Lettres aux retraité(e)s n°64

Publié le : 30/12/2004

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Le 30 décembre 2004 - (n° 64)

Lettre aux retraité(e)s snesUp


Il faudrait une « Lettre » de 50 pages pour faire un bilan de l'année 2004. Nous nous limitons comme chaque fois aux informations concernant plus concrètement les retraité(e)s de notre secteur laissant au bulletin du SNESUP, au Courrier de la FGR, à Pour de la FSU, le soin d'évoquer tous les problèmes et ils ne manquent pas ces jours-ci, de l'Asie du Sud-Est martyrisée à l'Irak, du monde et de notre pays.
En ce 30 décembre c'est d'abord l'expression de tous nos vœux de bonne santé, de bonne retraite que nous adressons à toutes et à tous.
657 parmi vous ont cotisé pour l'année 2003-2004. Depuis septembre beaucoup de nouvelles et nouveaux se sont signalés. Merci à tous et bon courage pour affronter 2005, avec la journée du 20 janvier.

Le compte n'y est pas !

Le ministre de la Fonction Publique R.Dutreil a joué la vedette par ses déclarations particulièrement méprisantes contre les fonctionnaires et plus spécialement contre les « inutiles » que seraient, comme nous, les retraités de la fonction publique. (C'est pas vrai, j'ai pas dit ça, minaudait-il piteux le lendemain). Des plaintes en justice ont été déposées contre ce ministre.
Les 7 fédérations Nationales de Fonctionnaires et la FGR-FP ont fait front et exigé la prise en compte les revendications concernant le pouvoir d'achat qui a accusé un recul de l'ordre de 5%.
Le 21 décembre la réponse ministérielle pour les actifs est de 1%, étalé entre février et novembre. (moyenne annuelle 0,54%)
Pour les retraités de la F.P. les procédures sont différentes, puisque c'est un décret pris en Conseil d'Etat qui doit donner réponse. Il était parlé de 2% (1,8% ou 1,7% de provision + 0,2% ou +0,3% de retard).
Mais il faut regarder de plus près :

  • * pour les actifs il faut déduire une augmentation de la CSG de l'ordre de 0,15% et un prélèvement pour la très future retraite additionnelle (voir notre texte dans le Bulletin National de janvier) qui représentera en moyenne 0,5%, ce qui laminera dès le 1er janvier le 1% annoncé.
  • * pour les retraités il faudra retrancher immédiatement 0,4% d'augmentation de la CSG et 0,15% de la cotisation mutualiste.... Nous en serons alors à + 1,38% en net.

Toute la Fonction Publique sera donc dans les actions et manifestations le JEUDI 20 janvier :
le SNESUP, les Fédérations FSU, CGT, CFDT, CFTC, FO, UNSA, et la Fédération Générale des Retraités de la Fonction Publique. Cette journée rassemblant aussi tous les secteurs de l'Education Nationale.

Nous comptons sur la participation de tous et de toutes.

Repère :

On nous dit qu'en 2003, le PDG de Vivendi a obtenu une rémunération globale de 22,76 millions d'euros = 62 370 euros par jour (40,9 millions d'AF par jour). Cela représente le salaire de 478 professeurs des universités !

2004 : inauguration de la loi Raffarin-Fillon-Delevoye

Les femmes fonctionnaires reçoivent la première frappe

Avant 2004, tout enfant né (y compris mort-né), adopté, recueilli (enfant d'un conjoint par exemple), donnait droit à une bonification de 1 an à toute mère fonctionnaire quelle que soit sa situation à l'arrivée de l'enfant. Cela provenait de la loi de 1924, confirmée en 1948 et en 1964. Cette bonification visait à compenser les retards de carrière et le poids d'une maternité.
La loi du 21 août 2003 supprime toute bonification pour les enfants nés ou accueillis à partir du 1/1/2004. Ces mères de famille constateront dans 20 ou 30 ans lors de leur départ les conséquences qui s'ajouteront à la décote et aux durées exigées.
Mais pour celles qui sont parties en 2004, ayant eu des enfants voici une trentaine d'années la mesure a montré sa brutalité. Voici des exemples venant d'universités bien de chez nous  :

