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PCRDT et isomorphisme institutionnel Article parudans la Vie de la recherche scientifique (VRS) n° 394
Le PCRDT de l'UE est un vaste instrument de financements de la recherche (environ 10 milliards d'euros par an) dont l'essentiel de la répartition, soit les trois quarts environ, fonctionne en top down, en réponse à la programmation thématique de la CE (policy-driven) plutôt qu'en bottom up, c'est-à-dire à l'initiative des communautés de recherche (communitry-driven). Il répond à de nombreuses préoccupations d'ordre non scientifique : intégration européenne, compétitivité, innovation, et surtout orientation industrielle, comme en témoigne l'introduction d'un volet « Leadership industriel » dans Horizon 2020. Héritier du New Management Public dès sa naissance dans les années 80, il promeut les logiques concurrentielles, les solutions mixtes public-privé, et l'implication de la société civile - qui prend essentiellement le visage des grands groupes industriels - dans les processus décisionnels, mais surtout il s'appuie sur le mythe rationnel de la performance. Cet instrument très contraignant est néanmoins accepté par les opérateurs et les communautés de recherche qui l'implémentent. De l'adhésion (la conviction de la pertinence du modèle) à la résignation (la conviction de ne pouvoir y échapper) en passant par la conformation de façade (tenter de détourner le modèle « à la marge »), on notera tout de même que la plupart des enseignants-chercheurs et des chercheurs pratiquent vis-à-vis du programme l'auto-exclusion (la conviction de ne pas être « capable » d'y accéder) ou le rejet pur et simple. Difficile pourtant d'ignorer les opportunités de financement qu'il représente, mais surtout la reconnaissance et la légitimité que son ultrasélectivité confère. Ainsi en dépit des contraintes qu'il généralise en termes de transformation de l'emploi scientifique, de bureaucratisation de l'activité recherche, de contrôle et de réduction de l'autonomie des chercheurs à déterminer leurs propres orientations, le modèle communautaire impose sa visée gestionnaire, utilitariste et technophile en favorisant le financement de la recherche sur projets au service de la résolution des problèmes sociétaux, et le soutien à l'innovation de produits comme support de la compétitivité européenne. La recherche publique et académique s'en trouve réorganisée selon des rationalités exogènes, alors que les institutions de recherche et les chercheurs sont de fait financés et « sélectionnés » selon leur aptitude à intégrer ces rationalités et à répondre aux programmations thématiques. Les critères de faisabilité et de réponse au contexte socio-économique s'imposent selon des principes de bonne gestion appliquée à la recherche publique soupçonnée d'être inutile, chronophage, dispendieuse et désorganisée. A ces suspicions, le modèle européen prétend répondre en balisant la temporalité des projets à coup de milestones, workpackages et autres deliverables- pour utiliser la novlangue communautaire - en sélectionnant les projets dans un esprit de « chasse au gaspis » et en favorisant les réseaux permettant la « chasse au doublons ». C'est donc à une rationalisation que prétend procéder les concepteurs du PCRDT à la fois par une approche programmatique désormais traduite en « grands défis sociétaux » et par la construction réticulaire d'un Espace Européen de la Recherche. Désormais la visée utilitariste du PCRDT, ainsi que ses techniques de mise en œuvre, sont soutenues et « importées » à l'échelle des politiques nationales et régionales. De la même façon que l'espace européen de l'enseignement supérieur (EEES) s'est mis en place sur les préceptes de Bologne par intégration consentie des contraintes souples sans obligation juridique, l'uniformisation des politiques de recherche publique sur le modèle PCRDT témoigne du Soft power de l'UE qui impose des standards autour duquel les consensus institutionnels se créent. Les Etats membres, les Régions, les établissements et organismes suivent son modèle par pragmatisme (pour obtenir des fonds complémentaires) mais aussi pour gagner en légitimité. Il s'appuie à la fois sur des adaptations cognitives supportées par la communication organisationnelle de la CE et destinée à créer de la « position commune » mais aussi sur les routines professionnelles des porteurs de projets, chercheurs, techniciens et administratifs. Stratégies collectives et stratégies individuelles se mettent donc en place pour maximiser les chances de succès au PCRDT. Les changements organisationnels au sein des Organismes Public de Recherche touchent principalement les domaines de la gestion des ressources humaines, de la valorisation de la recherche et de la propriété intellectuelle. Les chercheurs impliqués, quant à eux, mettent en avant leurs capacités managériale, entrepreneuriale et connexionniste et leur capacité à répondre aux priorités thématiques. Il est aujourd'hui remarquable et inquiétant de voir à quel point l'instrument communautaire a favorisé le mimétisme des opérateurs infracommunautaires tant au niveau des designs de recherche privilégiés (voir la nouvelle mouture de l'ANR 2014), qu'au niveau du choix des thématiques à investir (la fameuse spécialisation intelligente des régions), comme au niveau des indicateurs mobilisés par les tutelles pour évaluer et piloter les politiques de recherche (MESR et AERES).
Isabelle KUSTOSZ
I Kustosz (2012) "Contractualisation et contrôle de la recherche ; une lecture critique du PCRDT de l'UE", Revue Mouvements, n°71, éd La Découverte, pp 25-35, ISSN 1291-6412
I Kustosz (2013), "La prospective et la programmation de recherche de l'Union Européenne : une communication institutionnelle à visée stratégique», In Communication et Organisation, perspectives critiques sous la direction Heller, Huet, Vidaillet, Presses universitaire du Septentrion, pp 325-335, ISBN 10-2-7574-0430-X
I Kustosz (2013), " La compétence recherche de l'UE : les Etats membres entre programmation cadre et programmation conjointe" in Annuaire français des relations internationales AFRI 2013, sous la direction de Serge Sur, éd Université Panthéon-Assas Centre Thucydide. pp 815-830.
I Kustosz (2013) « Comptes rendus de thèses soutenues », Revue Française de Socio-Économie, 2013/1 n° 11, p. 259-266