Publié le : 16/01/2012
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Humanité Quotidien 11 Janvier, 2012
Comment sortir les universités de la crise dans laquelle le néolibéralisme nous tient ?
Par Marc Delepouve,
Responsable du secteur international du SNESUP-FSU.
En trente ans, le néolibéralisme nous a menés à la crise globale, avec de lourdes conséquences sociales et humaines, doublées d’attaques frontales contre la démocratie. Le plus souvent, les populations semblent tétanisées, comme s’il n’y avait pas d’alternative.
Les alternatives existent, ce que rappelle depuis plus de dix ans le mouvement altermondialiste. L’enseignement supérieur et la recherche doivent participer à l’enrichissement et à la mise en œuvre de ces alternatives. Mais, partout dans le monde, le néolibéralisme a progressivement détourné les universités des enjeux sociétaux et environnementaux.
Ce détournement va à l’encontre des textes de l’Unesco. En particulier de la déclaration mondiale du 9 octobre 1998, sur « L’enseignement supérieur pour le XXIe siècle », pour laquelle l’enseignement supérieur et la recherche doivent « offrir des points de vue critiques et objectifs destinés à faciliter le débat sur les options stratégiques et le renforcement des perspectives humanistes », « aider à identifier et traiter les problèmes qui nuisent au bien-être des communautés, des nations et de la société mondiale », ou encore « former leurs étudiants à devenir des citoyens bien informés et profondément motivés, doués d’esprit critique, et capables d’analyser les problèmes, de chercher des solutions aux problèmes de la société, de les appliquer et d’accepter des responsabilités sociales ».
Les universités ne suivent guère ce chemin. Tout les en éloigne : mise en concurrence des établissements, mise en concurrence des personnels, influence toujours plus grande des entreprises, création d’établissements privés, confusion entre les sphères privées et publiques, dégradation des libertés scientifiques, évaluation normative, formatage divers. L’université est en cours de soumission à l’idéologie néolibérale. Ce constat est mondial. Nous avons dans cette situation imposée à l’enseignement supérieur et de la recherche l’une des causes de la crise globale et de son aggravation.
La France connaît des résistances dans les universités qui se sont exprimées dès 1986, forçant alors le gouvernement de Jacques Chirac à retirer le projet de loi Devaquet. Ces résistances limitent encore fortement aujourd’hui la capacité du gouvernement à augmenter les droits d’inscription versés par les étudiants. Elles obligent aussi en particulier le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à des reculs répétés lors de ses attaques contre les statuts des personnels, lesquels constituent une condition des libertés scientifiques.
Cependant, une profonde restructuration néolibérale de la recherche et de l’enseignement supérieur français est en cours, avec notamment des fusions d’universités en de méga-établissements d’où disparaît ce qui restait de démocratie et de collégialité. Il faut aussi noter une politique basée sur une prétendue « excellence » qui en fait accentue l’éloignement de l’enseignement supérieur et de la recherche des « perspectives humanistes » de l’Unesco, au bénéfice des intérêts des grandes entreprises et d’une vision étriquée de la compétitivité économique.
Ces dernières années ont connu dans de nombreux pays la multiplication des résistances des étudiants et des personnels. L’année 2011 aura notamment été celle des luttes en Amérique du Sud. Durant plus de six mois, au Chili, les étudiants, rejoints par les lycéens et par le syndicat des enseignants des universités, se sont mobilisés à l’appel de syndicats étudiants, dont la Confédération des étudiants du Chili (Confech), avec le soutien de la Centrale unitaire des travailleurs (CUT). Ce sont actuellement les vacances d’été. Le gouvernement n’ayant reculé que de façon marginale, la mobilisation devrait reprendre après la rentrée.
De leur côté, après deux mois de mobilisation, les étudiants colombiens et les personnels des universités ont forcé le gouvernement à retirer un projet de loi opérant une nouvelle étape du processus de privatisation, et à ouvrir un débat national sur l’éducation. Enfin, jeudi 24 novembre, des dizaines de milliers d’étudiants ont répondu à l’appel d’organisations étudiantes en participant, dans une douzaine de pays, à la première marche latino-américaine pour une éducation gratuite de qualité, et contre les politiques néolibérales.
Ces résistances sont porteuses d’espoir pour l’ensemble de la société, car sortir de la crise globale impose de libérer l’enseignement supérieur et la recherche du néolibéralisme, mais aussi, et c’est particulièrement net en Amérique latine, ces mobilisations sont des moments de politisation de nombreux jeunes.
Quels développements prendront-elles en 2012 ? En particulier dans l’Europe soumise aux ravages des plans d’austérité ? De la réponse à cette question pourrait dépendre l’avenir d’une Union européenne qu’il est désormais urgent de reconstruire sur de nouvelles bases.
Marc Delepouve