Or, peu d'informations ont transpiré du ministère (1) sur l'analyse de l'échec. Quelques éléments centraux, mais déjà entendus, sont avancés dans les interviews accordées aux journaux étudiants (2) :
Embrassant cette analyse, le plan « Réussir en Licence » a été élaboré autours de 3 piliers :
Aujourd'hui, à la rentrée 2010, quel constat pouvons-nous faire des premiers résultats de la mise en place du plan et des propositions formulées contre l'échec de formation ? L'innovation pédagogique et la réussite sont-elles au rendez-vous ?
Premier pilier mis en place dès la rentrée 2008, le processus d'orientation active donne ses premiers résultats (3) : 424000 lycéens (sur quel effectif global ?) ont utilisé le dispositif ministériel, ces derniers sont quasi essentiellement issus des filières généralistes (88%) avec 31% ayant bénéficié de conseil de réorientation vers une filière plus adaptée à leur profil (conférence de presse de V. Pécresse du 18 septembre 2008). En résumé, ce sont les lycéens qui ont le moins besoin d'un soutien à l'orientation qui ont utilisé le dispositif.
Enfin, s'agissant de l'augmentation du nombre de places dans les filières courtes, celle-ci s'est concrétisée par 3000 places supplémentaires à la rentrée 2008. Compte-tenu du nombre de titulaires annuels du baccalauréat, la mesure tient plus d'un effet de manche qu'à une réelle volonté d'augmentation des entrées dans les filières courtes.
Forts de ces informations, quel recul pouvons-nous avoir sur les attentes ministérielles et des objectifs à atteindre par les établissements ? Selon les mesures prises, tout diplômé du baccalauréat doit poursuivre et réussir une formation supérieure, de préférence à l'université dans les filières non sélectives (pas d'augmentation substantielle du quota de reçus en première année de DUT et en deuxième année de médecine, par exemple).
La question est donc :
Sur le premier point, un grand nombre de filières généralistes, particulièrement concentrées en SHS, constatent qu'un nombre conséquent d'étudiants de licence n'ont ni le niveau de connaissances initial suffisant (à commencer par le niveau d'expression et de compréhension en français) ni la capacité intellectuelle à suivre une formation centrée sur une semi autonomie de formation (environ 16 heures hebdomadaires réparties sur 25 semaines), requérant une profonde capacité individuelle d'analyse, de réflexion et de synthèse des connaissances et non une simple mise en application procédurale de techniques et autres protocoles. Comment pouvons-nous les aider à réussir ? Nous pouvons certes abaisser le niveau de formation et/ou développer une formation transdisciplinaire de surface. Mais pour les conduire à quel métier et à quelle qualité de formation ? Rappelons que l'objectif premier des filières généralistes, qui sont avant tout disciplinaires, est de former à un corps de métiers. De plus, les vagues de suivis d'étudiants par l'Observatoire de la Vie Étudiante, montrent que très généralement les étudiants sortis avec une licence généraliste et occupant un emploi à niveau de qualification baccalauréat, ont une progression de carrière plus rapide que les formés au seul niveau baccalauréat, par développement de capacité de réflexion et d'autonomie, que seule une formation disciplinaire approfondie permet. La question suivante devient alors : la formation universitaire doit-elle être en grande part transformée pour assurer avant tout, des formations courtes professionnelles généralistes ? Si oui, pour quels métiers ? Ces derniers existent-ils, tout comme leur marché d'embauche ? Avec quels moyens alloués, compte tenu du manque de niveau des lycéens ? Attend-on de l'université une formation courte de bas niveau de qualité et de faible coût économique, en l'absence de moyens équivalents à ceux donnés aux filières courtes actuelles ? Pour quels résultats autres que l'augmentation du nombre de reçus ?
Sur le deuxième point, le bilan n'est pas meilleur. Au travers des bribes d'informations lâchées sous le manteau par des nouveaux collègues enseignants référents (craindraient-ils le caractère explosif de l'information ???), nombre d'étudiants en situation de difficulté universitaire s'avèrent en formation pour des motifs autres que celui de se former à la discipline enseignée. En effet, une grande part d'entre eux sont inscrits dans la discipline, faute de mieux (premier vœux non exaucé, voir tableau 1), dans l'attente de passer ou de repasser des concours d'entrées sélectifs ou, afin de s'assurer une couverture d'assurance sociale en attendant d'y voir plus clair quand au métier idyllique (répondant aux critères d'épanouissement personnel, de niveau de rémunération, etc.) qu'ils n'arrivent toujours pas à identifier. Par ailleurs, le nombre d'étudiants administrativement déclarés salariés est en progression constante (27, 2% sur l'université de Rouen), chiffre auquel il faut ajouter les salariés pédagogiques (moins de 120 heures mensuelles mais plus de 10 heures hebdomadaires) et ceux qui se s'inscrivent pas pour garder la possibilité d'assister aux TD. Enfin, le nombre d'étudiants ayant choisi volontairement de faire leur année en 2 ans n'apparaît dans aucune statistique (choix sélectif des examens passés). Sans dédouaner l'université d'une nécessaire amélioration des contenus d'enseignement, du suivi des étudiants, on peut craindre qu'une part conséquente de l'absence de motivation, de travail et de réussite soit liée à des facteurs externes à la formation elle-même.
