Notre système
par Antoine Bozio et Thomas Piketty(1), économistes
Conséquence de l'empilement des régimes et de modes de calculs complexes, nul ne sait exactement quels seront ses droits à la retraite. Cette incertitude fragilise la con?ance que les salariés accordent au système de retraite actuel. Notre conviction est que seule une remise à plat générale d'un système devenu illisible peut permettre de garantir la con?ance dans l'avenir du système public d'assurance vieillesse par répartition.
Le système actuel est complexe et déroutant. Chaque retraité touche en moyenne des pensions provenant de 2,3 régimes différents (30millions de pensions servies pour 13millions de retraités). Chacun de ces régimes repose sur des règles spéci?ques. Connaître avec précision la pension globale qui sera effectivement versée à chaque individu relève alors d'une gageure, y compris pour les cas
Il ne s'agit pas ici de remettre en cause la réalité des efforts effectués ces dernières années par les caisses de retraite pour mieux informer les assurés de leurs droits à venir. Mais ces efforts se heurtent à des difficultés structurelles que seule une uni?cation des régimes dans le cadre d'une refonte générale pourrait véritablement surmonter.
Cela ?nit par miner le consensus démocra- tique autour de la retraite, de même que l'accumulation de
Notre objectif est de contribuer aux débats à venir en proposant une refonte générale de l'ensemble des régimes de pensions en France et leur remplacement par un système uni?é fondé sur des comptes individuels de cotisations. Cette réforme, qui s'inspire de celle adoptée en Suède en 1994 et mise en place progressivement entre 1998 et 2014, est simple à décrire : les travailleurs accumulent tout au long de leur carrière professionnelle leurs cotisations de retraite (salariales et patronales) sur un compte individuel géré par l'assurance vieillesse. Leurs contributions bénéficient chaque année d'un taux de rendement réel (supérieur à l'in?ation) garanti par l'État. Le système fonctionne toujours en répartition : les cotisations des salariés ?nancent toujours les pensions courantes. Le compte est simplement une mesure en euros des droits des salariés.
Au terme de sa vie active, le travailleur a ainsi accumulé un certain patrimoine retraite qui donne droit au versement d'une pension mensuelle. Le montant de celle-ci est fonction du nombre d'années que le salarié peut espérer passer en retraite. La durée de la retraite dépend en effet de l'âge de liquidation, mais aussi de la génération du travailleur. Le système prend ainsi en compte très progressivement l'augmentation de l'espérance de vie, au fur et à
Contrairement à une idée reçue, le système de comptes individuels tend à avantager les salariés les plus défavorisés. En particulier, les carrières longues seront en?n mieux valorisées. Le rendement appliqué aux cotisations étant cumulatif, il donne plus de valeur aux contributions effectuées en début de carrière, avantageant les salariés ayant commencé à travailler tôt. La prise en compte de toutes les années de cotisations permet également de mettre ?n au fait que, dans le système actuel, les travailleurs aux carrières salariales modestes subventionnent les salariés connaissant une forte progression salariale en ?n de carrière. Le système proposé per- met d'envisager la correction des inégalités d'espérance de vie, autre facteur de redistribution à l'envers dans le système actuel.
Nous n'ignorons pas les difficultés considérables liées à la transition vers un tel système.
(1) Auteurs de Pour un nouveau système de retraite. Des comptes individuels de cotisations ?nancés par répartition, Éditions Rue d'Ulm, 2010, 98p., 7euros.
Pour une refonte générale de notre système de retraite
de retraite est illisible. Il faut le remplacer par un système unifié
fondé surdes comptes individuels de cotisations. Ce dernier,
contrairement
à une idée reçue, tend à avantager les salariés les
plus défavorisés.
Un système illisible
relativement simples.
La retraite par répartition devrait en principe constituer la première des sécurités face à l'avenir et encourager la prise de risque et la mobilité professionnelle; en pratique, les droits à la retraite deviennent encore plus incertains dès lors que l'on s'aventure à changer de statut. Ce qui conduit les salariés à considérer cette énorme masse de cotisations de retraite (13 % du PIB, soit près de 30% du total des prélèvements obligatoires) comme un impôt et non comme une épargne obligatoire donnant droit à un revenu différé garanti par l'État.
On a par ailleurs trop souvent cherché à uti- liser les pensions pour résoudre des problèmes réels (par exemple, des salaires jugés trop faibles ou des conditions de travail particulièrement difficiles pour certaines professions ou dans certains secteurs d'activité) mais qui ne relèvent pas à strictement parler
du système de retraite. Quelles qu'aient été les justi?cations initiales de ces mesures compensatoires catégorielles, leur multiplication et leur inertie dans le temps conduisent à un système où chacun suspecte les autres de mieux tirer parti des avantages en vigueur.
niches ?scales ruine la confiance en l'impôt.
Dans les deux cas, le résultat de ces errements est la remise en cause du principe minimal d'équité horizontale (« à cotisations égales, retraite égale» dans le cas des retraites, « à revenu égal, impôt égal » dans le cas de l'impôt) sur lequel doivent toujours se fonder des politiques publiques de cette ampleur. La logique de compensation par la retraite est d'autant plus contre-productive qu'elle permet souvent de se dispenser de mener les politiques adaptées aux problèmes posés, par exemple une politique salariale plus dynamique dans le secteur public, une politique incitative de prévention des risques professionnels et des accidents du travail dans les secteurs concernés, une politique familiale compatible avec la vie professionnelle, etc.
Un système unifié fondé sur des comptes individuels...
L'avantage est donc de pro?ter des faibles risques de rendement qu'apporte le système par répartition tout en clari?ant les droits individuels à la retraite sur le long terme. Un lien clair et direct est établi entre les contributions des travailleurs et leurs droits à pension.
mesure que celle-ci peut être mesurée. Il est par ailleurs très ?exible, permettant au salarié de partir en retraite de façon progressive, tout en continuant à travailler et à accumuler des droits.
... à l'avantage des plus défavorisés
Cette réforme ne résout pas l'équation fon- damentale de tout système de retraite dans le contexte d'une hausse de l'espérance de vie (hausse des cotisations, baisse des pensions mensuelles ou report du départ en retraite), mais le débat public est facilité en ce sens que le choix de société est ramené à celui du taux de cotisations.
Trois éléments méritent une attention particulière : le choix du plafond des cotisations, l'harmonisation entre secteurs public et privé et la question des mesures ?nancières transitoires. Si nous ne prétendons nullement résoudre toutes ces difficultés, nous tentons de montrer qu'avec suffisamment de préparation, elles peuvent être surmontées. Au terme d'une période transitoire qui pourrait
durer de dix à vingt ans, ce système unique remplacerait l'ensemble des régimes actuels, et donnerait les mêmes droits et les mêmes règles à tous les travailleurs : salariés du privé, fonctionnaires, non salariés, tous secteurs d'activité confondus, toutes professions confondues. Un système de comptes individuels de cotisations permet de dessiner une sortie par le haut de la crise actuelle des régimes de retraite, en mettant en place un système démocratiquement plus transparent, ?nancièrement plus solide et socialement plus juste.
Pour une refonte générale de notre système de retraites
Publié le : 21/05/2010