Selon Bernard Gerbier, le déclassement de l'économie et de la gestion universitaires impose, face à la concurrence des écoles de commerce, une stratégie de négociation gagnant-gagnant : en échange de leur entrée dans les écoles doctorales, les écoles de commerce doivent s'impliquer dans nos formations de master.
Depuis l'introduction des masters et plus encore de la loi LRU, les rapports entre institutions d'enseignement supérieur d'économie et de gestion/management sont bouleversés. C'est sur la base de mon expérience de directeur de la faculté d'économie de l'université Pierre-Mendès-France de Grenoble (2001-2006) et de la situation grenobloise que j'interviens. La situation locale, sans doute un peu particulière, n'est cependant pas exceptionnelle. Dans les pôles universitaires en France, la question des rapports entre économie et management, public et privé, se pose et va grandir. Mon analyse met l'accent sur quatre points : 1) l'économie et la gestion universitaires sont en plein déclassement, 2) l'économie telle que développée
par l'actuel courant dominant condamne les économistes à la marginalisation, 3) l'Université ne peut plus ignorer les écoles de commerce, 4) l'économie et la gestion doivent s'imbriquer.
1. L'économie et la gestion universitaires sont en plein déclassement. Pour comprendre leur situation, il faut garder présent à l'esprit que ces filières ont pour spécificité, par rapport à la plupart des autres, d'être concurrencées par les établissements consulaires ou privés. De premier choix que furent les
filières universitaires, cellesci sont majoritairement devenues deuxième ou troisième choix. Ceci a un impact direct sur nos populations d'étudiants qui, pour une part importante, ne s'adressent plus à nous que pour des raisons d'impossibilité d'accès à d'autres filières ou pour des raisons financières. Cette évolution est difficilement surmontable car l'accessibilité à des débouchés à la sortie est le premier critère de choix des étudiants dans la situation de chômage massif à laquelle sont confrontés les étudiants et leurs parents. De ce point de vue, les écoles de commerce ont un avantage concurrentiel absolu sur les institutions universitaires grâce à leurs réseaux de placement, et non pas en vertu de la supériorité qualitative de leurs enseignements
qui sont encore, y compris dans les plus prestigieuses, d'un niveau le plus souvent inférieur au niveau universitaire. À cet égard, la réforme universitaire est une escroquerie intellectuelle.
2. Cette situation difficile est encore aggravée par les économistes universitaires euxmêmes. De plus en plus issus des grandes écoles et des classes dominantes, et totalement ignorants des réalités sociales, ils vont renforcer la désaffection des étudiants pour l'économie. La perte d'attractivité que génère le contenu des enseignements et des formations développés par l'actuel courant dominant de la théorie économique a fait s'effondrer les effectifs dans certaines facultés d'économie. En cantonnant la théorie économique à l'abstraction théorique ou à la formalisation mathématique, et en rejetant
presque absolument tous les autres courants, elle ôte à notre discipline son intérêt essentiel, celui d'être une économie politique s'attachant à expliquer les choix réels des agents. Cette politique ouvre un boulevard aux écoles purement marchandes, les écoles consulaires étant déjà saturées.
3. L'Université ne peut plus ignorer les écoles de commerce car celles-ci développent aujourd'hui des stratégies sur notre propre terrain. Conscientes de
la faiblesse de leur formation sur le plan théorique et du problème que leur pose le grade de Master, elles étoffent leur corps enseignant soit en s'attachant les services d'universitaires, soit en recrutant de nombreux docteurs d'économie et de gestion à qui elles imposent des critères, quantitatifs et
qualitatifs, de publication ainsi que l'obtention de l'habilitation à diriger des recherches.
L'Université peut-elle ignorer cette démarche ? Ce serait, à mon avis, une attitude vouée àl'échec. Nous devons nous engager dans une négociation gagnant-gagnant avec ces écoles en exigeant d'elles qu'en échange de leur entrée dans les écoles doctorales, elles s'impliquent dans nos formations de Master.
4. Pour maintenir leur avantage concurrentiel scientifique encore indéniable, les disciplines économie et gestion doivent aujourd'hui s'imbriquer sur les plans scientifiques et institutionnels afin de pouvoir développer des stratégies d'offre de formations. Dans l'économie mondialisée actuelle, les paradigmes
théoriques ne peuvent plus distinguer entre économie et gestion. La question de « la responsabilité sociale de l'entreprise » n'est-elle pas transversale ? Autrement dit, si la spécialisation des disciplines continue tout à fait d'avoir son sens, la production scientifique ne peut plus reposer sur l'indifférence réciproque. La formation des étudiants, qui reste tout de même notre première raison d'être, impose la mise en place de formations imbriquant ces deux disciplines de la Licence au Master. L'Université française structurée, pour répondre aux besoins d'une économie stato-centrée, doit se transformer
et inventer les institutions de l'Université publique d'une économie mondialisée. Par exemple, en s'adjoignant au droit, on pourrait envisager la création d'un Institut Universitaire de Management dont les UFR actuelles deviendraient des départements, qui aurait la capacité d'offrir des filières performantes,
avec des contenus de formation adaptés au marché de l'emploi et aisément évolutifs. Ce dispositif rétablirait l'attractivité de l'Université dans nos domaines face aux filières aux contenus superficiels des secteurs consulaires.
Economie, gestion, management : quels rapports entre universités et écoles de commerce ?
Publié le : 15/11/2011