Quelle part restante incombe à l'université dans l'échec à la Licence ? Quelles innovations pédagogiques sont à même de participer à résoudre (et non de résoudre) ce problème récurrent ? Des avancées pédagogiques ont vu le jour et il est important de les souligner car nous avons nationalement tout intérêt à parfaire la qualité de la formation universitaire (et donc des diplômes), quel que soit le niveau initial de compétences des étudiants entrants (5). On peut ainsi noter les propositions d'employer le tutorat pour les semaines de révision des examens (1ère et 2nde sessions), de double cursus entre DUT et classes prépa, de personnalisation de sa formation avec 25% de l'enseignement à la carte, etc.
En conclusion, le plan Réussir en Licence est loin d'être une « innovation pédagogique ». Quant aux innovations pédagogiques proposées par le corps des enseignants universitaires en réponse au Plan, vont-elles servir aux étudiants en situation d'échec ou aux étudiants en voie de réussite ? Il est fort à parier qu'elles profiteront avant tout aux seconds. Enfin, V. Pécresse a annoncé pour 2011, la création d'un indicateur social de performance des universités et grandes écoles en lien avec la réussite à la licence. Comment les établissements qui ont accueilli la manne pécuniaire du Plan vont-ils justifier l'élévation modérée qui semble s'annoncer du taux de réussite en licence ? Quelle conséquence sur le maintien des filières dans les établissements ? Et si le Plan « Réussir en Licence » n'était qu'un piège à la constitution des collèges universitaires ?
Suivi des étudiants de 1ère année issus de la promotion 2002-2003 de l'université de Rouen (OVE U. Rouen, http://www.univ-rouen.fr/1115385977729/0/fiche_OVE__document/ ). Sont indiqués entre parenthèse les étendues de vœux selon les filières. Par exemple, en SHS, le 83% correspond à musicologie.
(1) Groupe de travail auquel a participé notamment Bernard Dizambourg, inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche.
Innovation pédagogique dans le Plan « Réussir en Licence » ?
Suite au constat (récurrent ?) par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse et par les personnels qualifiés de son ministère, du taux moyen de 50% d'échec à l'issue de la première année de formation universitaire (90 000 étudiants concernés annuellement), le plan « Réussir en Licence » a été présenté dès la rentrée 2007 et mis progressivement en place dès février 2008.
Les intentions du ministre sont claires : diminuer de 50% le taux d'échec, soit conduire le taux de réussite annuel à 75% (taux qui n'est pas éloigné du taux attendu de 80% de réussite au baccalauréat...).
Qui dit constat d'échec, dit analyse de l'échec et propositions de solutions adéquates pour y remédier.
Ce résultat est corroboré par les données qui commencent à filtrer de l'accompagnement des étudiants. Rappelons tout d'abord que la proposition de tutorat en première année de formation n'émane pas du plan car elle était déjà présente dans la réforme LMD. Rien qu'à Rouen (4), diverses commissions pédagogiques ont proposé tour à tour le tutorat obligatoire puis optionnel, la remise à niveau obligatoire et/ou optionnelle. Le constat a été le même que celui d'aujourd'hui, ce sont essentiellement les étudiants qui en ont le moins besoin qui utilisent le dispositif de soutien.
Concernant la spécialisation et la professionnalisation, les propositions de licences professionnelles naissent au fur et à mesure des vagues de renouvellement quadriennal des formations. Il semble apparaître que les formations transversales, sauf dans un objectif de formation à un métier spécifique (psychologie et droit dans le cadre de la criminologie, par exemple), n'ont pas de sens. La durée de formation hebdomadaire à la discipline n'étant que de 15-16h, les formations transversales ne conduisent qu'à diluer une formation aux métiers déjà trop restreinte en temps. Quand à la réorientation en fin de 1er semestre de licence, celle-ci est quasi-inexistante, les étudiants préférant se réorienter sur de bonnes bases en redémarrant le 1er semestre de la nouvelle formation.
Tableau 1.
Composante de l'université de
Rouen
Voeu initial
Passage en deuxième année
Redoublement (intra et
hors-filière)
Départ
Droit-Sciences Economiques- AES
52% (40-63)
29%
40%
31%
SHS
68% (47-83)
38%
30%
32%
Sciences
55% (47-67)
44%
30%
25%
Médecine- Pharmacie
81% (72-90)
15%
74%
10%
DUT
91% (90-91)
77%
12%
11%
(2) Studyrama, LEtudiant, mediaEtudiant.fr.
(3) http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2008/06/7/fiche2_35067.pdf
(4) Les données présentées ici sont basées pour partie sur les données de l'OVE de l'université de Rouen sur le devenir des étudiants de 1ère année 2002-2003 (tableau 1) et sur les premiers constats locaux de la mise en place du plan.
(5) Les régions présentent des résultats inégaux de niveau socio-éducatif des parents. Ainsi, certaines régions comme la région rouennaise (Hte-Normandie) ont un fort taux de parents ouvriers et employés.
Innovation pédagogique dans le Plan « Réussir en Licence » ?
Publié le : 08/10/2010