Quand "le changement maintenant" provoque un bug: le SNESUP et l'évaluation individuelle

Publié le : 19/05/2012


Quand "le changement maintenant" provoque un bug : le SNESup et l'évaluation individuelle

 

Deux textes ont été produits récemment qui portent sur l'évaluation des enseignants-chercheurs (EC). Le premier émane de la CP-CNU, dominée par es représentantEs du SNESup, et fait un point d?étape sur la mise en lace de l?évaluation quadriennale des EC prévue par le décret issu de a loi LRU (Communiqué de la CP-CNU , Évaluation individuelle : Où en sommes-nous dans le calendrier ?, 14 mai 2012). Le second a été produit par Noël Bernard, dirigeant du SNESup, et il est plutôt à vocation interne au syndicat même s'il a très vite circulé publiquement sur différentes mailing-lists (La prise en compte des missions dans les universités, 13 mai 2012).

Ces deux textes se font écho sur de nombreux points, et traduisent ce ui semble être une ligne, sinon adoptée par la direction du SNESup, du moins défendue par une partie de sa direction à quelques jours d'un ongrès d?études (prévu les 24 et 25 mai prochains). Chacun des textes défend peu ou prou l?évaluation individuelle des EC, certes pas totalement dans l'optique de la loi LRU, mais l'évaluation quand même.
Ces textes en ont laissé stupéfaits plus d?un, tant par leur teneur que par le contexte où ils ont été rendus publics : ils arrivent à la rescousse de l?évaluation alors que la majorité gouvernementale vient d'être renversée. Le SNESup et ses représentantEs seront-ils les ultimes supporters d?une mesure qui a été massivement dénoncée par les
personnels en 2009 ?

On pouvait débattre de l?évaluation il y a trois ans, quand l'UMP mettait en place les dispositifs de contrôle sur les EC, et que d'aucuns se laissait prendre à l'argument qu'"il y en a quand même qui n'en  ament pas une et que c'est normal de mettre un peu d?ordre là-dedans".La plupart des collègues ont alors compris que derrière la suspicion sarko-lepéniste généralisée à l'encontre des enseignants-chercheurs, fainéants parmi les fonctionnaires, se cachait un objectif évident : celui d'un contrôle accru et d'une individualisation à outrance des acteurs de la recherche, et ultimement d?une mise au pas de la recherche publique. La plupart des collègues l'ont saisi, mais manifestement pas une partie des cadres du SNESup pour qui il y aurait ici matière à débat.

Les arguments contre l'évaluation individuelle récurrente et systématique ont été suffisamment ressassés pour qu'on ne les répète plus. On peut tout au plus les lister : du travers des approches quantitatives et bibliométriques (inévitable dans les sections disciplinaire à fort effectif) au coup social délirant de l'évaluation  tous azimuts ; du contrôle et de la normalisation induite à un appauvrissement de la recherche ; de l'individualisation et du morcellement de l'activité au mal-être des travailleurs de la recherche  etc., etc. Ces arguments ont été échangés, confrontés, affutés, ils ont été diffusés tant sur des listes de discussion que dans des motions, tracts, sites web, ouvrages, depuis trois ans maintenant.

Que peut signifier cet attachement réaffirmé à l'évaluation individuelle récurrente et systématique ? Cela peut traduire deux choses. D'une part l'expression d'un goût pour le sale boulot d'évaluateur, manifestement caressé par une série de mandarins qui parviennent à avoir l'oreille des instances dirigeantes du premier syndicat de l?enseignement supérieur.
On en a l'expression dans la motion de la CP-CNU, qui nous annonce benoitement qu?elle espère mettre en œuvre l'évaluation (celle de la LRU) à partir de fin 2013. D'autre part, il semble y avoir la défense inconditionnelle de l'appareil syndical : parce que le SNESup a défendu, à tort, une position en faveur de l'« évaluation formative », certains jugent nécessaire défendre coûte que coûte la même ligne. Le mouvement de l'automne 2007, celui du printemps 2009, rien de tout cela ne compte.
Ce qui compte, ce sont les motions de congrès, quitte à mettre une grande partie des syndiquéEs en porte-à-faux, qui sont quotidiennement confrontés aux présidents-managers, DRH et autres DGS adorateurs d'indicateurs et de tableaux de bords, et pressés de moduler leur masse salariale. On en vient à écrire n?importe quoi en faveur de l'évaluation obligatoire (surtout pas facultative !), donc à appuyer la position de la CP-CNU, elle-même en appui de la loi LRU, en bref à jouer le rôle de
l'idiot utile.

Aujourd'hui il ne s'agit plus de débattre, mais de combattre. Hollande n'a pas promis grand-chose, mais il a au moins concédé des assises de l'ESR et, du bout des lèvres, une mise à plat de la loi LRU. Le minimum syndical de la part des représentants SNESup au sein du CNU, serait aujourd'hui de dire : « Nous avons travaillé dans le cadre de la LRU et du décret sur les enseignants-chercheurs, tout cela est caduc. Aujourd'hui, nous gelons tout travail sur l'évaluation individuelle récurrente, et nous attendons d'avoir un cadre réformé pour savoir quoi faire ». Poursuivre la mise en place de l'évaluation quadriennale comme si de rien n'était, c'est mettre en œuvre une stratégie mortifère pour a recherche, et c'est ruiner le syndicalisme dans l'enseignement supérieur pour les années à venir.

Le 19 mai 2012.

Manuel Rebuschi (MCF Université de Lorraine, ex-Nancy 2, syndiqué SNESup)