  • * Nicole D. : institutrice en 1973, deux enfants adoptés en 1974 et 1975, 32 annuités validées = enfants éliminés (le congé d'adoption n'existait pas avant la loi du 9/7/1976 et il n'est valable qu'à partir du 1/10/1978) ;
  • * Delphine G. 2 enfants alors qu'elle était assistante contractuelle à temps incomplet = enfants éliminés (période non validable car temps incomplet) ;
  • * Michèle G. : licence en droit en 1963, étudiante, 2 enfants, maître auxiliaire en 1965, en 1969 la licence en droit permet de passer le CAPET, CAPET réussi en 1970, titularisée en 1971, doctorat, etc, 36 annuités validées = enfants éliminés (plus de 2 ans entre 1963 et 1971) ;
  • * Françoise A. : salariée à 17 ans en 1958, puis aide technique de laboratoire (passe Bac et DEUG), maîtresse d'internat, vacataire, maître auxiliaire, assistante déléguée, titularisée en 1975, 34 années validées, 2 enfants sur 3 éliminés (nés dans des périodes non validables) ;
  • * Annette M. : étudiante et « petits boulots », à l'étranger (famille à l'étranger salariée aux affaires étrangères), 3 enfants, licence puis CAPES, puis entrée à l'université, 31 annuités = 3 enfants éliminés (nés avant le recrutement).

Nous tenons à montrer ces situations et nous protestons contre le silence fait et les fausses informations diffusées. Le coup a été bien monté.

A la demande d'un magistrat, M.Greismar, la Cour de Justice des Communautés Européennes (2001), en application du traité de Rome (1959), annonçait qu'il y avait une inégalité H / F à donner une bonification aux fonctionnaires mères de famille. Avec cet arrêt en mains le gouvernement a supprimé cette bonification à partir de 2004, et pour les enfants existant déjà, il a imaginé de donner la bonification aux pères en introduisant des conditions les éliminant presque tous, mais éliminant aussi et surtout des milliers de femmes. Le tour était joué.
Cela ne concerne que les femmes fonctionnaires, car la Cour Européenne n'était compétente que sur les salaires des fonctionnaires. Pour l'équipe gouvernementale, cela permettait de porter un coup aux carrières de la fonction publique. Des services ont expliqué qu'il s'agissait d'aligner le public sur le privé, ce qui est faux puisque la nouvelle loi a maintenu et même très légèrement amélioré la bonification de 8 trimestres accordée aux mères de famille salariées du Régime Général.
Le 8 décembre la FSU a lancé une campagne nationale pour exiger le rétablissement de la bonification aux femmes fonctionnaires, nous poursuivrons nos actions à tous les niveaux (gouvernement, ministères, élus). Nous ferons le point le 8 mars prochain à l'occasion de la Journée Internationale des Femmes. Nous (SNESUP comme toute la FSU) ne pouvons laisser se poursuivre une telle régression, agissez avec nous en toutes occasions.

Note complémentaire :

Plusieurs services ont expliqué que pour les femmes fonctionnaires ayant eu 60 ans avant le 1/1/2004 et partant après cette date, rien n'était changé ! Des collègues viennent d'en faire l'amère découverte puisque leurs enfants ne sont plus pris en compte comme par le passé. Plusieurs des exemples ci-dessus le montrent.
(Nous regrettons aussi que dans Valeurs mutualistes de nov-déc 2004 page 11 « fiche pratique » consacrée à la retraite des fonctionnaires, la MGEN oublie d'écrire que les enfants nés, adoptés ou accueillis à partir du 1/1/2004 ne donnent plus droit aux bonifications qui existaient depuis 1924 et que pour les enfants avant 2004 les conditions imposées conduisent à une suppression pour des milliers d'entre elles.)

La gouvernance de l'assurance maladie

Il y a 2 Sarko(s). L'un joue dans les paillettes. L'autre, Guillaume, poursuit sa route discrètement. Vice-président du Médef il se trouve membre du CA de la CNAM (caisse nationale de l'assurance maladie) que le Médef avait quitté voici 3 ans. Il a été élu vice-président, après avoir voté pour la CFDT à la présidence. Puis il est vice président de l'UNCAM (Union des caisses : CNAM (travailleurs salariés), MSA (agriculture), CANAM (artisans)), où le patronat est majoritaire et la mutualité évincée, alors que c'est cette Union qui va détenir le rôle essentiel (liste et taux des prestations, et des remboursements). Enfin, Gérard de la Martinière (Médef) président de la Fédération des Sociétés d'assurances revendique contre la Mutualité une place de choix à l'UNOAMC (union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaires). Nous espérons qu'il sera battu.
Mais ce n'est pas tout. M. Van Roekeghem, directeur de cabinet de Douste-Blazy a été nommé par lui directeur de la CNAM et sur-directeur de l'UNCAM pour 5 ans (il vient de chez AXA).

