Université Sorbonne Paris Nord (ex. 13) :
Motion des enseignant·es de la filière sciences sanitaires et sociales mobilisé·es contre la réforme des retraites, les réformes programmées de l'Université et la précarité étudiante
Campus de Bobigny, SMBH
En cette période de mobilisation dans l’ensemble du pays, une partie des enseignant·es- chercheur·es de la filière sciences sanitaires et sociales de l'Université Paris 13 a décidé, pour l'évaluation des cours et TD du premier semestre, de délivrer à l'ensemble des étudiant·es des notes supérieures à 16/20.
Cette décision est prise en responsabilité par une partie des enseignant·es de la filière, en l'absence de consensus sur les mobilisations sociales en cours et les modalités d’action dans l’enseignement supérieur. Il s'agit pour nous d'exercer ici notre liberté pédagogique tous en refusant d'ignorer les profonds mouvements qui agitent actuellement notre société.
Cette décision n'est ni un renoncement ni un abandon de nos étudiant·es, qui ont travaillé sérieusement durant ce semestre : ils et elles bénéficieront de corrections détaillées des sujets d'examen et de rencontres individuelles pour échanger sur leurs copies s'ils et elles le souhaitent.
Une décision de réponse à une situation de crise
La décision d'attribuer des notes supérieures à 16/20 à l'ensemble de nos promotions est prise à partir d'une conviction : que le contenu de nos enseignements doit primer sur leur évaluation. Cette position est selon d'autant plus pertinent que la fin du premier semestre d'enseignement a été fortement perturbé par les choix politiques du gouvernement qui, par leur brutalité, ont conduit à une grève massive dans les transports publics (SNCF, RATP), dans un grand nombre d'entreprises et de services publics, y compris à l'Université.
Nos étudiant·e·s ont rencontré des difficultés à se rendre en cours et ont vu certaines de leurs séances d'enseignement annulées. Les partiels, annulés début janvier, ont été reportés dans l’urgence. Des partiels ont été organisés simultanément à la reprise des cours du deuxième semestre. La situation n'est toujours pas normalisée puisque le mouvement social à l'Université se poursuit, certain·es enseignant·es s'étant mis·es en grève lors des journées de mobilisation qui perdurent et qui, loin d'opposer enseignant·es et étudiant·es, les rassemblent souvent dans un combat commun.
Dans ce contexte, qui a également beaucoup pesé sur les personnels administratifs, renoncer à une évaluation individuelle, c'est prendre acte que la situation chaotique générée par le gouvernement ne permet pas le travail serein de nos étudiant·es.
Une décision pour soutenir la mobilisation sociale...
Attribuer des notes bénéficiant aux étudiant·es est aussi une manière de ne pas pénaliser ceux et celles qui se sont mobilisé·es sur le campus dans les dernières semaines, et qui continuent à le faire, comme en témoignent les assemblées générales étudiant·es/personnels qui se tiennent sur les campus de Bobigny ou Villetaneuse. Cette décision permet également de faire exister les différentes initiatives qui voient le jour sur le campus : cours alternatifs, projections en lien avec les réformes en cours, actions d'affichage, etc.
Participant à la "Coordination nationale des facs et labos en lutte", nous avons bien noté, lors des ateliers, la parole émanant des étudiant·es, qui demandent aux enseignant·es de ne pas accroître la pression scolaire qui pèse déjà sur elles et eux, surtout lorsqu'en temps de grève leurs examens sont maintenus par l'Université.
Lorsque la jeunesse, touchée de plein fouet par le train de réformes en cours, et ce bien au- delà des retraites et de l'Université (réforme de l'Assurance chômage, baisse et transformation des modalités d'attribution des APL, etc.), se mobilise pour son avenir, nous considérons qu'il est de notre rôle d'enseignant·es chercheur·es, travaillant sur les questions sociales et sanitaires, de soutenir par tous les moyens la mobilisation : libérer du temps par la validation facilitée des semestres est pour nous un acte minimal à l'échelle de l'Université.
Cette décision est également motivée par la lutte en cours contre des réformes de l'Université ("Loi de programmation pluriannuelle de la recherche" - LPPR) qui vise à remettre en cause le service public de l'enseignement supérieur et de la recherche, déréguler nos métiers et notre organisation académique, et donc, finalement, qui entérine et accélère la mise en place d'un système éducatif inégalitaire, utilisant la sélection à des fins de reproduction sociale et de maintien dans la précarité des étudiant·es les plus défavorisé·es. Le processus est déjà en cours depuis des années mais n'a fait que s’accentuer, par exemple par l'instauration de frais d'inscription différenciés selon la nationalité des étudiant·es. Or, si nos situations d'enseignements se dégradent, si les contextes d'études deviennent de plus en plus difficiles, nos étudiant·es en seront les premières victimes : s'engager dans une lutte pour nos conditions de travail aujourd'hui c'est défendre la valeur de leur diplôme pour demain.
La légitimité de cette lutte est d’ailleurs confortée par les positions de notre Conseil d'administration (motion du CA du 31 janvier 2020) et notre Conseil académique (motion du 11 février 2020), qui affirment leur opposition aux orientations qui s’annoncent dans le cadre de la LPPR et, pour le CA, à ses conséquences sur les retraites.
... Et l'amplifier !
Le deuxième semestre débute, et le gouvernement ne semble pas avoir pris conscience de la colère exprimée dans la population depuis plusieurs mois maintenant. Nous, personnels de l'Université, avons de nombreuses raisons de continuer à nous mobiliser sur le front des retraites, de la réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche, et plus généralement contre la destruction de l'État social à laquelle nous assistons collectivement. Nous ne voyons pas, dans la réaction politique aux mouvements sociaux en cours, d'issue rapide au conflit puisque le gouvernement continue de faire passer en force des mesures qui accroissent les inégalités ou détruisent les services publics auxquels nous tenons tant.
Dans ce contexte, nous continuons à faire notre travail d'enseignant·es : transmettre nos connaissances sur tous les sujets sanitaires et sociaux en lien avec les mobilisations en cours, échanger et débattre avec nos étudiant·es sur ces connaissances, bref, les former à la construction d'un véritable esprit critique.
Cette préservation de notre relation pédagogique avec nos étudiant·es s'accompagne également d'une participation collective aux journées de mobilisation inter-professionnelles qui se poursuivent. Si cette situation devait durer, la décision prise ici de soutenir nos étudiant·e·s par une validation facilitée de leur semestre pourra être reconduite pour le second semestre, toujours dans le dialogue avec les promotions dont nous avons la responsabilité.
Des enseignant·es titulaires et non-titulaires de la filière Sciences Sanitaires et Sociale, Université Paris 13