Nous devons reconquérir ce qui nous a fait choisir le service public…

Publié le : 09/05/2011


 

Nous devons reconquérir ce qui nous a fait choisir le service public...


Cela fera bientôt quatre ans que la loi relative à la liberté et aux responsabilités des universités (LRU), accompagnée de textes d'application concernant tant les statuts des personnels que les conditions de financement des établissements et des équipes, est au cœur d'une remise en question sans équivalent du service public d'enseignement supérieur et de recherche.
Entamant sa campagne présidentielle et tentant de redresser son image dans l'opinion, le chef de l'Etat a communiqué un bilan d'étape où l'aveuglement rivalise avec le panégyrique. Outre les mystifications du financement des universités et de la recherche, illustrer le "changement manifeste" d'une réforme présentée comme une priorité du quinquennat, par le seul "recrutement par l'université Paris-Diderot de Georges Smoot, prix Nobel de physique 2006" est éloquent de la vacuité de ce bilan.

Dans les établissements et les laboratoires, l'étendue des bouleversements est manifeste. Contrairement aux propos gouvernementaux sur des mesures pour l'allègement de leurs charges, le temps que les universitaires peuvent consacrer à l'enseignement et à la recherche fait défaut ; les nombreuses tâches, certes annexes mais essentielles à la bonne marche de l'institution, l'accumulation des contraintes bureaucratique récurrentes ou conjoncturelles modifient considérablement la nature même du métier d'enseignant du supérieur. Confrontée à l'urgence érigée en argument d'autorité, la communauté universitaire voit sa force créatrice, fruit de réflexions qui s'inscrivent dans le temps long, bousculée par cette agitation permanente.

Dans ce contexte, inégal d'un champ disciplinaire à l'autre, particulièrement critique en sciences humaines et sociales, les communiqués triomphants de certains lauréats aux Labex (laboratoires d'excellence) et Idex (initiatives d'excellence) ne peuvent que choquer la communauté universitaire. Quelle efficacité pour la science dans un processus dans lequel les critères scientifiques n'ont quasiment pas pesé, qui tourne le dos à la diversité scientifique et aux coopérations alors que ce sont elles qui ont notamment produit les prix Nobels et les médailles Fields portés au pinacle par le pouvoir en place.

Pour répondre aux appels d'offres, la précipitation imposée à la communauté déjà surchargée a poussé les établissements à faire appel aux services d'officines privées. Connues pour leurs talents de communication mais dénuées des capacités d'une expertise sérieuse des activités et projets universitaires, elles ont englouti des sommes faramineuses. Ces montants gaspillés auraient dû être dévolus à l'enseignement et à la recherche publics. Ils s'ajoutent aux rentes que les établissements auront à verser aux partenaires privés des futurs PPP pendant des décennies.

ENTRAVES AUX LIBERTÉS SCIENTIFIQUES ET PÉDAGOGIQUES

Les entraves aux libertés scientifiques et pédagogiques n'ont jamais été aussi prégnantes. Les processus d'évaluation et de sélection opaques et arbitraires, le poids d'experts nommés ou autoproclamés, les pouvoirs démesurés octroyés aux présidents d'universités contribuent à détricoter le lien entre ceux qui enseignent et font la recherche et ceux qui se pensent investis d'un pilotage autoritaire de plus en plus technocratique, déconnecté des enjeux scientifiques et sociétaux.

Les questions relatives à l'énergie, à la sécurité ou à l'environnement, en particulier celles soulevées par l'accident nucléaire de Fukushima et le monopole de la communication de Tepco, faisant suite au scandale du médiator, ne suscitent-elles pas la nécessité d'un contrôle public, de la transparence, et d'une recherche indépendante, soucieuse des besoins des populations et de l'intérêt général ? La société doit prendre la mesure les conséquences d'une telle influence d'intérêts privés sur les travaux universitaires.

Le cadre législatif imposé par la loi LRU fait voler en éclats tous les cadres réglementaires nationaux, vecteurs d'égalité sur le territoire. La liberté, la créativité, la richesse, le droit à la recherche, la collégialité, la démocratisation de l'enseignement supérieur, l'implication de la communauté universitaire nous engagent dans la reconquête de ce qui nous a fait choisir le service public. Il faut dégager un horizon dans lequel les étudiants, les enseignants du supérieur, les personnels... dans leur diversité puissent enfin se projeter. C'est d'une rupture franche et de l'engagement de changements nécessaires pour l'égalité, la démocratie, les moyens de base, la création prioritaire d'emplois publics, qu'ont besoin l'enseignement supérieur, la recherche et ses personnels.
Stéphane Tassel, secrétaire général du Snesup-FSU (syndicat de l'enseignement supérieur)