Le « trou » de la Sécu et les requins de la finance aux aguets

En 1995 Juppé a inventé la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), chargée d'apurer les dettes de la Sécu (38 milliards d'euros de 1991 à 1995) et provisionner 1996. Cette CADES est alimentée par les 0,5% de la Crds (Contribution au remboursement de la dette sociale) prélevée sur les salaires, les pensions, les allocations de chômage, les allocations familiales, de logement, soit tous les revenus des ménages - plus de gens modestes que pour la CSG.
Ensuite la CADES doit couvrir des découverts de 1996 et 1997 (11 milliards) et le déficit de 1998 (1,8 milliards). Et la Crds qui devait durer 13 ans est prolongée de 5 ans (janvier 2014).
2002, l'équipe Raffarin renvoie sur la CADES les exonérations de charges sociales accordées au patronat (2,4 milliards pour 2003 et 2004), et la Crds est validée sans aucune date finale !
La CADES a versé à la Sécurité Sociale 10 milliards au 1er septembre et versera 25 milliards en fin d'année (en euros).
Où prend-t-elle cet argent ? Il y a ce qui rentre par la Crds, mais cela ne suffit pas. Elle s'adresse alors aux banques internationales pour contracter des emprunts à court terme en payant les commissions. Puis pour couvrir ces emprunts elle lance des obligations (remboursables en 5 ou 10 ans). Les banques, moyennant commissions, placent ces obligations à qui les veut à un taux avantageux pour les souscripteurs.
La finance internationale se jette sur ces propositions, car elles ont toutes les garanties grâce à la Crds que l'Etat prolonge comme il veut. Ces paquets d'obligations peuvent passer d'un propriétaire à un autre, faire les profits considérables pour des maffias internationales et même pour des blanchiments d'argent sale. Ainsi le trou de la Sécurité Sociale peut devenir une grande vedette dans les Bourses internationales. Plus de 100 milliards d'euros se promènent.
Au 31 décembre 2003, la Crds avait collecté 34 milliards mais, sur cette somme, 12,1 milliards avaient servi à payer intérêts et commissions aux sociétés bancaires et à leurs investisseurs.
Voilà pourquoi la finance internationale est favorable à ce que cela continue et que vive ainsi le plus longtemps possible le déficit de la Sécurité Sociale.

Dernière minute 

Comme vous ne le savez pas ( !) à partir du 1/1/2005, tous les actifs subiront une retenue de 5% sur l'indemnité de résidence, les primes, les heures complémentaires pour faire des points quand ils partiront à la retraite (on ne sait pas combien, ce n'est expliqué dans aucun texte). Mais un arrêté du 26/11/2004 vient d'annoncer que cet argent retenu sera versé dans une caisse spéciale (le RAFP) qui pourra acheter des milliers d'obligations à la CADES. Ainsi, quand le fonctionnaire partira en retraite, les obligations seront « réalisées », la CADES devra trouver de l'argent frais, il faudra augmenter la Crds, et les actifs et retraités mettront une 2ème fois la main à la poche pour boucher 2 trous sans fond au lieu d'un seul ? Ce sera une chaîne sans fin.

Une bonne initiative des mutuelles

La Mutualité de la Fonction Publique qui rassemble les Mutuelles des personnels de la fonction publique (29) vient de réagir avec vivacité.
Elle demande que l'Etat en tant qu'employeur apporte aux mutuelles sa participation, ce que font de nombreuses entreprises vis à vis des mutuelles des salariés du privé... alors que l'Etat ne sait parler que de prélèvements.

Les retraité(e)s peuvent-ils être vacataires dans l'enseignement supérieur ?

Dans le Mémento sur les retraites page 58 nous avons rappelé le décret n° 87-889 du 29 octobre 1987, il a été modifié plusieurs fois et un nouveau décret du 16 septembre 2004 confirme des dispositions déjà données en 1992. Peuvent participer aux enseignements des « chargés d'enseignement » et des « agents temporaires vacataires ». D'après l'article 2, les chargés d'enseignement  sont des personnalités qui exercent, en dehors de leur activité de chargé, une activité professionnelle principale consistant soit en la direction d'une entreprise ; soit en une activité salariée d'au moins mille heures de travail par an ; soit en une activité non salariée assujetties à la taxe professionnelle ou justifiant des moyens d'existence réguliers ; soit des fonctionnaires détachés, mis à disposition ou délégués auprès d'une entreprise.
Les agents temporaires vacataires (l'article 3), doivent avoir moins de 28 ans... ou, les « personnes, âgées de moins de 65 ans, bénéficiant d'une pension de retraite, d'une allocation de préretraite ou d'un congé de fin d'activité, à la condition d'avoir exercé au moment de la cessation de leurs fonctions une activité professionnelle principale extérieure à l'établissement, peuvent être recrutées en qualité d'agents temporaires vacataires dans les disciplines dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur et lorsqu'elles n'assurent que des vacations occasionnelles dans toutes les disciplines. »
Les articles suivants indiquent les modalités annuelles de recrutement dans les universités, les instituts ou les écoles. Les services ne peuvent dépasser chaque année 96 h de TD (64 h de cours pour les chargés d'enseignement).

