Université de Strasbourg : Motion adoptée par le département d’études arabes, le département d’études chinoises et le département d’études turques de la Faculté des Langues

Publié le : 23/04/2018

 

 

Le 17 avril, 3 départements de la Faculté des Langues de Strasbourg ont adopté une motion (voir pièce jointe). Il s'agit des départements d'études arabes, d'études chinoises et d'études turques. Cette motion a été envoyée à l'ensemble des personnels de la Faculté de Langues.

 

Motion adoptée par le département d’études arabes, le département d’études chinoises et le département d’études turques de la Faculté des Langues de l’Université de Strasbourg

 

    Nous, enseignants-chercheurs des départements d’études arabes, d’études chinoises et d’études turques de la Faculté des Langues de l’Université de Strasbourg, nous inquiétons des conséquences et des modalités de la mise en place de l’outil Parcoursup. Nos inquiétudes sont de trois ordres :

  1. Le principe d’un classement universel des candidatures change profondément le visage de l’université sans que ce bouleversement ait pris appui sur une concertation.
  • Du point de vue des bacheliers, il implique que seuls les plus performants pourront désormais choisir pleinement leur orientation, les autres devant se contenter de choisir entre les places restantes.

  • Du point de vue de l’université, il implique que le volume des différentes filières ne sera plus fonction de la demande étudiante, mais pourra désormais être prédéfini par les universités et/ou le ministère en fonction de critères qui n’ont jusqu’ici pas été clairement énoncés (il a principalement été question des débouchés existant en termes d’emplois) et dont on ignore qui les fixera. Chaque génération d’étudiants devra bon gré mal gré remplir les sièges alloués, et ce par ordre de classement. Les conséquences à moyen terme de ParcourSup sont donc considérables, même si son impact pour l’année 2018-2019 sera sans doute limité.

  • Du point de vue des enseignants, le principe du classement change l’esprit même de notre métier. S’il est évident qu’un bagage minimum est nécessaire à la poursuite d’études universitaires, notre mission n’a jamais été, jusqu’à présent,  de  donner plus aux étudiants les plus performants et de subordonner les  étudiants  les  moins compétitifs aux besoins supposés des différents secteurs d’activité. Le sens même du métier d’enseignant-chercheur est au contraire de fournir à chaque génération de jeunes adultes, dans le cadre d’un service public, les moyens d’entrer dans la société en tant que citoyens libres et égaux, capables de porter sur le monde tel qu’il est un regard critique. De nombreuses filières sélectives existent déjà dans notre système éducatif ; on peut débattre de la pertinence de chacune d’entre elles, mais l’extension de leur mode de fonctionnement à l’ensemble de l’enseignement supérieur est une révolution qui mérite, pour le moins, concertation.

  1. La base sur laquelle sont censés se faire la sélection et le classement dans ParcourSup paraît peu fiable et ne permet pas aux commissions d’examen des vœux d’apprécier la probabilité de réussite des futurs étudiants au sein des formations universitaires qu’ils souhaitent intégrer. La motivation des étudiants et leur intérêt pour nos enseignements sont impossibles à paramétrer. Les notes figurant sur les bulletins scolaires reflètent les disparités entre les établissements sans doute autant que celles entre les élèves. L’inégal recours à une aide familiale dans la préparation du dossier et les faibles moyens alloués à l’orientation scolaire dans les lycées concourent également à brouiller le jeu. Il nous semble ainsi que ParcourSup donne aux disparités de tous ordres un poids tel sur l’orientation des étudiants que l’équité de la procédure s’en trouve gravement compromise, même à supposer qu’on approuve le principe d’une telle évaluation.

Mais ce dernier est lui-même contestable. En effet, le parcours des élèves – mineurs – dans le secondaire (choix de tel ou tel baccalauréat, passages à vide ou redoublements) est éminemment tributaire de leur milieu familial. Il ne paraît ni raisonnable, ni juste de prédire sur cette base la réussite des futurs étudiants dans le supérieur. Quant à leur parcours universitaire, le fait qu’il puisse comporter des « échecs » en L1 et des réorientations n’est pas en soi problématique – bien au contraire : dans une époque où l’on vante la polyvalence et la capacité à se reconvertir, pourquoi poser comme norme l’exigence d’un parcours rectiligne dès avant la sortie du lycée ? Si les bacheliers doivent être évalués, alors que cela soit fait dans le cadre de nos cours et de nos examens, au terme d’un contact pédagogique ; cela est dans nos compétences. Et si, par ailleurs, le niveau général de certains néo-étudiants est jugé trop faible, alors c’est qu’il faut donner davantage de moyens au secondaire pour accomplir ses missions, afin d’aboutir à un baccalauréat revalorisé, attestant mieux des compétences réelles des futurs étudiants.

