerités à Rennes 2
Le numérique fait l'objet de politiques incitatives visant à transformer l'école, l'enseignement supérieur et, plus généralement, la société. Force est de constater que ni les institutions ni les acteurs sont préparés à un tel changement qui leur demande toujours plus de travail, d'effort, sans qu'un cadre référentiel soit nationalement établi, sans qu'une reconnaissance sociale soit effective. En d'autres termes, le numérique est politiquement impensé en termes d'enjeux socioprofessionnels et de structuration des organisations, créant un sentiment d'incompétences, du stress au travail, voire de burn out, mettant les institutions et les acteurs en difficulté dans leur rouage organisationnelle, pour faire face à l'immédiateté de l'information à traiter, hiérarchiser, affectant donc les conditions de travail. Pour comprendre ses enjeux, je prendrai pour exemple, l'enseignement supérieur avec le Campus Numérique FORSE, partenariat entre l’université Lyon2, l'université de Rouen, qui offre des formations à distance ou hybride pour environ 1000 étudiants. Ce témoignage s'orientera autour des conditions pour lesquelles le numérique pourrait être un apport, sans ces conditions il peut constituer un danger pour les salariés."