La situation des Tribunaux administratifs

Le syndicat de la juridiction administrative (SJA) vient d'alerter l'opinion sur la situation de cette administration. Au premier semestre 2004 hausse de 30% des requêtes (après +14% en 2003). En tête une augmentation de 162% des demandes de fonctionnaires concernant le calcul de leurs pensions ! Le SJA dénonce par exemple le fait, signalé depuis longtemps par le SNESUP, que des administrations refusent d'examiner les contestations des fonctionnaires et obligent ainsi à des démarches très longues devant des tribunaux surchargés et coûteuses pour les intéressés et pour l'Etat.

Page 4, Claude SEUREAU biologiste à Jussieu, ancien secrétaire général du SNESUP, retraité maintenant, nous donne une contribution importante qui nous permet de mieux saisir le débat nécessaire sur les OGM-PGM... à lire sans modération.

le 13 janvier amphi A.Herpin, Université Paris VI, - rue Jussieu-rue Cuvier - Assises nationales de la formation des Maîtres

Notre mémoire

  • * Début novembre notre camarade Gilbert BADIA nous a quitté. Il était à 89 ans un des doyens de notre collectif de retraités. Universitaire et militant il participa activement au développement et à la défense de l'Université de Paris VIII. Au SNESUP il fut un de ses représentants au CNESER. Son activité pour faire connaître l'Allemagne contemporaine a été considérable. Un de ses derniers livres était : « Ces Allemands qui ont affronté Hitler ». Il tenait une place exceptionnelle dans le milieu germaniste, par son analyse et sa connaissance des évènements qui ont marqué toutes ces dernières décennies. C'est dès 1936 qu'il avait connu l'Allemagne et vu la montée des immenses périls.
  • * Un autre de nos doyens nous a quitté lui aussi dans la même période. Il s'agit de Félix KREISSLER. Chassé d'Autriche en 1937 il fut à l'arrivée des nazis en France de tous les combats de la résistance, torturé par Klaus Barbie, puis déporté à Buchenwald. Universitaire éminent (Université de Rouen) il fut un grand animateur des études sur l'Autriche par la création de structures de recherches et de très nombreuses publications. Lors de l'arrivée de Haider et du FPÖ dans le gouvernement autrichien il sut alerter l'opinion française et poursuivit son activité inlassable pour faire connaître la culture autrichienne. Il laisse un énorme travail scientifique.
  • * En octobre nous avons aussi appris le décès de Pierre MULLER. Nous nous permettons de parler de lui car il fut le premier collègue en 1998 victime d'un blocage de sa pension par le Ministère des Finances qui, reniant ses engagements de 1994, n'admettait pas que enseignant à l'IUFM, notre camarade agrégé hors classe soit devenu maître de conférences. Il fallut près de 3 ans pour résoudre ce problème !

 

