Université de Strasbourg :
Motion de l'assemblée générale des étudiants et personnels de la Faculté des Lettres
Le 3 février 2020, à Strasbourg
Nous, étudiant.e.s et personnels de la Faculté des Lettres de l'Université de Strasbourg, réuni.e.s en assemblée générale le lundi 3 février, dénonçons le projet de réforme de la formation et du recrutement des enseignant.e.s (masters MEEF, CRPE et CAPES) ainsi que le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). Nous nous alarmons de la situation de précarité dans laquelle se trouvent déjà nombre de personnels et nombre d'étudiant.e.s et de l'aggravation que provoquerait la mise en œuvre de telles réformes. Nous affirmons en outre notre solidarité avec la mobilisation en cours contre la réforme des retraites.
1 / Formation et recrutement des enseignant.e.s du primaire et du secondaire
Nous nous opposons au projet de réforme des masters Métiers de l'Enseignement, de l'Éducation et de la Formation (1er degré et 2nd degré) et des concours auxquels ces masters préparent (le Concours de Recrutement de Professeur des Écoles et le Certificat d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement du Second degré). En effet, au vu des informations dont nous disposons, ce projet remet en cause le rôle des formations disciplinaires et dégrade encore davantage l'attractivité du métier d'enseignant.e.
S’ajoutant aux réformes de la formation des enseignant.e.s qui se sont succédé, sans véritable évaluation, depuis 2009, cette nouvelle réforme désorganisera nocivement le Master Enseigner les lettres et obligera la mise en place d’années de transition, préjudiciables à une formation et à une préparation au concours sereines et de qualité. En deuxième année de Master, les étudiant.e.s « alternant.e.s » devront à la fois avoir des classes en responsabilité et préparer leur concours, ce qui engendrera de facto une surcharge de travail. Tou.te.s les étudiant.e.s ne bénéficieront pas de ce statut (les critères de sélection et la proportion d'étudiant.e.s concerné.e.s ne sont aujourd'hui pas connus), ce qui créera une inégalité entre les étudiant.e.s et constituera également une forme de concurrence. Par ailleurs, ils et elles seront nettement moins bien rémunéré.e.s que les actuel.le.s Fonctionnaires-Stagiaires de M2 et ne seront considéré.e.s comme tel.le.s qu'après leur M2. C'est une nouvelle voie de précarisation des étudiant.e.s.
Quant aux nouvelles épreuves du CAPES, elles minorent dangereusement l’évaluation portant sur la maitrise du champ disciplinaire, ce qui augure d’un recrutement au rabais (et ce, alors même que la faiblesse disciplinaire des candidat.e.s et des stagiaires est déjà manifeste). Nous rappelons à ce titre la nécessité d'une évaluation exigeante en littérature, en langue française et en langues anciennes pour enseigner le français, le latin et le grec dans le secondaire, de même que la nécessité d'une évaluation exigeante en langue française pour enseigner au primaire. Les savoirs et les savoir-faire disciplinaires sont des fondements sans lesquels didactique et pédagogie sont en quelque sorte des coquilles vides. Enfin nous nous inquiétons vivement de la baisse annoncée de moitié des postes aux concours 2021 et 2022.
Suite à ces constats, nous demandons l'abandon du projet de réforme des masters MEEF et des concours de recrutement des enseignant.e.s. Nous réclamons le maintien de toutes les épreuves disciplinaires avec leurs spécialités respectives et restons mobilisé.e.s contre toute atteinte à l’intégrité de l’enseignement du français, des langues anciennes et des lettres. Nous réclamons en outre, tout comme dans la motion adoptée par l'INSPÉ de l'Académie de Strasbourg, « l'ouverture d’une véritable concertation associant tous les partenaires de la formation », afin de réfléchir à des propositions concrètes pour améliorer la qualité des formations, les conditions de préparation aux concours et les conditions de préparation à l'entrée dans le métier.
