L'Université et l'insertion professionnelle des étudiants

Publié le : 15/10/2012


L’UNIVERSITÉ ET L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES ÉTUDIANTS 

Une évolution nécessaire avec ses effets délétères

par Laurence Pérennès, directrice adjointe de SUIOIP, université de Bretagne Sud

L’intégration des diplômés pose la question du juste équilibre à préserver entre
l’autonomie des universitaires et leur responsabilité de répondre aux attentes de la société.

Dans un contexte économique de plus en
plus tendu ces dernières années, les politiques
européennes et nationales ont amené
les universités dans le cadre de la loi sur l’autonomie
des universités (LRU) à introduire,
outre leurs missions traditionnelles de
recherche et formation, la mission d’orientation
et d’insertion professionnelle. 
Les responsables politiques de nombreux
pays voient dans les universités le socle du
développement des connaissances indispensables
à l’économie du savoir et reconnaissent
le rôle fondamental que les universités jouent
dans l’économie, car elles constituent un
puissant moteur de l’innovation et du changement
économique. Le débat sur ce sujet se
déroule avec pour toile de fond le constat
selon lequel la production de connaissances
et la contribution de ces établissements au
développement de l’économie ainsi que du
prestige et de l’influence des pays sont en
train de transformer rapidement un système
d’enseignement supérieur autrefois désintéressé
en un marché concurrentiel (1). 
Après les larges efforts conduits depuis 30 ans
pour faire face à la massification des effectifs
étudiants, le rapport Hetzel en 2006 insiste sur la nécessité d’un engagement de l’Université
pour une meilleure insertion des
jeunes diplômés dans le monde du travail. Le
diplôme apparaît finalement « de plus en
plus nécessaire mais pas toujours suffisant »,
pour reprendre la formule du rapport Proglio
(2006). 
Le fondement de l’Université, la transmission
du savoir, se voit désormais quasiment relégué
au second plan. Or si tant est que cette mission
est louable et légitime au regard du
contexte économique, elle pose un problème
sociétal crucial. Elle questionne l’identité de
l’Université et sa place comme production de
savoirs. Une société dans laquelle les penseurs
et les théoriciens diminuent au profit des praticiens
est une société qui s’appauvrit et ne se
renouvelle pas dans ses idées. 
Dans ce contexte, quelles sont les limites à ne
pas franchir afin de préserver l’originalité de
l’Université ? 
Le concept d’employabilité prend en effet le
pas sur le diplôme en tant que tel, l’entreprise
s’attend à ce que le jeune soit déjà compétent (2).
En 2006, la communication de la commission
Faire réussir le projet de modernisation
pour les universités : formation, recherche et
innovation
(Communication des communautés
européennes, Bruxelles le 10/05/2006,
COM (2006)) propose un train de réformes
indispensables pour assurer la compétitivité européenne et l’employabilité des diplômés.
L’enseignement supérieur doit fournir la diversité
des savoir-faire et des compétences dont
a besoin le marché du travail. Pour ce faire,
« les cursus universitaires devraient être structurés
de telle manière qu’ils
augmentent directement l’employabilité
des diplômés
» (p.
7). Il s’agit d’innover dans les
cursus et les méthodes d’enseignement
– combiner des
compétences générales utiles
sur le marché du travail et des
compétences disciplinaires
spécifiques – favoriser une
culture entrepreneuriale. Il est
rappelé que « si l’intégration des diplômés sur le marché du travail est une responsabilité
partagée des employeurs, des organisations
professionnelles et des gouvernements, l’accès
au marché du travail devrait constituer un
indicateur (parmi d’autres) de la qualité et de
la performance des universités »
(p. 8). 
Cela pose inévitablement la question du juste
équilibre à préserver entre l’autonomie des
universitaires et leur responsabilité de
répondre aux attentes de la société en matière
d’insertion professionnelle. 
Il est évident qu’un enseignement qui se
limiterait à transmettre les connaissances
réclamées par le marché de l’emploi ou une recherche qui se limiterait à développer les
technologies utiles aux entreprises serait
sans rapport avec le savoir critique et avec
l’institution universitaire (3) (Ségal, 1997). Car,
la production et la diffusion d’un savoir critique
définissent l’université.
Or, il n’est pas de savoir critique
sans liberté. La liberté
universitaire fut liée dès l’origine
à la liberté de pensée et
elle en dérive maintenant.
Savoir critique et logique marchande
sont peu compatibles.
L’autonomie du savoir garantie
par la liberté et la solidarité
d’un corps d’intellectuels est-elle
en voie de disparaître ? Et s’il s’agit bien
des deux piliers de l’institution universitaire,
ne pourrait-on en conclure que l’université
comme institution appartient plus à notre
passé qu’à notre avenir ? ? 
1. Kitagawa F., « Les universités et l’innovation
dans l’économie du savoir : l’expérience des
régions anglaises », Politiques et gestion de l’enseignement
supérieur 3/2004 (no 16), 2004,
p. 61-87. 
2. Parlier M., « La construction des parcours
professionnels », Education permanente, 2009. 
3. Ségal. A, « L’université ou le savoir comme
enjeu social » in Culture, institution et savoir.
Culture française d’Amérique, Les Presses de l'Université Laval, 1997, pp.25-43.