[Article du dossier "Pédagogie et didactique à l'université : des questions vives" de la revue Former des Maîtres n°593 de mars 2011]
- par Bruno Lebouvier, Christian Orange, Université de Nantes, IUFM
Pour Bruno Lebouvier & Christian Orange, la pédagogie et la didactique sont des dimensions incontournables à prendre en compte par les enseignants du supérieur pour réfléchir à leur propre pratique et chercher à améliorer l’efficacité de la transposition didactique de leurs savoirs.
L’intérêt pour les questions pédagogiques ou didactiques dans l’enseignement supérieur se développe peu à peu, au moins parmi les responsables de beaucoup d’établissements. La raison en est certainement la conjonction entre la massification des études post-baccalauréat et l’attention de plus en plus vive portée aux parcours et au devenir des étudiants. Tout comme cette pédagogie universitaire s’est d’abord développée dans les « domaines scientifiques les plus professionnalisants », facultés de médecine et autres domaines de la santé notamment (De Kétele, 2010), ce sont les préoccupations de professionnalisation qui ont conduit les écoles et maintenant les universités à mettre ces questions au travail.
Il n’est pas sûr pourtant que la nécessité d’une réflexion sur la formation professionnelle dans le supérieur, bien présente dans les écoles, trouve un écho dans tous les secteurs de l’université. Les discussions récentes sur la mastérisation de la formation des enseignants ont souvent montré dans quel mépris la formation professionnelle, au-delà des savoirs académiques, était tenue. Tout comme elles ont montré que les questions pédagogiques dans le premier et second degré étaient réduites, pour beaucoup d’universitaires, à de simples savoir-faire professionnels. De telles positions ne les prédisposent guère à réfléchir aux questions pédagogiques et didactiques dans leurs propres pratiques.
Dépasser l'opposition entre « savoirs » et « pédagogie »
Si on laisse de côté ceux qui, à l’université, ne sont pas impliqués dans les enseignements, – et ils ne sont pas si nombreux que cela –, il faut s’interroger sur le désintérêt encore majoritaire pour les réflexions pédagogiques et didactiques dans l’enseignement supérieur et, plus largement, sur ce qui fait obstacle à de telles réflexions. Parmi les raisons, il en est une qui nous semble cruciale et qui a des conséquences bien au-delà du fonctionnement de l’université : c’est l’opposition entre savoirs et pédagogie ; celle-ci étant accusée de mettre à mal ceux-là. On voit quelle cristallisation elle provoque dans les débats sur l’école, entre prétendument « républicains » et « pédagogues » ; l’université, lieu de production et de transmission des savoirs, saurait choisir son camp. Beaucoup ont encore le sentiment que penser pédagogie conduirait nécessairement à abaisser le niveau des savoirs transmis par un apprêt qui les dénaturerait.
Pourtant, dès les années 1970, le sociologue Michel Verret montrait que ce qu’il appelle la transmission bureaucratique des savoirs a des conséquences inévitables sur ces savoirs ; il construit ainsi le concept de transposition didactique et montre que les savoirs transmis à l’université subissent nécessairement une modification à partir des savoirs savants du fait qu’ils sont enseignés et évalués ; et quand bien même ce sont les mêmes qui produisent ces savoirs et les transmettent.
Penser les questions pédagogiques dans le supérieur
Pour penser pleinement les questions pédagogiques dans le supérieur, ce sont bien les savoirs transmis (donc transposés) qu’il faut interroger. Non pas pour en abaisser le niveau mais pour en travailler la forme et le lien qui doit exister entre le texte de ces savoirs, tel qu’il est professé, et les pratiques de ces savoirs que l’on demande aux étudiants de développer sous différentes formes : travaux dirigés, devoirs sur table de nature diverse, dossiers, mémoire… L’enseignement des sciences à l’université, par exemple, juxtapose encore souvent cours magistraux, travaux dirigés (exercices et problèmes) et travaux pratiques où il s’agit de suivre au plus près une fiche de manip. Rien dans tout cela ne confronte les étudiants à de véritables problèmes scientifiques qu’ils auraient à repérer et à construire ; le lien entre texte du savoir (celui du cours) et les pratiques des TD et des TP donne alors une image dogmatique des savoirs qui n’ont plus qu’un lien lâche avec les problèmes dont ils sont issus (Rey, 2006). Cette façon d’organiser les curriculums ne permet pas aux étudiants de comprendre le fonctionnement et la dynamique de la science et des savoirs. Et quand une partie d’entre eux enseignera à l’école primaire ou dans le secondaire, c’est cette image un peu figée des savoirs qu’ils feront fonctionner.
Pédagogie et didactique universitaire ne sont pas des concessions que les savoirs universitaires devraient faire à la démocratisation. Au contraire, plus on s’intéresse à la manière dont les étudiants apprennent et plus on s’intéresse à la dynamique et à la fonctionnalité des savoirs, donc à leur signification profonde. Bien sûr, l’avancée difficile de cette idée prend aussi son origine dans des éléments de contexte. La forme canonique des cours magistraux est une manière de répondre aux temps de formation raccourcis, au nombre d’étudiants dans certaines filières, à leur implication inégale qui n’échappe pas plus aux orientations incertaines qu’au consumérisme et à l’individualisme ambiant. Un enseignement magistral est moins impliquant et permet plus facilement le rattrapage des absences, par exemple.
Mais si une réflexion pédagogique et didactique ne peut pas à elle seule régler toutes ces questions, elle nous semble être la condition pour garder aux savoirs universitaires leur haut niveau, donc leur valeur formative et professionnelle.