2 / Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche
Le congrès de notre université a pointé les dangers de la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche en affirmant que plusieurs éléments de l'avant-projet de loi sont « de nature à porter un préjudice irréversible à la recherche publique : concentration accrue des financements sur quelques établissements et équipes, choix de privilégier les financements sur projet au détriment de financements récurrents pour refinancer l'ESR [l'Enseignement Supérieur et la Recherche], modulation des services des enseignants-chercheurs, arrêt des recrutements d’enseignants-chercheurs et d'autres personnels de l'ESR titulaires au profit de recrutements temporaires et précaires ».
Nous partageons cette analyse mais ajoutons que l'avant-projet de loi ne met pas seulement en danger la recherche mais aussi l'enseignement supérieur public et donc l'Université toute entière. Nous nous opposons à une réforme qui entrainerait une nette dégradation des conditions de travail de l'ensemble des personnels de l'Université (enseignant.e.s, enseignant.e.s-chercheur.e.s, doctorant.e.s contractuel.le.s, BIATSS) ainsi qu'une très forte dégradation des conditions d'étude de l'ensemble des étudiant.e.s.
Nous demandons non seulement l'abandon de la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche mais réclamons encore la mise en place de toute urgence d'une politique d'enseignement et de recherche digne de ce nom, à même de résorber la précarité endémique des universités et de soutenir véritablement, et égalitairement, la production et la transmission des savoirs.
3 / Précarité et précarisation dans l'Enseignement Supérieur et la Recherche
La précarité est une réalité sur laquelle on ne peut plus fermer les yeux dans l'Enseignement Supérieur et la Recherche. Elle touche en priorité les étudiant.e.s, les enseignant.e.s non titulaires, les personnels ITA (ingénieurs, techniques, administratifs) et les personnels BIATSS (personnels des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé).
Nous réclamons :
- que les étudiant.e.s puissent étudier dans des conditions décentes. L'attribution d'une allocation d’autonomie mériterait à ce titre d'être portée à la réflexion au niveau national ;
- que l'investissement pédagogique des enseignant.e.s non titulaires soit reconnu et rémunéré à sa juste valeur. La signature d’un contrat en bonne et due forme et la mensualisation des vacataires sont les premières des mesures à prendre ;
- que les postes existants soient maintenus et que de nouveaux supports de titulaires (tout type de personnel confondu) soient créés, à hauteur des besoins réels.
4 / Actions
En conséquence, nous, étudiant.e.s et personnels de la Faculté des Lettres :
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appelons à la vigilance de tous et toutes vis-à-vis des projets de réformes qui menacent de détruire l'enseignement public en France, en continuité avec des réformes antérieures (loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, Parcoursup, réforme du lycée) et, plus largement, vis-à-vis des projets de réformes qui remettent en cause notre système de protection sociale (retraites, assurance chômage) ;
- invitons pour ce faire l'ensemble des membres de la Faculté à s'informer et à se réunir régulièrement pour échanger et construire la mobilisation, sur une base de solidarité entre étudiant.e.s et personnels ; un point d'information sera mis en place à cet effet au Portique ;
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encourageons les enseignant.e.s qui le souhaitent à organiser des moments d'information et de discussion pendant une partie de leur temps d'enseignement, usant ainsi de la « pleine indépendance » et de l’ « entière liberté d'expression » dont ils jouissent, en vertu de l'article L952-2 du Code de l'Éducation ;
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appelons à la banalisation des cours sur les horaires de manifestation et d’AG et à la mise en place de dispense d’assiduité les jours de mobilisation nationale ;
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demandons que le Conseil de Faculté exprime sa position sur les réformes en cours ;
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demandons à la présidence de l'Université de transmettre la présente motion à nos tutelles.
De surcroit, l’assemblée générale invite les enseignant.e.s et enseignant.e.s-chercheur.e.s de la Faculté des Lettres :
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à démissionner de leurs responsabilités pédagogiques et administratives (responsabilités de diplômes, examen des dossiers d'équivalence, gestion des stages, Parcoursup...) si ces revendications ne sont pas entendues ;
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à ne pas tenir les jurys d'examen, en concertation avec l'équipe de la scolarité.
Motion votée à l’unanimité des 87 présent.e.s