Parue le 29 mars 2010
http://www.liberation.fr/societe/0101627188-des-entraves-aux-libertes-scientifiques
Stéphane Tassel est le secrétaire général du Snesup, premier syndicat des enseignants du supérieur. Il explique à Libération pourquoi il reste hostile à la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU).
Quel bilan faites-vous de l'autonomie ?
Cela a donc beaucoup changé pour les enseignants-chercheurs ?
Qu'en est-il de la "modulation de service" (la possibilité d'imposer plus d'enseignement à un enseignant-chercheur au détriment de ses recherches) au cœur de la mobilisation l'an dernier ?
Interview de Stéphane Tassel, secrétaire général du Snesup par Véronique Soulé.
Des entraves aux libertés scientifiques
Nos craintes étaient fondées. La LRU a introduit de la concurrence entre les universités et entre les collègues. Elle les a aussi écartés des prises de décision et a attaqué les fondements collégiaux de la communauté universitaire. Jamais les entraves aux libertés scientifiques n'ont été si importantes. Pour cela, nous demandons toujours son abrogation.
Les présidents ont des pouvoirs exorbitants sur le recrutement des enseignants, allant jusqu'au droit de veto. Le conseil d'administration (CA) est à leurs ordres, avec des personnalités extérieures qu'ils ont nommées. Les présidents peuvent ainsi avoir la haute main sur les carrières. On compte déjà 20% de non-titulaires dans le supérieur et ils peuvent décider de recruter des CDD et des CDI en lieu et place de fonctionnaires. Avec cette nouvelle flexibilité, on risque de voir augmenter la précarité en fonction des besoins du moment de la recherche. Le nombre de publications va compter de plus en plus. Avec des dérives. Prenons l'exemple d'une jeune chercheure qui débute mais dont la thématique ne correspond plus à la politique de recherche de l'université. Elle risque de subir des pressions pour changer de thématique, pour accepter des tâches administratives, voire pour quitter son labo. Elle devra alors trouver seule une autre équipe de recherche, ce qui est très difficile. Voilà un exemple d'entrave à la liberté scientifique.
Oui. Prenons l'exemple des primes. Avec la LRU, la prime d'excellence scientifique s'est substituée à l'ancienne prime d'encadrement doctoral. Les CA décident désormais de leur montant qui peut varier d'une université à l'autre. Selon l'établissement, cette prime peut aller de 3500 euros à 15000 euros. Or environ 20% des enseignants-chercheurs la reçoivent, laissant entendre que 80% n'en seraient pas dignes. Il n'y a plus aucune égalité. Cela creuse même les inégalités. Et rien n'est là pour réguler.
La ministre de l'Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, avait annoncé une revalorisation "historique" avec la LRU. Cela n'a pas été à la hauteur - essentiellement pour les débuts de carrière. Pour deux tiers des enseignants-chercheurs, recrutés après 30 ans et de longues études, il faut un peu plus de dix ans pour que leur rémunération se hisse de 1600 euros à 2300 euros mensuels, pour plafonner autour de 3000 euros en fin de carrière.
Cette mobilisation a obligé le ministère à publier une circulaire où il rappelle que le service d'un enseignant-chercheur est fixé à 192 heures en moyenne à l'année. Du coup il n'y a pas eu d'alourdissement des services, but initial de cette réforme. Mais il subsiste des pressions informelles. Il faut aussi rappeler le contexte dans lequel la LRU a été mise en place. En 2008, il n'y a eu aucune création de postes. En 2009, près d'un millier de suppressions était prévu mais le gouvernement a dû reculer devant la mobilisation. Au lieu du désengagement actuel de l'Etat, nous réclamons des créations d'emplois publics.
Enfin avec la LRU, le plan campus et le grand emprunt, nous assistons à une restructuration du paysage universitaire, à une accélération des regroupements et des fusions d'établissements. L'université de Paris-Dauphine a, elle, pris le statut de grand établissement et fortement augmenté ses frais de scolarité. Nous craignons qu'elle soit précurseur et que beaucoup soient tentées de la suivre, ce qui serait inacceptable.
Des entraves aux libertés scientifiques
Publié le : 30/03/2010