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Conseil supérieur de la recherche et de la technologie
Avis sur la Stratégie nationale de recherche et d'innovation
adopté en séance plénière le 1er octobre 2009
à l'unanimité (moins 3 abstentions)
Préambule
Le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie approuve le principe d'une stratégie nationale de recherche et d'innovation qui permette à la communauté nationale, aux responsables scientifiques, politiques et économiques d'éclairer leurs choix. Le Conseil mesure l'effort considérable et la mobilisation de tous ceux qui ont participé et mené à bien cette opération d'importance capitale pour la nation. Il a ainsi pu apprécier tant le travail réalisé que l'évolution de la réflexion jusqu'à la synthèse finale (1).
Pour organiser et structurer l'avis qui lui a été demandé, le CSRT a regretté de ne pas disposer d'emblée d'une présentation argumentée justifiant la cohérence générale de l'ensemble, notamment quant au choix des quinze thèmes : leur validité a été donnée comme un postulat, et les critères fondamentaux de leur hiérarchisation n'ont pas toujours été explicités ; les priorités sont-elles environnementales, de connaissances fondamentales, à finalité économique ou de cohésion sociale ?
De plus, leur libellé a semblé parfois se recouper et leur articulation manque de clarté (par exemple « espace européen de la recherche » et «positionnement international de la recherche française »).
Le Conseil recommande la poursuite et l'approfondissement de l'exercice stratégique au-delà d'une classique réflexion prospective : le lien devrait ainsi être fait au plan national avec les travaux du Centre d'analyse stratégique (France 2025). Sur le plan européen et international, il est indispensable de mettre les résultats en perspective avec des exercices similaires conduits dans d'autres pays.
A l'examen des quinze « défis » retenus initialement, le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie souhaite faire les observations suivantes :
- Les questions de forme ne sont pas secondaires et, dans ses travaux de commissions, il est apparu au Conseil que certains rédacteurs ont rencontré quelques difficultés à mettre en évidence les points saillants dans l'expression de ces «défis ». En faisant cette remarque, le CSRT ne perd pas de vue les destinataires mêmes des documents de la SNRI, notamment ceux qui sont en charge de la décision politique : parce qu'ils ne sont pas forcément des spécialistes des thèmes scientifiques traités, il importe que les documents thématiques puissent véritablement dégager ces enjeux.
- L'absence fréquente de diagnostic sur la situation de la recherche et de l'innovation ou sur les défis réels pour la société se traduit dans les documents actuels par trop de généralités non quantifiées (ex. énergie durable) et par des objectifs imprécis et souvent dispersés. L'absence de fil conducteur, de structure et de méthode, pour la plupart des documents, se manifeste par une confusion entre objectifs généraux et moyens nécessaires pour y parvenir. Par ailleurs, le mélange fréquent entre « recherche » et « expertise » ne permet pas toujours de décrypter les demandes réelles de la société ou du monde économique.
- Les conseillers se sont aussi interrogés sur la composition des commissions et sur le processus de rédaction des dossiers préparatoires de la SNRI ; l'engagement des rédacteurs dans leur propre discipline, quelquefois trop perceptible, a ainsi pu orienter la présentation des « défis » (nanotechnologies et matériaux, sciences de l'éducation, etc.). Certains « a priori » dans les présupposés sont clairement sous-jacents et ne sauraient fonder à eux seuls une stratégie de recherche et d'innovation, dans laquelle doivent apparaître d'autres défis, que la recherche doit relever (ex. « le calcul et le climat » ou bien « risques, aléas, sécurité »).
S'agissant du rapport général, le Conseil a structuré ses remarques en quatre rubriques :
- 1.Le rôle de la science et de la technologie dans la société
Si l'intérêt des citoyens pour les questions scientifiques et technologiques demeure, il convient d'être attentif à un usage abusif du principe de précaution qui pourrait à terme fragiliser les socles techniques et économiques de notre pays. Le décalage entre les attentes sociétales et l'avancement des sciences et/ou des technologies peut contribuer à affaiblir la compétitivité de la France. Il importe donc de réaffirmer le caractère structurant des technologies pour la société et la nécessité de mener des recherches sur la co-construction et les conditions de l'acceptabilité sociale et éthique, comme le rappelle le texte, de ces nouvelles technologies.
Quels que soient les défis posés à nos sociétés, il convient d'amplifier le travail sur les instruments de dialogue entre la société, la recherche et l'industrie, le monde académique et le monde économique et d'inverser le phénomène de désaffection pour les carrières scientifiques et techniques (2).
