Enseignement supérieur et recherche : l'obligation d'alternatives

Publié le : 09/11/2009

Article paru le 6 novembre 2009 dans l'Humanité

Tribune & idées

 

Enseignement supérieur et recherche  : l'obligation d'alternatives par Stéphane Tassel, secrétaire général du SNESUP

Comment le gouvernement est prêt à sacrifier le lien enseignement-recherche-société ?

En cette période de débat budgétaire, la ministre manipule les chiffres sans pour autant parvenir à masquer que la priorité affichée pour l'enseignement supérieur et la recherche vise essentiellement à mettre le potentiel et les financements publics au service des intérêts privés, et rien ne permet d'affirmer que dans l'enseignement supérieur, cette année verra progresser les conditions de la démocratisation, pourtant nécessaire pour le pays, de l'accès et de la réussite des étudiants dans ce domaine (licence, master, doctorat...). Au contraire, la recomposition à l'œuvre du tissu universitaire, focalisant les ressources sur quelques campus d'excellence, à commencer par Paris intra-muros, contribue à priver le pays de ses universités de proximité, à affaiblir les formations et les laboratoires qui participent à la richesse et à l'implantation de l'université dans son territoire. Sur l'autel des classements - celui de Shanghai, ou encore le classement européen à venir, évoqué par Valérie Pécresse - et celui de la valorisation immédiate de la recherche, le gouvernement veut imposer un profond remodelage de l'enseignement supérieur et de la recherche. Pour gagner une, voire deux places dans de tels classements, il est prêt à sacrifier durablement la force créative et novatrice de la communauté universitaire, à sacrifier le lien enseignement-recherche-société qui doit caractériser l'ensemble de l'enseignement supérieur.

Sans aucun débat démocratique sur les réelles priorités pour la recherche et l'enseignement supérieur, la stratégie nationale de recherche et d'innovation (SNRI) a été lancée le 22 janvier 2009 par Nicolas Sarkozy à l'occasion d'un discours qui a surtout frappé par le mépris qu'il manifestait à l'égard de la communauté scientifique. Cette vision politique constitue le canevas d'une refondation complète de la recherche. « Faire fructifier l'excellence scientifique », c'est ce que la ministre attend de cette « stratégie » programmatique, dont la mise en concurrence et la discrimination sélective constituent les principaux moteurs, et qui renonce au financement récurrent de la recherche fondamentale.

Alors qu'opposer innovation et recherche fondamentale, insertion professionnelle et formation par la recherche constitue un non-sens, le gouvernement veut cantonner les ambitions de la recherche à la seule production de brevets valorisables et limiter l'insertion professionnelle à la seule adaptation immédiate aux postes de travail. Or si l'université se voit enserrée dans le carcan d'une vision étriquée de la performance et de la concurrence comme seul vecteur d'efficacité, c'est son inventivité et sa créativité qui se voient durablement bâillonner. Avec la modification du statut des enseignants chercheurs et son corollaire de pressions multiples sur toutes leurs activités, c'est un pan essentiel de l'intérêt et de l'attractivité du métier qui vole en éclats. Sourd aux protestations et aux exigences qui ont marqué l'an dernier quatre mois d'un conflit sans précédent dans l'enseignement supérieur et la recherche, le gouvernement veut faire passer toutes les activités des universitaires sous ses fourches Caudines. Pour entraver les libertés scientifiques, c'est toute une chaîne de décisions qui est mise sous contrainte  : renforcement du rôle des rectorats, « dialogue de gestion » arbitraire pour répartir les financements d'état, développement des fondations et des partenariats public-privé, poids des présidents sur les personnels et leurs carrières (logique indemnitaire pour tous, précarisation croissante...). Cette mainmise sur l'ensemble des activités universitaires est inacceptable et stérilisante. La ministre vient de confier à Philippe Aghion un rapport dont l'objectif est, par la transposition de pratiques glanées à l'étranger, de conforter les dérives de l'autonomie déjà contenues dans la loi LRU. On doit rappeler que cet universitaire, dont les travaux réclament en vain depuis des années un accroissement significatif du financement public du système français d'enseignement supérieur et de recherche, vante, au nom de l'autonomie, les vertus du modèle anglo-saxon et a également participé à la commission Attali dont le rapport préconisait que l'entrée dans la carrière universitaire devrait être précédée par 3 CDD de quatre ans successifs  !

Devant tant de gâchis, la recherche d'alternatives confortant et développant le service public d'enseignement supérieur et de recherche, dans toute sa richesse et sa diversité, constitue un impératif. Garantir l'accès et la réussite aux études du plus grand nombre de jeunes et d'adultes, les libertés scientifiques et pédagogiques des collègues, leur capacité d'initiative pour un service public répondant aux besoins de société, l'égal traitement des formations et de la recherche sur l'ensemble du territoire, s'opposer à la précarisation de tous les personnels et à la généralisation des primes au détriment d'une revalorisation des salaires et des carrières, tels doivent être les objectifs visés. Inverser la logique gouvernementale doit constituer un engagement sans ambiguïté pour toutes les forces progressistes. La communauté scientifique et universitaire dans son ensemble, ouverte sur la société, doit être entendue !