Situation à l’IUFM du Nord-Pas-de-Calais
par Élisabeth Nonnon, membre du collectif FDE
La formation des maîtres dans le Nord-Pas-de-Calais se heurte aux problèmes partagés avec les autres académies : contradictions internes des formations, baisse drastique des postes au concours (-70% au concours PE), absence de véritables stages pour les non admissibles et insuffisance notoire pour les admissibles, insécurité et frustration des personnels, révision à la baisse des maquettes de master. On se centre ici sur les problèmes cruciaux pour l'avenir des formations que pose la situation universitaire.
Une spécificité de l'académie est qu'elle comporte 6 universités, dont trois grosses lilloises et que pour des raisons de développement régional, l'IUFM a été intégré à la « petite » Artois, dont les flux étudiants et la visibilité des laboratoires ne sont en rien comparables à ceux des lilloises. Les tensions entre universités, exacerbées par la concurrence qu'induit la loi LRU avaient abouti à un blocage total. L'action des personnels et des collectivités locales, l'émotion médiatique, les interventions du snessup académique auprès des présidents et du recteur avaient amené en janvier 2010 à un accord écrit permettant une organisation académique de la formation. Les master 2°degré spécialité enseignement des universités, cohabilités, relèvent d'un schéma commun comportant, aux 4 semestres, 2 UE assurées par les personnels IUFM. En échange le professorat des écoles se prépare dans un master académique unique conçu et assuré par l'IUFM, relevant de l'université d'Artois où s'inscrivent tous les étudiants. La formation des enseignants, régulée provisoirement par le PRES, devait à moyen terme être dévolue à une structure académique interuniversitaire. Mais aucune convention n'a été signée pour formaliser les financements des interventions.
Un an après, cette dynamique est mise en cause par un changement de volonté politique (la rectrice n'assume pas les choix de son prédécesseur), l'exacerbation des effets de concurrence (appels aux projets d'excellence, campus grand Lille..), les problèmes financiers qu'amène le passage des universités aux compétences élargies. Depuis janvier, Artois gère sa masse salariale dans une situation financière critique, due notamment à la baisse des effectifs étudiants ; elle considère qu'elle n'a pas à financer l'intervention de personnels IUFM dans les UE enseignement des autres universités. Si le président dans un courrier aux présidents a accepté d'en assumer la charge cette année, il ne s'estime plus tenu par cet accord pour les années suivantes. Ne comptant pas ces heures (environ 1400) pour calculer le taux d'encadrement des formations IUFM (pas plus que les enseignements autres que PE) il conclut à un surencadrement qui justifie le transfert autoritaire de postes IUFM à l'université, la non présentation des postes d'enseignants chercheurs partant à la retraite, la non prise en compte d'activités de formation considérées comme hors maquette. Arguant que l'IUFM est son bien propre puisqu'elle en supporte le financement, l'université intégratrice s'en approprie les fonds de réserve (s'appuyant sur la législation des finances publiques), des postes administratifs, puise dans le réservoir des postes IUFM pour renforcer certaines de ses composantes, détournant en dépit du vote du conseil d'école et du Cevu 9 postes fléchés IUFM. Les décisions sont toujours autoritaires, sans respect des règles démocratiques et de l'avis des conseils.
Alors que l'argument pour ce pillage est la baisse d'inscrits en master et aux concours, le CA a été mis en demeure de voter à l'improviste un avenant à une convention avec l'Institut Catholique de Lille, permettant d'attribuer le statut universitaire de master à la formation qu'il propose, sans que la maquette en ait été présentée au conseil d'école, au Cevu et au CA. Seule la voix prépondérante du président a pu faire adopter cet avenant (auparavant refusé par le Cevu), qui légitime sans conditions une formation concurrente de celle proposée dans sa propre université. Les enjeux de rivalités au sein du Pres (et des instances de regroupement académiques où figure l'institut catholique) sous-tendent cette atteinte au service public de formation qu'assure l'IUFM au sein de l'université et cet agrément aux formations privées, dont la seule référence à la recherche est une mention de laboratoires d'universités publiques de la région.
Par ailleurs, sans que l'IUFM et les conseils aient été prévenus, 38 enseignants du 2nd degré détachés à l'IUFM ont reçu individuellement une lettre du président les remerciant de leurs services et les avertissant que leur mission à l'IUFM prenait fin, mais qu'on pourrait faire appel à eux, éventuellement, pour des vacations en cas de besoin. Ces personnels, dont beaucoup enseignaient à l'IUFM depuis des années, assuraient en grande partie les UE de didactique disciplinaire et de pédagogie dans les spécialités enseignement des master disciplinaires pour le 2° degré, mais aussi pour le professorat des écoles. Ces UE ne peuvent donc plus fonctionner : c'est ainsi toute la formation des enseignants du 2° degré dans l'académie qui est mise à mal, ce qui a entraîné des motions, notamment portées par le Snesup, dans les CA des universités. De nombreux contractuels ont également reçu une lettre mettant fin à leurs missions ; certains, titulaires d'un doctorat et qui s'étaient beaucoup investis pour devenir compétents dans le domaine nouveau pour eux de la formation des enseignants, sont remerciés sans pouvoir devenir Ater et se retrouvent sans travail à la rentrée. En même temps, bien que les maquettes aient été revues à la baisse, l'administration est acculée à chercher des expédients pour faire fonctionner à minima la formation à la rentrée, en cherchant les vacataires et par le recours à des Ater (la plupart novices dans la formation). Le gâchis humain est énorme ; c'est aussi la qualité de la formation qui est attaquée par cet ensemble d'incohérences. Tout se passe comme si la formation universitaire publique devait être fragilisée et discréditée au profit de formations privées, notamment de l'Institut Catholique, qui mène une campagne de recrutement tapageuse et coûteuse (tracts à la gare, dans l'enceinte des universités publiques etc..).
Une réaction organisée de l'ensemble des personnels est difficile, notamment à cause de la multiplicité des sites, de la faiblesse de l'organisation syndicale, dont les piliers et une partie des élus aux conseils sont partis à la retraite. Un mouvement porté par le collectif se dessine pour inciter les personnels à refuser les heures complémentaires en solidarité avec les collègues remerciés. Un appel a été lancé à cette fin : s'il était suivi, la formation serait complètement bloquée. Mais la multiplicité des abus aux différents niveaux brouille la réception chez beaucoup de collègues. La lecture politique des problèmes, des responsabilités, des lieux adéquats d'intervention est devenue difficile du fait des multiples niveaux impliqués dans toutes les décisions (direction de l'IUFM, université intégratrice, PRES et conférence régionale des présidents, rectorat, ministère..). Cette technicité demande un grand investissement et risque d'isoler les élus, alors que le découragement incite aux stratégies individuelles : devant l'absence de perspectives pour la formation, les demandes de mutation interne et externes sont nombreuses, objet d'un nouveau conflit entre direction de l'IUFM et université intégratrice.