- 2.Bilan recherche/innovation
Un document de stratégie nationale se doit de faire apparaître clairement les priorités nationales permettant de dégager les grands secteurs stratégiques sur le plan industriel et économique ainsi que les dimensions culturelles. Le Conseil approuve la place accordée, dans les principes directeurs, à la recherche fondamentale.
Les décisions de priorités de recherche devront faire l'objet d'une remise à jour périodique liée à l'examen du positionnement de la recherche française sur l'échiquier international.
Si le Conseil encourage l'interdisciplinarité, qui semble être le maître mot de la plupart des défis présentés, à l'évidence ceci nécessite de s'appuyer sur des disciplines de base fortes et reconnues en tant que telles, comme la physique fondamentale, la chimie fondamentale, les mathématiques ou la biologie.
La France a développé des structures facilitant l'articulation entre recherche et innovation (ex : les pôles de compétitivité, les instituts Carnot, le programme Innovation Stratégique Industrielle, etc.) et peut s'appuyer sur l'expérience des écoles d'ingénieurs. Il conviendrait d'impliquer davantage le monde économique et le monde de la recherche dans une démarche partenariale. Pour ce faire, il importe d'évaluer les dispositifs existants, et de renforcer les plus efficaces, tout en veillant à simplifier les modalités de leur fonctionnement.
- 3.Les axes prioritaires
La présentation du rapport général de la stratégie nationale de recherche et d'innovation retient trois axes prioritaires de développement qui répondent effectivement à des enjeux de société bien identifiés et largement partagés par la communauté nationale :
- Santé, bien-être, alimentation et biotechnologies,
- Environnement et écotechnologies,
- Information, communication et nanotechnologies.
Le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie aurait toutefois souhaité que la démarche qui a conduit à la sélection des trois axes prioritaires soit plus explicite. De même, leur caractère général rend difficile l'établissement de priorités de recherche. Le Conseil regrette l'absence d'éléments quantifiés, tant pour l'analyse des besoins économiques que pour les grands dimensionnements des thématiques, notamment l'analyse des critères de taille critique pour certains domaines. Même si ces domaines correspondent pour la plupart à des activités pluridisciplinaires à fort potentiel d'innovation et à des technologies émergentes, le lien avec ces nouvelles technologies ne saurait être considéré comme exclusif : ces technologies ont pour vocation d'irriguer de nombreux autres domaines. De même, lier des technologies données (biotechnologies, écotechnologies, nanotechnologies) à un enjeu sociétal (santé... environnement... information...) ne doit pas masquer le fait que les solutions à tous les défis seront apportées par une approche scientifique (y compris en sciences de l'homme et de la société), technologique et interdisciplinaire.
Le renforcement de la recherche dans ces axes prioritaires ne devrait pas se faire au détriment de secteurs scientifiques, industriels et économiques dans lesquels la France a acquis une position de leader (spatial, aéronautique, énergie nucléaire, défense, transports, etc.).
- Dans les domaines de la santé et de l'alimentation
- Il importe de donner une place plus significative à l'épidémiologie et à la prévention.
- Les industries pharmaceutiques françaises (y compris les grands groupes) restent très fragiles en matière d'innovation.
- Les thérapeutiques du futur ne pourront voir le jour sans les apports indispensables et permanents de la physique, de la chimie et de l'informatique.
- Le secteur des vaccins représenté en France par un des leaders mondiaux doit être largement soutenu.
- Enfin, un effort d'innovation est indispensable en direction des pathologies qui affectent les pays les plus pauvres (maladies dites « négligées ») et des pathologies émergentes et orphelines (ces dernières nécessitant un effort coordonné à l'échelle européenne ou internationale).
La SNRI souligne à bon escient les apports attendus de l'information, de la communication (e-santé) et des nanotechnologies (nouvelles approches thérapeutiques).
Le CSRT accueille très favorablement une nouvelle approche des systèmes de santé publique tendant à favoriser l'assistance aux personnes dépendantes et la médecine ambulatoire.
- L'urgence environnementale et les écotechnologies (3)
Le document reconnaît trois filières de développement pour une agriculture respectueuse de l'environnement : l'alimentation, l'énergie et la chimie verte. Pour définir les thèmes prioritaires de recherche, il conviendrait de conduire à moyen terme une étude permettant de modéliser les équilibres économiques entre ces trois filières, en fonction du potentiel de production du sol national.
