La remise en cause de la pédagogie à l’école est ancienne, elle
Cette mauvaise presse (qui est une constante de base depuis plus d’un siècle) a eu deux exceptions majeures – du moins dans les sphères gouvernementales – qui correspondent (et ce n’est bien sûr pas un hasard) au moment de la mise en place de l’École obligatoire (dans les années 1880) et au moment de la prolongation effective de cette même scolarité obligatoire (à la fin des années 1960, et au début des années 1970).
Cela peut surprendre pour la période ferryste car, depuis le début des années 1980 (à la suite de la mise en place difficile du collège unique et plus particulièrement du rapport « Legrand » sur le collège de 1983), s’est peu à peu imposée (à tort) la vision d’une dichotomie historique entre « républicains » et « pédagogues ».
En réalité, les grands républicains fondateurs de l’École de la IIIe République ont pris – eux – très au sérieux la pédagogie, la réflexion pédagogique et même les pédagogues. Ils ont d’ailleurs multiplié les « congrès pédagogiques » où ils intervenaient eux-mêmes. « Nous voulons des éducateurs ! Est-ce là être trop ambitieux ? Non. Et je n’en veux pour preuve que la direction actuelle de la pédagogie, que les méthodes nouvelles qui ont pris tant de développement, ces méthodes qui consistent, non plus à dicter comme un arrêt la règle à l’enfant, mais à lui faire trouver; qui se proposent avant tout d’exciter la spontanéité de l’enfant, pour en diriger le développement normal […]; ces méthodes qui sont celles de Froebel et de Pestalozzi, et qui impliquent que le maître, le professeur, entre en communication intime et constante avec l’élève » (Jules Ferry, au Congrès pédagogique du 2 avril 1880).
On sera aussi certainement surpris que l’appel à une rénovation pédagogique précède Mai 68, et qu’elle soit initiée par le très gaullien ministre de l’Éducation nationale Alain Peyrefitte (mais c’est qu’il y va de la réussite de la prolongation de la scolarité, y compris dans l’enseignement secondaire). C’est ce que souligne d’ailleurs Alain Peyrefitte au Conseil des ministres du 28 février 1968 : « La réforme de l’enseignement engagée depuis 1959 a profondément modifié les cadres de l’organisation scolaire, le contenant. Pour donner tout son sens à cette oeuvre, il faut s’occuper du contenu. Les méthodes pédagogiques n’ont guère évolué depuis le siècle dernier. Rien n’est plus difficile que de faire changer les esprits et les méthodes. Or la démocratisation amène dans l’enseignement secondaire des enfants culturellement défavorisés; ils ne sont pas justiciables des méthodes qui réussissent auprès des enfants culturellement favorisés ».
Dès son arrivée au ministère en mai 1967, Alain Peyrefitte avait réuni chaque semaine un groupe de travail qui avait élaboré peu à peu un plan de réforme en vingt-sept points. Deux des points considérés comme acquis avant sa démission (en raison des événements de Mai 68...) concernaient la formation des maîtres. Les écoles normales devaient être remplacées par « des instituts universitaires de pédagogie, situés au chef-lieu d’académie près de l’université, et comportant deux années de préparation professionnelle et d’enseignement de la pédagogie ». On attend toujours ces deux années de formation professionnelle...
Mais, depuis plus d’un siècle, la constante de fond est la mise en cause de « la pédagogie » (et surtout des “pédagogues”) par les professeurs du secondaire. Cela s’explique fondamentalement par la concurrence qui existe depuis la fin du XIXe siècle (où commence une forte implantation des Écoles primaires supérieures, ancêtres des Cours complémentaires qui seront rebaptisés CEG en 1960) entre le corps du primaire et le corps du secondaire pour la scolarisation des élèves qui se situent au niveau du « premier degré » (de ce qui restera, finalement, l’enseignement secondaire). Il y a des moments plus chauds que d’autres (vers la marche pour une « École unique » dès l’entre-deux-guerres, puis vers le « collège unique ») ; mais l’affrontement, même larvé, est toujours présent. Bon nombre d’enseignants du secondaire considèrent que cette concurrence est illégitime et se fonde sur une valorisation du « pédagogique » (volontiers reconnue aux « primaires ») au détriment du « culturel » (dévolu aux professeurs du secondaire).
Il s’agit, en dernière analyse, d’un phénomène de « distinction » ; il s’agit de se distinguer de ces « primaires, ces incapables prétentieux » (selon le titre d’un article, à prendre au second degré) de la sociologue Viviane Isambert Jamati qui a étudié pour ce faire les réponses des professeurs à la vaste enquête parlementaire de 1899 ainsi qu’une série d’articles parus dans les grandes revues liées au corps professoral entre 1880 et 1920. Le florilège est impressionnant et suggestif. Parmi bien d’autres: Chauvelon (1899) : « C’est par la formation scientifique érudite et non grâce à des cours de pédagogie, qu’on fait des esprits sérieux, méthodiques, amis de la vérité » ; Bernes (1899) : « C’est en laissant se développer une pseudoscience de cette nature qu’on laissera dépérir le niveau intellectuel de la France » ; Albert Duruy (1886) : « La nouvelle pédagogie dont ils se parent est stérile autant que prétentieuse, pompeuse ; elle n’aboutit qu’à l’impuissance et au pédantisme ».
Cette opposition vient de loin ; et elle est encore au principe de bien des débats (plus ou moins convenus) contemporains où l’on ne craint pas de ressasser des lieux communs (culturels ?) séculaires.
remonte à la création même de l’École de la République. Claude Lelièvre
en propose quelques jalons.
« Nous voulons des éducateurs »
La mise en cause de « la pédagogie »
La mauvaise presse de la « pédagogie » en France : une constante historique ?
Publié le : 18/10/2008