Réduite à une branche de la logique, l'économie a renoncé à être politique et ses thuriféraires persistent à défendre des modèles déconnectés du réel. Il convient de combattre ce nouvel obscurantisme.
La crise est corrélée à une crise intellectuelle, celle de la manière de penser l'économie et son rapport à la société. La situation ubuesque actuelle, où l'on voit les agences de notation, fautives d'avoir surévalué les crédits subprimes par lesquels la crise a éclaté, étalonner les performances des États supposés
Au centre de la fiction : le concept de marché
La fin de l'économie politique
Contre le nouvel obscurantisme
1. Un signe de cet autisme : lors du dernier jury d'agrégation du supérieur, le premier post-crise, le jury était constitué entièrement de personnalités
souverains, appelle à faire un pas de côté pour saisir ce qui nous a échappé.
Pour le dire vite, cette situation est la conséquence d'une autonomisation des sciences économiques vis-à-vis des sciences sociales. Ce «désencastrement" a en quelque sorte préfiguré le désencastrement concret de l'économie vis-à-vis du politique. Il caractérise l'approche néoclassique de l'économie, celle de la théorie de l'équilibre général, comme celle - appauvrie mais pas moins efficace - de la théorie des contrats. Selon cette approche, l'économie est réductible à l'analyse du comportement d'un automate rationnel, l'homo oeconomicus, être abstrait situé en dehors du temps et de toute attache sociale. La science économique se réduit dans cette optique à une branche de la logique consacrée à l'étude du choix rationnel instrumental. La référence au capitalisme n'a alors strictement aucun sens. Le concept-clé est celui de marché : c'est un univers abstrait dans lequel les individus pourraient choisir librement, sous contrainte de leur revenu, les biens et services maximisant leur bien-être. Il est la toile de fond de l'analyse, qui permet de souligner les problèmes que poseraient les entraves, nombreuses, au bon déroulement du processus concurrentiel : interventions publiques, dissimulation
d'information, situations de monopoles... et ce d'une manière parfois surprenante puisque l'on peut par exemple y apprendre que les salariés, dissimulant leur travail effectif, et placés en situation de monopole lorsqu'ils sont regroupés en syndicats, dictent littéralement leur volonté aux entreprises, imposant des salaires et conditions de travail « sous-optimales » qui provoquent crise et chômage. Que cette glose existe, et permette à quelques « économistes de cour » de vivre, fort bien, de leurs conseils éclairés apportés aux puissants (privés et publics) n'est pas en soi une trop grave affaire (on connaît d'autres scandaleuses rémunérations plus fictives encore). Le problème est plutôt que les conseils de ces pseudo-économistes sont effectivement appliqués ! Ils modèlent ainsi le monde, en référence à leur représentation théorique de ce que doit être l'économie. Lorsque cette représentation exclut la monnaie, l'inégalité entre salariés et détenteurs de capitaux, le chômage involontaire, ou encore l'idée que les choix individuels peuvent être dictés, par exemple en matière de consommation, par les lobbys qui produisent les marchandises, on conçoit que leurs conseils tournent à la catastrophe.
Cette catastrophe prend une forme générale extrêmement simple : tout à leur recherche d'une concurrence pure et parfaite, les économistes ont hâté, dans leurs recommandations politiques, l'émergence d'un capitalisme pur, sans régulation publique autre que redistributive. Or, Ricardo, Marx, Keynes ou K.Polanyi ont depuis longtemps souligné que le capitalisme n'était tout simplement pas une économie réelle de marché mais bien plutôt une économie monétaire de production, et que les tensions liées aux groupes sociaux (détenteurs de capitaux, salariés, propriétaires terriens) amenaient tôt ou tard un
dysfonctionnement mortel du capitalisme. Oubliés, ils ne sont pratiquement plus enseignés, et ne servent plus du tout de référence aux économistes
considérés comme « excellents »...
Ce qui méritait le nom d'Économie politique se meurt littéralement, pour faire place à une glose libérale d'origine néoclassique.
Les hommes politiques ont donc cru bon d'appliquer ce que « les économistes » leur avaient enseigné et conseillé : baisser le poids de l'État, ouvrir les frontières, « marchandiser » autant que possible toute activité humaine, faire confiance aux marchés et à des banques centrales centrales indépendantes n'ayant comme objectif que la lutte contre l'inflation (afin de faire coller l'apparence monétaire à la réalité des engagements). Et évidemment, la catastrophe est arrivée : forte, dévastatrice. Les politiques économiques actives ont été vouées aux gémonies. Le populisme, souvent d'extrême droite,
couve. Mais les économistes, eux, où en sont-ils ? Ils n'ont tiré aucune leçon de la crise ! Les règles académiques se sont au contraire durcies, et ont rendu un peu plus imperméables encore au réel les discours savants des économistes du mainstream : ils continuent ainsi de rêver et de faire croire à des marchés équilibrés, à une société de marché (en fait de troc) entre homo oeconomicus (1).
C'est contre ce véritable obscurantisme que se sont notamment constituées l'AFEP (http://www.assoeconomiepolitique.org/), sur le plan académique, et l'Association des économistes atterrés (http://economistesatterres.blogspot.com/), sur un volet plus politique. Il y a urgence politique dans ce combat...
Une anecdote récente nous le prouve. Un économiste italien bon teint, formé à l'école orthodoxe, était connu pour ses articles sur les vertus des marchés financiers permettant de « cacher » les risques. Il appliqua ses théories en participant auprès de la banque Goldman Sachs à une part essentielle des privatisations de son pays, puis y fit carrière en faisant preuve d'une forte inventivité financière permettant à l'État grec de mettre hors bilan une partie de ses dettes. Cet économiste vient d'être condamné à une lourde peine : aller luimême nettoyer les écuries d'Augias ! Il s'agit de Mario Draghi, nommé... président de la Banque Centrale Européenne : pas sûr qu'il ait dans sa besace intellectuelle et pratique les bons produits de nettoyage ! ?
mainstream, mais plus encore, sur six membres, deux n'étaient pas économistes mais des mathématiciens spécialistes des marchés financiers !
Les économistes, nouvelle figure des médecins de Molière
Publié le : 15/11/2011