Motion de l’Assemblée générale
du comité de mobilisation de l’Université de Strasbourg
19 novembre 2020
Dans le droit fil de la lettre adressée au Président Macron par la Commission permanente du Conseil National des Universités (CP-CNU) et de la pétition qu’elle a initiée, nous, personnels et étudiants de la communauté universitaire de Strasbourg, appelons à la démission de Madame Frédérique Vidal. Prétendant aujourd’hui ouvrir un dialogue qui intervient bien trop tardivement dans le processus parlementaire en cours de finalisation de l’adoption de la loi, les personnels et étudiants ne sont dupes, ni de la stratégie déployée au niveau national compte tenu de la période de confinement, ni des nombreuses atteintes aujourd’hui faites aux fondements de l’Université française. En outre, le processus législatif ne retranscrit pas la position commune qui résulte des différentes prises de parole, institutionnelles ou non, de la communauté universitaire.
Pour rappel, la LPPR, devenue Loi de programmation de la recherche (LPR), est en discussion depuis le 1er février 2019, suite à l’organisation de consultations auprès de la communauté d’enseignement et de recherche, dont il n’a été nullement tenu compte des avis. N’ayant eu connaissance du texte rédigé que le 7 juin 2020, après une sortie de confinement douloureuse, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) a été saisi le 12 juin, dans des délais extrêmement brefs de consultation (débat de 21 heures) pour une remise de son avis le 19 juin [1]. Le CNESER a émis un certain nombre de critiques sur le texte. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans son avis du 22 septembre 2020, a lui aussi souligné les limites du texte, le budget programmé n’étant pas à la hauteur des défis présentés [2]. En discussion au Sénat, plusieurs dispositions ont été introduites dans le texte dans la nuit du 28 octobre, parmi lesquelles la soumission des libertés académiques aux valeurs de la République (rédaction heureusement abandonnée), plusieurs cas de dérogation à la procédure de qualification aux fonctions de professeur par le Conseil national des universités [3] et la création d’un nouveau délit d’entrave à la tenue d’un débat organisé dans les locaux de l’université par le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte de l’établissement. La commission mixte paritaire, saisie en vue de rédiger un texte commun aux deux chambres, a, le 12 novembre, aggravé le délit en prévoyant une infraction différente (« délit de trouble à la tranquillité ou au bon ordre de l’établissement par le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte de l’établissement ») et une sanction plus lourde (« délit commis en réunion sanctionné par une peine d’emprisonnement de 3 ans et une amende de 45.000 euros au titre des atteintes à l’autorité de l’Etat »).
Adopté par l’Assemblée nationale le 17 novembre et en discussion devant le Sénat le 20 novembre pour l’adoption du texte définitif, la concertation avec la communauté n’est pas matériellement possible. Cette adoption dans l’urgence en période de confinement, autrement dit en profitant de la difficile mobilisation collective des personnes directement concernées par ce texte, relève de méthodes d’un autre temps et de modalités indignes d’un système démocratique : celles d’un autoritarisme qui fait fi des nombreuses pétitions, motions de conseils d’université, communiqués syndicaux ou de multiples collectifs qui ont tous exprimé des critiques majeures à l’encontre de ce texte [4].
Les atteintes au statut de l’enseignant-chercheur, aux modalités d’exercice des fonctions de l’enseignant-chercheur, aux libertés académiques et aux libertés publiques (liberté d’expression, liberté d’association et libertés syndicales) dans l’enceinte de l’université apparaîssent à nos yeux inacceptables. Le conseil constitutionnel pourra être saisi. Mais nous ne craindrons pas de recourir aux différentes procédures permettant de faire sanctionner de telles atteintes devant la Cour européenne des droits de l’homme [5].
