Regroupements : exigeons un moratoire !
Du temps pour penser un aménagement équilibré du Service Public d'Enseignement Supérieur et de Recherche
Pour la deuxième fois, la communauté universitaire dans son ensemble s'est exprimée au CNESER sur les regroupements : après avoir demandé un « desserrement du calendrier » le 14 avril, elle a demandé un « moratoire d'un an » le 19 mai, renforçant ainsi ses exigences.
À cet égard, il est significatif que le CNESER, qui s'était prononcé, en février 2013, à parts égales en pour et en contre le projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche (ESR), ait exprimé, à peine un an plus tard, deux fois plus d'avis négatifs que positifs sur le scénario des regroupements, qui constitue pourtant un point nodal de la loi.
Sous la pression des difficultés budgétaires, aggravées par la politique d'austérité gouvernementale, et dans l'espoir de bénéficier de l'appel à projets d'investissement d'avenir PIA2, partout, les universités sont engagées dans une course folle aux regroupements, selon les modèles et le calendrier imposés par la loi ESR.
Cette dynamique précipitée et opaque, pilotée par la seule DGESIP, a pour effet d'exacerber les tensions, tant à l'intérieur des établissements qu'entre membres pressentis des regroupements et génère de fortes inquiétudes chez les personnels et les étudiants.
Les regroupements sont au cœur d'enjeux stratégiques :La régionalisation de l'enseignement supérieur et de la recherche ; pilotage de ses objectifs par des besoins économiques immédiats. La réforme territoriale d'ampleur annoncée par le premier ministre, à brève échéance, notamment la division par deux du nombre de régions, aura des conséquences importantes sur les établissements et les organismes. En outre, les regroupements, couplés au plan de financement PIA2, s'inscrivent dans un modèle d'ESR à deux vitesses, où des universités de recherche intensive, à « dimension mondiale » coexisteraient avec des universités « de taille régionale », établissements de seconde zone, chargés du seul cycle de licence et déconnectés de la recherche. Le risque de «décrochage » de certaines universités est bien réel. Le SNESUP-FSU rappelle que toutes les universités doivent être, à part entière, des universités de plein exercice.
Le maintien, par le ministère, du calendrier initialement annoncé et du scénario de validation forcée qu'il induit, fait ainsi peser de lourdes menaces sur la capacité du service public d'enseignement supérieur et de recherche à répondre aux défis sociétaux majeurs auxquels il est confronté, tant en formation qu'en recherche.
Reprise au CNESER, l'exigence d'un moratoire, formulée par le SNESUP-FSU, est un premier pas, important, qui doit en impulser d'autres.
L'élaboration collective de projets de site et de collaborations pédagogiques et scientifiques, à la fois respectueux de l'histoire, des spécificités, des attentes et des droits des personnels et des étudiants, demande effectivement du temps de concertation, sans lequel aucun projet viable ne pourra se construire. Une vision nationale des missions de service public de l'ESR - relevant de tous les ministères - doit en outre s'appuyer sur des structures de coopérations, démocratiquement décidées, entre partenaires publics librement choisis. Dans ce cadre, les établissements privés ne sauraient avoir les mêmes prérogatives que les établissements publics.
Or aucun des modèles de regroupements imposés par la loi (fusions, communautés d'universités et établissements - COMUE - ou associations) ne correspond à cette conception de l'ESR. Ils s'accompagnent, en outre, du détournement et de l'affaiblissement des pratiques collégiales et démocratiques de gestion universitaire.
L'expérience des établissements déjà fusionnés laisse fortement craindre que, quel que soit le modèle, la taille potentiellement gigantesque des regroupements, génère une explosion de la bureaucratisation, des coûts de fonctionnement et d'organisation considérables, des suppressions d'enseignement ou de thèmes de recherche et conduise à une sous-représentation des personnels et des étudiants, dans des instances de décision de plus en plus éloignées de la réalité de terrain.
Tant dans le cas de l'association que dans celui de la COMUE, le pilotage des décisions et la répartition des moyens, tels qu'inscrits dans la loi, échappent largement au contrôle des établissements membres et sont transférés à une instance unique, qui se superpose aux membres du regroupement dans le cas de la COMUE, ou qui doit être l'un d'entre eux dans le cas de l'association. Et la participation des organismes de recherche à ces regroupements interroge sur l'avenir des organismes et de leurs personnels.
Notre exigence d'un moratoire de la mise en œuvre des regroupements n'est en rien la volonté de maintenir le statu quo.
Elle a pour double objectif :
- de conduire à une évolution des modalités possibles de coopération entre établissements et organismes publics, permettant la mise en œuvre de projets répondant effectivement aux aspirations, aux besoins et aux droits des personnels et des étudiants ;
- de donner aux instances de régulation nationale (CNESER, CTMESR, instances parlementaires...) la capacité d'aménagement concerté et équilibré du territoire en sites d'ESR publics, auxquels il est impératif que les établissements privés ne puissent être associés que par la voie de conventions.
Le SNESUP-FSU appelle tous ses syndiqués et l'ensemble des personnels et des étudiants des établissements d'enseignement supérieur
- à relayer partout l'exigence d'un moratoire : dans les Assemblées Générales, dans les conseils, auprès des élus territoriaux et des parlementaires, en alertant la presse...
- à faire grandir partout des projets de coopération fondés sur d'autres modes de structuration que les modèles imposés par la loi ESR.