Pour votre bibliothèque

Notre amie Eva BALINT, de Nice, vient de publier chez l'Harmattan, un ouvrage au titre un peu provocateur : « L'enfant malade de l'Ecole », présenté comme un plaidoyer pour la cause des enfants à l'école primaire. Ce livre veut s'attacher à comprendre le vécu de l'enfant. Il met en valeur le paradoxe des nombreuses situations pédagogiques qui s'allient pour le faire réussir, mais qui, en réalité, freinent ses possibilités. Nul doute que cet ouvrage suscitera d'importants débats.
Jean ROSMORDUC, de Brest, nous rappelle le travail des équipes qui ont lancé la collection d'histoire des sciences et des techniques, éditée par Adapt (édition du SNES) et Vuibert.
* citons de Claude LECAILLE, (ancien secrétaire général du SNESUP) « l'Aventure de la Chimie jusqu'à Lavoisier » (les Grecs, Alexandrie, l'alchimie, la période arabo-mulsumane, la renaissance, le XVIIème siècle, la phlogistique)....
* Jean et Vina ROSMORDUC, Françoise DUTOUR, « Les Révolutions de l'optique et l'œuvre d'Augustin Fresnel », parcours de l'histoire de la science de la lumière (raisonnement par analogie entre la lumière et le son d'Aristote à Thomas Young. Puis Fresnel qui adopte l'hypothèse d'une vibration lumineuse transversale)
* sans oublier, en préparation « la Naissance de l'algèbre arabe » par Ahmed Djebba, et « A propos du catastrophisme » de Claude BABIN.
* citons aussi tout le travail de Paul MAZLIAK : « Les Fondements de la Biologie » (Darwin, Pasteur, Claude Bernard) ; « La biologie du XXème siècle » (les grandes avancées de Pasteur jusqu'aux neurosciences) ; «  Avicenne et Averroès » (médecine et biologie dans la civilisation de l'Islam - les apports de la civilisation médiévale arabo-mulsumane dans l'essor scientifique de la Renaissance européenne).

Exposé de notre ami Claude SEUREAU :

de l'ADN aux OGM, des OGM aux PGM en plein champ : une courte histoire et des enjeux considérables

Tout commence, ou presque, avec la découverte en 1953 de la structure de l'ADN (Acide DésoxyriboNucléique), une molécule support de l'hérédité. Puis on montre que cette molécule est universelle: "De la bactérie à l'éléphant", selon la formule de J. Monod, sans oublier l'homme et ... les végétaux. On découvre aussi des outils moléculaires (des enzymes) qui permettent de couper-coller des morceaux d'ADN. De là à imaginer couper-coller des ADN d'espèces différentes, et le pas est franchi en 1972, aux U.S.A., avec un ADN "chimère" combinant de l'ADN de bactérie et de l'ADN de virus de singe: c'est le premier OGM (Organisme Génétiquement Modifié), qui peut se reproduire indéfiniment et fabrique des protéines "codées" par les deux ADN n'en formant qu'un seul. En 1975, conscients des risques liés à ces expériences et à l'éventuelle dissémination de leurs produits, les chercheurs (peu nombreux à cette époque) organisent une conférence internationale et décident de procédures très strictes de sécurité (laboratoires confinés, bioréacteurs,...). Suivent des bactéries OGM produisant l'insuline humaine (1978), puis une hormone de croissance (1979) et la première plante OGM (une PGM), un tabac, en 1983, en Belgique.
Pour les PGM en Europe et en France, les premières expérimentations en champ ont lieu en 1986. La même année, est créée une Commission du Génie Biomoléculaire qui accorde les autorisations d'essais en champ. Entre 1986 et 1996, la France en effectuera 450. En 1996, des scientifiques européens demandent un moratoire sur la culture en plein champ. La Commission Européenne autorise l'importation de maïs et de soja transgéniques américains. 1997: premiers arrachages "sauvages" de PGM en serre, puis en champ. La France devient, en 1998, le premier pays européen à cultiver des PGM: un maïs résistant à un herbicide total, et à la pyrale (insecte "ravageur"). Elle décide un moratoire pour la commercialisation de colzas et de betteraves PGM, et impose l'étiquetage des produits alimentaires contenant des PGM. 1999: cinq Etats de l'U.E., dont la France, décident un moratoire pour les autorisations de mise sur le marché de nouveaux PGM. En 2001, l'AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire et Alimentaire) détecte des traces de PGM dans une quarantaine d'échantillons de maïs non-PGM. A l'initiative de la Confédération Paysanne, une campagne d'arrachage d'essais en plein champ est lancée. 2004: l'U.E. lève le moratoire sur les PGM. La France nomme une mission parlementaire "d'information sur les enjeux des essais et de l'utilisation des organismes génétiquement modifiés". Le Parlement adopte une modification de la loi relative "à la protection des inventions technologiques" pour répondre à la transposition d'une directive européenne sur le brevetage du vivant.
Même partielle, cette chronologie permet de saisir les enjeux des OGM et des PGM. Ils sont d'ordre scientifique et sanitaire, économique, environnemental, démocratique et éthique.
D'abord, il ne faut pas confondre biologie et biotechnologies même si leurs liens sont réciproques. L'une ressort de l'avancement des connaissances, du savoir, de la science, et les autres de leurs applications. Ainsi, et contrairement à ce que l'on entend parfois, on peut être anti-PGM en champ, sans être anti-science ou anti-progrès scientifique. Mais être anti-OGM sans autre précision, est difficilement soutenable. La technologie de la transgenèse (génie génétique) est, qu'on le veuille ou non, un formidable outil de la recherche fondamentale et de ses applications dans le domaine de la synthèse de molécules d'intérêt médical par exemple. Elle utilise des virus, des bactéries et des cellules végétales et animales (y compris humaines). Toutes ces recherches se font en strict milieu confiné.
Il n'en est pas de même lorsque des PGM sont cultivées en serre (confinement partiel) et a fortiori dans le cas d'essais ou de culture en champ où, malgré quelques précautions, les risques de dissémination (en particulier par le pollen, lui-même GM) sont réels et maintenant vérifiés. Mêmes agraires, les écosystèmes sont complexes, dynamiques et souvent imprévisibles parce que mal connus. S'ajoutent des conséquences pour la santé publique lorsque les produits de ces PGM sont utilisés dans l'alimentation animale ou humaine. Pouvoir allergène des molécules produites, effets de résistance aux antibiotiques, encore utilisés dans la transgenèse, sont des menaces non négligeables compte tenu du nombre insuffisant des analyses toxicologiques réalisées.
Mais l'enjeu majeur des PGM reste d'ordre économique, car il s'agit de l'avenir de l'agriculture et de notre alimentation. Quand la transgenèse végétale est entre les mains de quelques multinationales de l'agro-alimentaire, plus soucieuses de défendre les intérêts de leurs actionnaires que ceux des consommateurs, il y a lieu d'être inquiet. Certains prétendent qu'elles disposent d'une véritable "arme alimentaire" ! D'autant plus que plusieurs constatations, qui se confirment avec le temps, remettent en cause les promesses des promoteurs des PGM :

