Prôner le recul de l'âge de la retraite afin d'améliorer les taux d'emploi est une hypothèse déconnectée de la réalitécar ce ne sont pas les salariés qui
par Pierre Concialdi, chercheur IRES (Institut de recherches économiques et sociales)
Dans la plupart des pays européens, l'âge légal de la retraite est de 65 ans.
Durant cette période de précarité, les salariés sont placés devant un dilemme: soit liquider leur pension avec des abattements et des pénalités (la décote en France), soit attendre le plus longtemps possible pour «maximiser» le niveau de leur pension. En Allemagne, par exemple, plus de la moitié (55%) des pensions liquidées en 2007 dans le secteur privé ont subi un abattement, faute d'une durée d'assurance suffisante (1).
En France, moins de 10% des nouveaux pensionnés liquident aujourd'hui leur pension avec une décote. Une proportion qui risque fort d'augmenter avec un recul de l'âge légal. Rappelons qu'avant l'ordonnance de 1982, les salariés avaient déjà la «liberté» de partir à 60 ans, mais avec un taux de pension réduit de moitié (25% au lieu de 50%). Le recul de l'âge légal rétablirait, de fait, ces pénalités.
Certains laissent entendre que ?xer l'âge égal à 62 ans ne serait pas un problème puisque c'est l'âge «moyen» de départ à la retraite en France. Mais cette moyenne n'a aucune signification.
Depuis de nombreuses années, les Français sont ceux qui expriment le plus le souhait de partir «le plus tôt possible à la retraite (2) ». En 2003, le gouvernement avait renvoyé cette question de la pénibilité à la négociation entre employeurs et salariés pour le secteur privé. Une «négociation» qui s'est brutalement achevée en 2008 sur un blocage patronal. Il s'était aussi engagé, pour les enseignants, à ré?échir à l'organisation d'une «seconde carrière». Une promesse de plus sacrifiée au dogme du «travailler plus».
(1) Mechtild Veil: «Retraite à 67 ans en Alle- magne : les termes du débat» -
http://www. constructif.fr/Article_45_83_657/Retraite_a_67_ans_en_Allemagne_les_termes_du_debat.html
(2) Insee Première, n°1052, décembre 2005La retraite à 60 ans : reculer...pour mieux sauter dans la précarité
décident de quitter ou non leur emploi.
La France fait exception avec un âge de 60 ans: serait-ce le dernier village gaulois, un pays de cocagne gagné par la paresse? Pas vraiment, cela se saurait.
Il faut d'abord éviter une confusion.
L'âge légal de départ à la retraite n'est pas l'âge auquel les salariés cessent leur activité. Dans les autres pays européens, l'âge légal est supérieur de 5 ans à celui de la France. Mais l'écart est beaucoup plus faible pour l'âge de cessation d'activité: 61 ans en moyenne dans l'Union européenne, contre environ 59 ans en France. Conséquence: avant la retraite, les salariés passent davantage d'années qu'en France dans une période de pré carité faite de chômage ou d'inactivité.
En moyenne, cette période est de quatre ans contre un peu plus d'un an dans notre pays.
DEUX ÂGES PIVOTS
Aujourd'hui, 80% des salariés partent à la retraite soit à 60 ans, soit à 65 ans, et moins de 10% entre ces deux âges pivots. Car c'est à ces deux âges qu'on peut liquider sa pension sans pénalités, soit avec une durée d'assurance complète (60 ans), soit sans avoir atteint cette durée minimale d'assurance (65 ans).
D'après les projections de la CNAV (Caisse nationale d'assurance vieillesse), les départs à la retraite vont rester concentrés en 2050 sur ces deux
âges pivots. Mais davantage de salariés seraient contraints de partir à 65 ans (36% contre 17% aujourd'hui) en raison de trop faibles durées d'assurance.
Le recul de l'âge de la retraite se heurte aussi, de façon évidente, aux faibles taux d'emploi des «seniors». Contrairement à une idée reçue, les Français ne travaillent pas moins que les autres: le taux d'emploi des 15-64 ans est très proche en France de la moyenne européenne. Il est plus élevé pour les 25-54 ans, mais plus faible en début de vie active et, essentiellement pour les hommes, en ?n de vie active. Reculer l'âge de la retraite ne changera pas cette situation. Car ce ne sont pas les salariés qui décident de quitter ou non leur emploi. Aucune théorie économique ne se fonde sur une hypothèse aussi déconnectée de la réalité.
En?n, dernier point à souligner, le recul de l'âge légal pénalise surtout les catégories les plus défavorisées, dont l'espérance de vie est inférieure à la moyenne, pour l'espérance de vie totale comme, plus encore, pour l'espérance de vie en bonne santé. Ce qui souligne aussi la nécessité de prendre en compte la pénibilité au travail.
La retraite à 60 ans : reculer... pour mieux sauter dans la précarité
Publié le : 21/05/2010