Le modèle proposé par l'économie des conventions permet de jeter un nouveau regard sur la crise présente.
Alors que des documentaires, des livres, des tribunes dans les journaux se multiplient pour associer la crise économique de 2008 à la théorie dominante, cette dernière reste insensible aux critiques. Les experts succèdent aux experts, quelques « atterrés » se glissent sur les plateaux, sans qu'un débat n'émerge vraiment. Deux camps paraissent s'affronter sur fond de convictions politico-scientifiques différentes, marché contre régulation, libéral contre
keynésien, laissant aux spectateurs une impression d'inachevé ou de déjà vu. À peine, dans ce contexte, remarque-ton quelques penseurs hétérodoxes.
André Orléan est de ceux-là. Son livre, L'empire de la valeur. Refonder l'économie (Paris, 2011) propose une perspective différente, l'unidisciplinarité. Les spécialistes connaissent l'auteur, un « atterré », l'un des fondateurs de l'économie des conventions, une tendance au sein du courant hétérodoxe. La démarche unidisciplinaire proposée présente un double intérêt, théorique et pratique.
La mode du moment célébrant l'interdisciplinarité, la question de l'unité des sciences sociales et des sciences humaines paraît avoir perdu toute pertinence. Pourtant, les questions sont les mêmes. Peut-on comprendre le marché ou le capitalisme sans sociologie, sans histoire ? Doit-on se contenter
de « l'idiot rationnel » pour toute anthropologie, un humain réduit à l'état de machine à calculer son intérêt, sans famille, sans amis, sans altruisme ? L'économie des conventions répond non et affirme qu'il faut proposer un autre paradigme. Elle tranche ainsi avec le courant dominant. La société existe, elle influe sur le comportement des individus, elle le modèle même. Bien plus, il existe des représentations collectives, distinctes des représentations individuelles, qui déterminent les actions des agents.
Une telle approche permet-elle de comprendre la crise actuelle ? Il est à première vue étonnant d'entendre une description des effets récessifs des politiques d'austérité menées et la demande d'un accroissement de ladite austérité, dans la bouche des banquiers. Pour l'économie dominante, un tel comportement est irrationnel puisqu'il consiste à défendre une option qui est pensée comme néfaste à l'intérêt de l'investisseur qui la défend. Pour l'économie des conventions, ce dernier se préoccupe de ce que croient les autres, en l'occurrence la pérennité de l'austérité. Autre exemple, le 19 octobre 1987, lors du krach de Wall Street, les traders considéraient que la situation économique américaine était bonne mais étaient persuadés que les autres
pensaient être à la veille d'une nouvelle crise de 1929. Résultat, les premières baisses sont analysées comme le début du krach, les ventes s'accélèrent. À la fin de la journée, l'indice boursier affiche - 22,6 % de baisse, un record !
Dès lors, la refondation de l'économie apparaît comme une nécessité disciplinaire mais aussi comme une urgence politique. En changeant leur savoir économique, on peut modifier durablement le comportement des acteurs sur les marchés. L'Université ne pourrait-elle pas être au coeur de la résistance à l'ordre néolibéral ?
Crise économique, crise disciplinaire et refondation de l'économie
Publié le : 15/11/2011