  • 1. Les PGM seraient la réponse à la faim dans le monde ? : L'Inde compte plusieurs centaines de millions d'affamés alors qu'elle exporte des céréales. La grande masse des petits paysans est trop pauvre pour acheter des semences. La réponse est économique et politique.
  • 2. L'enrichissement des agriculteurs par un gain de productivité et une moindre utilisation des pesticides ? : En Argentine, comme maintenant au Canada, après quelques bonnes années, c'est l'inverse qui se produit.
  • 3. Pas d'effet sur la biodiversité ? : Dans des régions comme l'Afrique, les pressions pour une monoculture industrielle se font aux dépens des cultures vivrières très variées et ruinent les petits paysans devenus dépendants des semenciers. Leur "souveraineté alimentaire" est bafouée. Chez nous, l'agriculture "bio" est menacée et déjà polluée par les PGM.

L'enjeu des PGM est aussi démocratique. Qui décide de l'entrée des PGM dans un pays ? Les agriculteurs, les consommateurs, les populations ? Poser la question, c'est déjà y répondre. D'autant plus que lorsque des sondages ou des consultations sont faits, en Europe en particulier, ils sont défavorables.
Enfin, les PGM et leur formidable ascension sont le produit d'un choix: celui du "tout-génético-moléculaire" et du "tout-biotechnologies". Ce choix se retrouve dans celui des programmes de recherche et il s'exerce au détriment des autres domaines de la biologie. Ce choix, encore à l'oeuvre, est lourd de conséquences pour l'ensemble des connaissances en biologie. Il est réductionniste et utilitariste, il ignore l'immense complexité, pour une très grande part inconnue, de la dynamique de la vie et de son évolution. Ainsi, il compromet la résolution des problèmes auxquels il prétend s'attaquer. De plus, avec le brevetage du vivant, il permet la main-mise de quelques-uns sur ce qui devrait être un bien commun, universel et inaliénable.
Il est grand temps que l'ensemble de la société pèse sur ces enjeux, et en premier lieu les scientifiques en proposant des solutions alternatives dont certaines sont dès maintenant disponibles.
Pour en savoir plus:

  • - www.ogm.gouv.fr (site interministériel) et - www.isaa.org (International Service for the Acquisition of Agro-biotech Applications)
  • - Hervé KEMPF, La guerre secrète des OGM, L'histoire immédiate, Seuil, 2003
  • - Société civile contre OGM, Arguments pour ouvrir un débat public, Collectif Ecologie, Edit. Yves Michel, 318 p, 2004
  • - Gilles-Eric SERALINI, Ces OGM qui changent le monde, Champs, Flammarion, 229 p, 2004
  • - Claude SEUREAU, Quel avenir pour les plantes génétiquement modifiées ?, Naturellement n° 80 (10-12), n° 81 (8-10), 2004.

 

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