Communiqué du SNESUP-FSU de l'UPPA
I-Site « E2S » : la médaille et son revers
L’obtention cette année de l’I-Site par l’UPPA illustre un modèle universitaire en mutation et à la dérive. Elle s’inscrit dans la multiplication des financements de l’ESR (Enseignement supérieur et recherche) sous la forme d’appels à projets, en lieu et place des budgets récurrents indispensables. Le plus souvent « arrosant là où c’est déjà mouillé », ces Idex, I-Site etc. développent les inégalités entre établissements, et en interne entre laboratoires, secteurs disciplinaires…
Ainsi en est-il de la situation paradoxale de l’UPPA : toujours sous le coup de « plans de retour à l’équilibre » surveillés par la tutelle rectorale en raison d’exercices déficitaires successifs (1), avec une situation budgétaire jugée « très dégradée » par la cour des comptes (2), l’établissement continue de restreindre ses dotations aux composantes et laboratoires, maintient le gel de 24 postes d’enseignant.e.s-chercheur.se.s vacants et adopte des mesures d’austérité en direction des personnels (3). Dans le même temps, les 6M€ par an attribués par l’Etat à l’I-Site se traduisent par des largesses tout à fait inhabituelles sous forme de chaires d’excellence, académie de talents, bourses doctorales, etc. (Lire nos analyses ci-dessous).
En outre, les comités exécutif et opérationnel resserrés placés à la tête de notre I-Site « E2S » (Energy and Environment Solutions) incluant le comité des entreprises (4), gèrent cette manne d’argent public aujourd’hui, sans que ses règles du jeu n’aient été ni communiquées, ni validées dans les instances élues de notre université. Ce contournement des règles de transparence et de démocratie universitaires va de pair avec le confinement du périmètre de l’E2S, qui exclut de larges pans de notre université pluridisciplinaire en attente d’un éventuel ruissellement. Car les moyens « fléchés » de l’I-Site ne peuvent être déviés de leur trajectoire pour être utilisés à restaurer un fonctionnement normal de notre université, nous dit-on. L’argent vient bien pourtant des mêmes caisses ministérielles… mais il est confisqué à tous pour profiter à quelques-uns dans leur fabrique d’hypothétiques « champions ».
Notre médaille de l’I-site est en train de créer une UPPA à deux vitesses et adossée à un partenariat de plus en plus intrusif avec les entreprises privées inscrites dans ses statuts. Comment ne pas voir que cela prépare les esprits et les structures à une marche progressive vers la transformation de notre modèle universitaire public au profit du privé ? Après les lois LRU et ESR, le SNESUP de l’UPPA constate que la logique néolibérale est toujours au cœur des réformes actuelles, ici comme ailleurs, et est résolu à la combattre.
Voici au fil des dossiers quelques-unes des analyses du premier syndicat des enseignant.e.s et enseignant.e.s-chercheur.se.s de l’UPPA sur l’I-Site « E2S ». Au conseil d’administration et au comité technique de l’UPPA, les élu.e.s SNESUP ont voté contre les modifications statutaires incluant un « comité des entreprises », contre la restructuration en trois collèges, contre « l’académie des talents »... En voici les raisons :
1. Restructuration de l’UPPA en trois collèges
La restructuration de l’UPPA en trois collèges prévue dans le cadre de l’I-Site est affichée comme un atout d’avenir et une mesure de rationalisation pour notre université, mais la démonstration des effets positifs à attendre de cette restructuration n’est pas faite. L’intervention de cabinets conseils privés comme facilitateurs du changement n’est nullement une garantie de réussite, et les personnels se sentent dépossédés de la réflexion sur l’avenir de leur établissement. L’urgence à modifier une structure issue de plusieurs décennies de maturation et d’adaptations successives sans avoir démérité dans les services publics rendus ne leur apparaît pas clairement.
Au contraire, l’analyse du SNESUP-UPPA est que cette restructuration mettant à mal les équilibres actuels des UFR, Instituts et Ecoles peut constituer une fuite en avant porteuse de régressions voire de dysfonctionnements. Démonter et remonter les pièces d’un lego ne lui garantit pas une meilleure résistance.
2. Fusion de départements
Dans le cadre de la restructuration de l’UPPA en collèges, la fusion de départements au sein des collèges, est présentée comme nécessaire pour une visibilité à l’international. Cet argument n’est pas convaincant au regard de ce qui se fait dans des universités de prestige comme le MIT (Massachusetts Institute of Technology). En effet cette université américaine qui compte un nombre d’étudiants comparable à celui de l’UPPA (11000 au MIT et 13000 à l’UPPA) est organisée en cinq ‘’schools ‘’ dont ‘’School of Humanities, Arts, and Social Sciences’’ riche d’une dizaine de départements. De surcroit le MIT est une université technologique privée contrairement à l’UPPA, qui est une université pluridisciplinaire avec des missions de service public.
3. Bourses au mérite et « académie de talents »
Dans l’enseignement supérieur français, les bourses d’études sont attribuées aux étudiant.e.s sur critères de revenus, pour soutenir une logique d’ascenseur social, et elles sont majorées pour ces étudiant.e.s en fonction du mérite académique.
