Publié le : 11/06/2018

par Isabelle de Mecquenem, secteur SDP

Je souhaite, pour ma part, évoquer le moment où le travail devient non plus « usage de soi » pour citer l’expression du professeur Yves Schwartz mais usure de soi, une usure qui peut aller très loin, jusqu’à l’autolyse.  Pour frapper l’opinion, le syndicat Solidaire a publié une carte de France des suicides au travail, le Snesup pourrait lancer cette initiative pour les établissements d’enseignement supérieur afin de susciter la prise de conscience des tutelles.

Voici les quelques constats structurants que je suis amenée à faire transversalement aux cas individuels de souffrance au travail dont j’ai eu connaissance au sein du secteur des personnels du Snesup. 

Premier constat : tous ces collègues, quel que soit leur statut (précaire ou professeur des universités) relatent leur isolement. C’est un constat déjà dramatique, en ce qu’il souligne l’effacement de toute solidarité qu’elle soit collégiale, sociale, ou humaine, au sein des universités, et comme s’il n’y avait pas d’interlocuteur institutionnel de proximité auquel on puisse s’adresser en premier recours, en toute confiance, en cas de difficultés professionnelles. 

Ce vécu d’isolement est déjà particulièrement paradoxal dans un environnement professionnel et aggrave d’emblée toute situation de souffrance et de conflit. Mais il suscite aussi une interrogation de fond  : est-il le symptôme, l’effet de la « placardisation » comme on est tenté de le croire d’emblée ou bien est-il structurel dans certaines universités, témoignant d’une conception radicalement individualiste du métier d’enseignant-chercheur , conception très en phase avec les réformes en cours  qui veulent instiller l’idéologie de la performance ?

Second constat : les collègues décrivent tous le sentiment d’obstruction à leurs missions statutaires , qu’il s’agisse de relégation en matière d’enseignement,  de privation d’enseignement en M1 M2, ou privation de CM, etc. , et en recherche, de refus de moyens déclinés sous diverses formes, toutes formes de mesures qui conduisent à l’exclusion des équipes en dehors de tout cadre légal ou réglementaire. Il s’agit de sanctions « sauvages » qui témoignent de l’habituation à l’arbitraire, au discrétionnaire, au despotisme local.

Troisième constat, peu rassurant : la montée de la conflictualité entre pairs, entre collègues. J’ai conscience d’évoquer une réalité peu valorisante pour l’image des universitaires, mais ce mauvais climat témoigne d’un abandon des normes relationnelles et de l’éthique universitaire, ce qui participe aussi directement à  la dégradation des conditions de travail. Deux types de conflits peuvent être observés : des conflits aigus et des conflits insidieux. Les premiers correspondent à la dégradation des relations de travail déjà évoquée, ce qui serait une banalité, n’était qu’à  l’Université, cette dégradation a une signification plus profonde, puisque la collégialité démocratique, le respect du travail intellectuel de haut niveau sont normalement au fondement même de l’activité professionnelle.Surtout quand les conflits aigus mènentà des violences physiques perpétrées sur le lieu de travail. 

Il existe aussi la famille des conflits insidieux dont la caractéristique est de s’inscrire dans le fonctionnement même des unités d’enseignement et de recherche et, plus globalement, du service public d’enseignement supérieur qui ne possède que peu de garde fous à ce phénomène, sachant que les statuts ne s’avèrent pas protecteurs contre cette violence endogène.

Toute la difficulté devant un vécu de souffrance au travail massif est d’articuler l’action syndicale sans s’égarer dans des voies transverses, comme une demande de soutien psychologique. L’instance tierce que représente l’action syndicale s’avère déterminante et joue àtravers des actions modestes d’alerte, de saisine, de signalement auprès des interlocuteurs institutionnels et peuvent parvenir à rétablir un cadre relationnel normal, si ce n’est serein. Nous participons ainsi à l’objectivation des situations litigieuses et à leur résolution par les tutelles. L’appui sur le droit, la réglementation, le rappel des droits et devoirs forme l’autre grande voie d’action syndicale, tout en évitant la juridicisation des conflits.

Je conclurai par deux pistes : se méfier de la notion de harcèlement« mise à toutes les sauces » alors qu’il s’agit d’une qualification juridique de faits répétés et surtout établis, documentés. D’autre part, par notre action syndicale, contribuer à rétablir, si ce n’est les normes elles-mêmes, au moins le sens des normes. En cela, ses effets vont au delàdes prises en charges individuelles et justifie notre engagement au service de l’intérêt public.