  1. La mise en œuvre de Parcoursup alourdit considérablement le travail des enseignants-chercheurs et les détourne de leurs missions fondamentales : l’enseignement, la recherche, l’accueil et l’accompagnement des étudiants.
  • L’examen des dossiers, même avec l’« aide à la sélection » que constitue(ront) les algorithmes de classement, est une tâche longue et exigeante.

  • L’outil informatique Parcoursup est complexe et difficile à manier. Il réclame une formation spécifique à laquelle s’ajoute le temps de manipulation, pour une tâche   qui ne relève ni de l’enseignement, ni de la recherche, ni de l’accompagnement des étudiants. Est-il normal, par exemple, qu’il revienne au titulaire du compte Parcoursup (responsable de la licence) de générer les dizaines de PDF correspondant aux dossiers  des candidats afin de les communiquer aux membres de la commission d’examen des vœux ?
    Ce gaspillage de temps et d’énergie pour une tâche inutile (dans des filières qui – pour le moment du moins – ne sont pas sous tension) conduit à une nouvelle dégradation des conditions dans lesquelles s’exerce le métier d’enseignant-chercheur à l’université.
    Enfin, la responsabilité légale des enseignants dans la décision prise (et en particulier la responsabilité du titulaire du compte Parcoursup, qui se connecte et  travaille sous son nom propre) reste un point d’interrogation. Nous ignorons en effet  dans quelle mesure ils seront tenus pour responsables des classements finaux puisque seuls leurs noms apparaîtront alors même que le rectorat introduira des modifications pour que le classement final réponde à des critères qui restent encore inconnus ; et,   d’une manière générale, la précipitation avec laquelle cette réforme est mise en œuvre laisse présager de nombreux ratés, contre lesquels les étudiants seront en droit de se retourner. Ce qui nous est demandé est donc d’endosser a priori une responsabilité dont le périmètre est encore inconnu et, pour certains d’entre nous, contre notre conscience.

L’intérêt des étudiants est bien sûr ce qui doit primer dans la situation présente. En outre, nous ne voudrions pas que les ratés de Parcoursup puissent être, par la suite, injustement imputés aux enseignants-chercheurs. Notre but est donc de trouver, en accord avec la faculté, une solution permettant de faire face à l’urgence, tout en adressant un message positif à l’ensemble des candidats.
Ainsi, les commissions d’examen des voeux des formations concernées par les départements signataires de cette motion s’abstiendront de classer les candidatures des candidats sur ParcourSup. Ce classement ne faisant aucunement sens d’un point de vue pédagogique, ne correspondant pas à nos missions, et ne relevant pas de nos
compétences, les commissions classeront ex-aequo l’ensemble des candidats afin qu’ils soient tous en mesure de suivre la filière de leur choix.

Cette motion fait écho à des motions similaires récemment adoptées en conseil ou en assemblée générale par les collègues biatts et/ou enseignants-chercheurs de la Faculté de Philosophie et de la Faculté des Sciences historiques de l’Université de Strasbourg, ainsi qu’aux très nombreuses initiatives de départements, de facultés et d’universités (plus de 70 établissements concernés à ce jour ; plus d’informations sur http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article8184 qui ont décidé, d’une manière ou d’une autre, de refuser le principe d’un classement des candidatures.

Les collègues enseignants-chercheurs de la Faculté des langues et des autres composantes de l’Université de Strasbourg qui se retrouveront dans les inquiétudes que nous soulevons sont libres de prendre position, s’ils le souhaitent, en faveur de cette motion, que cela soit à titre individuel ou à titre collectif au nom de l’équipe pédagogique qui est la leur.

 

 

 

A Strasbourg, le 17 avril 2018.

Les signataires :

Le Département d’études arabes

Le Département d’études chinoises

Le Département d’études turques