Certains points méritent, au surplus, d'être approfondis :
- La réflexion sur les conséquences de l'évolution climatique devrait s'étendre aux recherches portant sur la robustesse des infrastructures urbaines et des grands équipements face aux différents scenarii de changement climatique.
- La recherche sur la filière hydrogène devrait englober les réacteurs nucléaires à haute température.
- Les retombées en termes d'activité économique des écotechnologies méritent d'être mieux quantifiées (bien au-delà des banques et des assurances...).
- « Ville et mobilité durable » nécessiterait une approche globale urbanistique et des modes de vie en plus d'une approche sectorielle prévue dans le rapport.
Ni les modes de déplacements collectifs, ni l'acheminement des marchandises, ni la recherche sur l'efficacité énergétique des bâtiments existants ne font l'objet d'une analyse.
- Il convient de retenir également comme axe de recherche le recyclage des produits en fin de vie.
- Information, communication et nanotechnologies
Le rapport a bien pris en compte les enjeux de cette troisième révolution industrielle que sont les sciences et technologies de l'information.
Le Conseil souhaite cependant que la focalisation sur les nanotechnologies (4) n'exclue pas les technologies des matériaux qui n'entrent pas dans cette catégorie.
La mise en œuvre de solutions de l'information et de la communication doit prendre en compte l'enjeu sociétal de la confiance, qui inclut notamment la protection de la sphère privée et l'ensemble des aspects de la sécurité.
- 4.Les moyens et les conditions de mise en œuvre
En fonction des priorités qui se dégagent de cet exercice et des coopérations européennes ou internationales sur une thématique donnée, il importe de décliner cette stratégie en termes de structures, de moyens et de ressources humaines pour la France.
La réactivité, au moins autant que le volume de financement affecté aux thèmes retenus comme prioritaires, est un facteur de succès et par là même de compétitivité. Il conviendra de réformer les modes de programmation des recherches appliquées pour que les délais d'intervention de la recherche publique soient en phase avec ceux des entreprises.
Dans le contexte économique actuel, il importe de préciser les axes prioritaires qui peuvent ou doivent faire l'objet de coopération et/ou de compétition dans le contexte européen et international.
Une stratégie nationale de recherche et d'innovation, pour être efficace, doit s'accompagner d'une réflexion approfondie sur les modes de pilotage et l'articulation avec l'ensemble des instances déconcentrées et décentralisées pertinentes pour une action territoriale appropriée (EPST/Universités, organisations nationales ou régionales, collectivités territoriales, notamment les régions, pôles de compétitivité, etc.).
Enfin, le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie relève l'importance désormais accordée aux sciences humaines et sociales et la contribution que devra apporter le nouveau Conseil pour le développement des humanités et des sciences sociales (CDHSS) pour la compréhension des défis et le choix des priorités thématiques, afin que les axes de recherche préconisés par la SNRI s'inscrivent toujours davantage dans les attentes de la société.
L'agenda de la SNRI a répondu à un souci légitime de clarification et d'urgence. Le Conseil recommande cependant la mise en place d'un processus de mise à jour régulière de cette initiative, afin de la rendre robuste et « durable ».
Les versions futures devront impérativement inclure les notions de faisabilité et donner ainsi un caractère opérationnel à cet exercice.
Notes de bas de page :
(1) Les membres du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie ont consacré huit réunions de travail en comité élargi à l'examen des documents thématiques qui leur ont été transmis sous leurs versions successives. Ce travail en comité a été complété par des examens plus détaillés effectués en groupes spécialisés. La réflexion a été menée de mars à septembre 2009.
(2) Cf rapport du CSRT « jeunes chercheurs et jeunes enseignant chercheurs », DF- juillet 2007.
(3) Le terme « environnement » ne correspond pas à une discipline scientifique ou technologique particulière. Du point de vue fondamental, la recherche environnementale - interdisciplinaire par essence - concerne la dynamique des quatre enveloppes de la planète (solide, liquide, gazeux, vivant) et leurs interactions. Du point de vue économique et social, la notion d'« environnement » renvoie à deux points interactifs : d'une part les ressources (énergie, agriculture, matières premières), et d'autres part les risques (écosystèmes, santé....).
(4) Cette thématique a fait l'objet des 8èmes Rencontres nationales sur les politiques régionales de recherche et d'innovation, organisées en mars 2009 par le CSRT et la Région Rhône-Alpes, et dont les actes sont à paraître à la Documentation française.