La mise en place dans le cadre de l’I-Site d’une « académie de talents »(5) attribuant des bourses sans aucun critères sociaux va à l’encontre de ce modèle, alors qu’une partie au moins de ces bourses aurait pu être mises au service du renforcement de la mixité sociale de nos cursus, comme les élu.e.s SNESUP l’ont demandé. En outre, limitées aux filières en lien avec l’ «E2S », elles vont instaurer une nouvelle forme de mise en concurrence entre étudiant.e.s, secteurs disciplinaires et établissements. Ces pratiques cautionnent une logique de « mercato » des meilleur.e.s étudiant.e.s vers les établissements les mieux dotés, créant des universités de première, seconde et troisième division. Cela nous engage dans un modèle à l’anglo-saxonne organisant une sélection sociale féroce et conduisant à une explosion des droits d’inscription.
4. Chaires d'excellence (internationales, juniors, partenariales)
L’I-Site est en train de multiplier les « chaires d'excellence » à l’UPPA, qu’elles soient « internationales», «juniors » ou « partenariales » (industrielles + autres) : 24 sont prévues chaque année dans le cadre du projet (6). Ces chaires constituent des postes de «super enseignant.e.s-chercheur.se.s» déchargé.e.s des 2/3 de leur service d'enseignement pendant 5 ans, titulaires d'office d'une Prime d'Encadrement Doctoral et de Recherche et disposant de thésards et d'un budget de recherche conséquent.
De plus, les chaires « industrielles » (20 sont budgétées par an) sont présentées comme un partenariat public-privé gagnant-gagnant. Sur le papier seulement, car en réalité il est facile de constater un déséquilibre des moyens financiers au profit du privé. En effet, les grandes entreprises peuvent n’abonder qu’à la hauteur de 10% du montant initial grâce à la réduction d’impôts sur les sociétés qui est égale à 60%, cumulable avec les 30% de déductions éligibles au titre du CIR pour les deux premières années…
D’une façon générale, les conditions de recherche exceptionnelles permises par ces chaires développent les inégalités entre collègues et peuvent contribuer à créer tensions et conflits. Dès 2009, le SNESUP s’est opposé à la création de ces chaires «d’excellence» et réclame toujours leur abandon. Depuis 2013, le CNRS a décidé ne plus renouveler ses chaires d’excellence…
5. Intrusion du privé
Nous devons être vigilants sur les partenariats de plus en plus intrusifs avec les entreprises privées, qui viennent d’être introduites dans les statuts de l’UPPA sous la forme d’un « Comité des entreprises ». En effet, les objectifs de ces entreprises ne sont pas les nôtres. Nous, nous nous devons d’assurer un service public d’enseignement et de recherche. L’intrusion du privé peut nous en détourner et constituer une menace pour les libertés académiques, car les entreprises partenaires vont tenter de privilégier leurs intérêts à court terme, même si c’est au détriment des nôtres et de ceux de la société.
Les « Monsanto papers » par exemple montrent bien comment la firme a entravé la marche mondiale de la science. Mais à Pau même, l’expérience du partenariat public-privé gagnant-perdant mis en place en septembre 2014 entre l’UPPA et un organisme privé, la Faculté ouverte de Paris (FOP) nous l’a déjà prouvé. Des cours en ligne étaient proposés en licence AES (Administration économique et sociale) et master sanitaire et social au prix de 1850 et 3000€ l'an, permettant l'enrichissement personnel de quelques dirigeants de ladite « start-up ». Les élu.e.s syndicaux avaient dénoncé les conditions de surveillance des examens et de validation des diplômes tandis que la FOP faisait sa publicité au détriment de l’UPPA. Mais à défaut du succès proclamé, la FOP a fini par faire faillite en 2017. Elle s’est retirée en laissant les impayés et autres engagements à la charge de l’UPPA !
- Une récente note de l’UPPA souligne : « La situation financière de l’UPPA et l’incapacité de l’Etat à faire face aux évolutions de la masse salariale Etat de l’UPPA nous ont conduit depuis près de 7 ans à un déficit structurel de 2 M€ avec des perspectives de dérive à 3 M€ en 2018 »
- Précisément : « situation très dégradée, difficultés financières avérées, risque d’insoutenabilité à court ou moyen terme ».
- Le terme très « novlangue » employé dans les orientations budgétaires 2018 est celui d’ « une politique d’emploi maîtrisée »…
- Les statuts de l’UPPA ont été modifiés pour faire place à ce « comité des entreprises » rebaptisé « comité des partenaires » intervenant y compris sur la carte des formations de l’UPPA.
- 75 bourses d’un montant de 6000€ (L1) à 10 000€ (M2) par an devraient être attribuées dès cette année. Le montant total correspond approximativement à l’économie faite par le gel des 24 emplois d’enseignant.e.s-chercheur.euse.s. Sur 4 ans, 400 bourses ont été budgétées pour un montant total de 4M€.
- Le dossier « E2S » prévoit 24 chaires par an pendant 4 ans dans la mise en œuvre de ses actions (P40 du projet), et en a budgété 56 par an dans son tableau des moyens (P55 du projet) pour un total de 12M€. La réalité se situera sans