Pour toutes les raisons qui précèdent :
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Nous appelons à la démission de la ministre Frédérique Vidal et soutiendrons toutes les démarches collectives entreprises pour l'obtenir ;
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Nous demandons un moratoire sur le texte législatif afin d’associer dans le cadre d’un débat public contradictoire l’ensemble des enseignants-chercheurs des universités. Une étude d'impact menée en toute indépendance aurait clairement fait apparaître les limites du texte proposé. Nous interpellons le gouvernement à ce sujet afin de réaliser enfin une étude d'impact sérieuse ;
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Nous exigeons des mesures d’urgence en termes de postes et de moyens financiers pour lutter contre toutes les formes de précarité dans l’ESR, ainsi qu’une revalorisation immédiate des bourses des étudiants. Tous les fonds d’urgence disponibles doivent être mobilisés, y compris ceux de l’Université de Strasbourg ;
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Nous demandons la titularisation immédiate des non-titulaires exerçant des missions pérennes à tous les niveaux de l’enseignement supérieur et de la recherche ;
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Nous dénonçons la position de la présidence de l’Université de Strasbourg qui est favorable à l’expérimentation des recrutements sous contrat, par dérogation au concours de la fonction publique (procédure de qualification par le CNU) ;
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Nous décidons de la création d’une caisse de grève ;
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Nous appelons à faire grève le mardi 24 novembre, journée de mobilisation nationale, et nous organiserons un événement le même jour à 14h, dont les modalités seront précisées ultérieurement.
Mobilisé·e·s dans la lutte pour une Université publique forte, au service du bien public, pour les libertés académiques et les libertés publiques, nous revendiquons le plein exercice de nos droits fondamentaux et de notre mission au service de la construction et de la diffusion d'une connaissance inventive et indépendante.
L’AG était appelée par le Comité de mobilisation de l’Université de Strasbourg et soutenue par l’intersyndicale de l'Université de Strasbourg et des organismes de recherche : Solidaires étudiant.e.s Alsace, CNT-STP67, SES-CGT, SNTRS-CGT, SNASUB-FSU, SNCS-FSU, SNESUP-FSU, FO-ESR, SUD Éducation Alsace
[1] Avis adoptant le projet de loi, par 32 voix contre 26 le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030 soit 55,2% des suffrages exprimés en faveur du texte et 44,8 % contre. Notons que l’avis n’est pas accessible in extenso sur le site du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et qu’un recours gracieux a été interjeté par des élus du CNESER, sans suite donnée à la procédure : https://academia.hypotheses.org/26625
[3] Pour une synthèse des dérogations prévues voir cette analyse : “ (...) La loi autorise en effet un recrutement hors-CNU pour les professeurs des universités, tout en maintenant la qualification pour les candidats aux postes de maîtres de conférences, le tout mâtiné d’une « expérimentation » permettant aux universités de tester l’opportunité d’un recrutement sans qualification pour les maîtres de conférences. Deuxièmement, en créant un nouveau statut échappant à toute procédure d’évaluation nationale par les pairs : les professeurs recrutés par contrat sur des « chaires juniors ». Présentés aujourd’hui comme des exceptions pour donner de nouveaux leviers de recrutement aux universités, l’objectif est ici que se généralisent des offres d’emploi diverses proposées par les établissements. La prolifération de ces contrats divisera très rapidement le corps enseignant en deux catégories distinctes, l’une recrutée sans filtre national, sur des critères locaux et sur une base contractuelle, l’autre recrutée par une procédure plus rigoureuse d’évaluation scientifique, octroyant un statut de fonctionnaire (...)” ( F. Sawicki et O. Nay, Sauver le Conseil national des universités pour préserver l’autonomie des universitaires, AOC, 16 novembre 2020).
[4] http://rogueesr.fr/une_autre_lpr/
http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article8826
http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8753
[5] arrêt Kula c. Turquie du 19 juin 2018, n° 20233/06, constatant la violation de la liberté d’expression d’un professeur d’université dans cette affaire. La Cour insiste sur l’existence d’une liberté académique « qui doit garantir la liberté d’expression et d’action, la liberté de communiquer des informations, ainsi que celle de rechercher et de diffuser sans restriction le savoir et la vérité » (§ 38). La Cour se réfère également à la Recommandation no 1762(2006) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe : « Liberté académique et autonomie des universités ». Le point 7 de la recommandation rappelle que « S’il est vrai que la liberté des chercheurs, des enseignants et des universitaires au sens large et l’autonomie institutionnelle des universités appellent peut-être un réajustement aux réalités contemporaines, ces principes devraient également être réaffirmés et garantis par la loi, et si possible par la Constitution. Comme l’attestent les nombreux bilans et évaluations menés sur le plan international, c’est lorsque les universités sont moralement et intellectuellement indépendantes de toute autorité politique ou religieuse et de tout pouvoir économique qu’elles sont le mieux à même de répondre aux besoins et aux exigences du monde moderne et des sociétés contemporaines ».