Revaloriser la mission de formation nécessite un autre budget ! - Flash n° 44, 24 octobre 2018

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Publié le : 24/10/2018

 

Le présent discours constitue l’intervention d’Hervé Christofol, secrétaire général du SNESUP-FSU, à l’occasion d’une réunion de travail au ministère consacrée à la reconnaissance de l’engagement pédagogique des enseignants-chercheurs et des personnels dans l’Enseignement supérieur.
 
Madame la ministre, Mesdames et Messieurs, chères et chers collègues,
 
Madame la ministre, vous avez raison : la mission de formation des enseignants-chercheurs doit être revalorisée comme d’ailleurs l’ensemble de leurs missions, mais sans doute plus particulièrement celle-ci. La situation actuelle n’est en effet plus tenable sans prendre le risque de détruire nos métiers.
  • Il est absolument scandaleux que l’heure complémentaire d’enseignement, que nous devrions appeler comme il se doit « heure supplémentaire » pour tous les enseignants et les enseignants chercheurs, dès lors qu’elle se fait au-delà de leurs obligations de service, soit rétribuée en dessous du SMIC horaire, alors qu’elle devrait l’être à 125 % de l’heure titulaire (contre moins de 40 % actuellement) ;
  • Il n’est pas acceptable, alors que les enseignants-chercheurs ont vu leur charge de travail augmenter avec l’ajout des missions d’insertion professionnelle et de transfert des résultats de la recherche auprès du monde socio-économique, mais également de nombreuses charges administratives auparavant dévolues au personnel BIATSS – aujourd’hui en sous-effectif -, que leurs obligations de service d’enseignement n’aient pas été réduites, ni en 2007 ni en 2013, à l’occasion de deux lois majeures. Nous revendiquons des obligations de service statutaire à 125h pour les EC comme c’est le cas en Belgique, au Canada ou dans d’autres pays parmi ceux qui investissent le plus dans les formations de l’enseignement supérieur.
  • Il n’est plus tolérable que des établissements, faute de moyens, imposent, au détriment de la réussite des étudiants et de la santé des personnels, des groupes de travaux dirigés à plus de 40 (50 à 70, même parfois) et des cours en amphithéâtre à plusieurs centaines d’étudiants, simplement parce que cette modalité pédagogique est de toute évidence la plus économique et que ces établissements sont sous-dotés. L’Humain ne peut se fondre dans une vision uniquement économique.
  • Il n’est pas plus souhaitable que pour assurer leurs missions de service public, les enseignants-chercheurs de nombreux établissements soient contraints d’assurer au-delà de leur service plus de 50 heures supplémentaires et cela depuis plusieurs années, compte tenu des inégalités de moyens entre établissements et des difficultés budgétaires.
  • Nous n’acceptons plus que l’investissement par étudiant ne cesse de baisser dans notre pays car cela se traduit principalement par une baisse du taux d’encadrement de nos étudiant.es et par une baisse de la qualité des formations. Il y va de l’avenir de notre pays et de notre société.
  • Comment pouvons-nous accepter, en 2019 comme en 2018, que le point d’indice des fonctionnaires puisse ne pas être revalorisé alors que nous avons perdu un mois de salaire depuis 2010 ? Jusqu’où doit-on aller pour obtenir que cette situation cesse ?
 
Alors oui ! Il faut rehausser les grilles indiciaires des enseignants-chercheurs pour valoriser la qualification du doctorat. Ces modifications sont possibles elles ont été faites à plusieurs reprises pour les administrateurs civils.
 
Et si vous souhaitez plutôt le faire par une revalorisation de l’indemnitaire, alors faisons-le via la prime d’enseignement et de recherche que touchent tous les enseignants-chercheurs et commençons par la ré-indexer sur l’inflation, sinon sur les salaires. Je rappelle qu’actuellement la prime des chercheurs, qui date de 1946, s’élève à 3€ faute d’avoir été indexée. Les enseignants-chercheurs sont les fonctionnaires A+ qui ont la plus faible prime fonctionnelle. Heures complémentaires incluses, la part indemnitaire des enseignants-chercheurs représente moins de 14 % de leur traitement indiciaire alors que pour compenser les gels du point d’indice, elle s’élève à plus de 35 % pour les autres corps A+.
 
Nous sommes opposés à une nouvelle prime au mérite sur le modèle de la PEDR qui divise la communauté, pose de réels problèmes de stigmatisation et d’autocensure. Or, pour diminuer le taux de non recours aux aides sociales - car nous en sommes là pour maintenir notre niveau de vie ! -, il ne s’agit pas de mieux informer ou de multiplier les primes déclaratives, mais bien de systématiser leur attribution.
 
Des pays tels que les USA ou la Grande Bretagne, qui, vous ne pouvez l’ignorer, ont déjà mis en place le « merit pay », ont pu constater l’inefficacité de ce dispositif de prime au mérite. Il n’a aucun effet de stimulation ou d’entrainement, au contraire, il culpabilise, désengage et conduit à des fraudes comme d’ailleurs les autres dispositifs du « nouveau management public ». Ces pays sont en train d’abandonner la rémunération au mérite car, bien qu’elle parvienne parfaitement à soumettre les communautés qui la subissent, le coût de la perte de productivité qu’elle génère est trop important. Pourquoi alors s’entêter ?
 
Maintenant, un double principe de réalité s’impose.
 
D’une part, nous savons qu’il existe des primes ou des décharges de service pour développer des « innovations pédagogiques » dans plusieurs universités qui, sous couvert d’expérimentation, distribuent çà et là, 2000 à 4000€ par an ou bien 10 à 30h de décharge de service à quelques pourcents des enseignants-chercheurs selon des critères plus ou moins opaques, en leur permettant parfois d’être accompagnés par des ingénieurs pédagogiques. Mais la mission d’enseignement est-elle réductible à l’innovation pédagogique, aux expérimentations ou à la mise en œuvre de la loi ORE ? L’enseignement c’est notre métier et c’est aussi notre quotidien.
 
D’autre part, en attendant la fusion des corps, nous avons des promotions prévues au cours de nos carrières et la prise en compte de la mission d’enseignement est un sujet. Les expériences du dossier de valorisation pédagogique (DVP) à l’Université de Louvain sont à étudier. Rappelons également que nos statuts nous garantissent une liberté pédagogique et une indépendance académique indispensables pour l’exercice d’un enseignement et d’une recherche originale et de haut niveau.
 
Nous n’accepterons pas que notre communauté continue à être sous-payée et soumise à un management public culpabilisant et infantilisant alors qu’il manque 60 000 personnels dans l’enseignement supérieur et la recherche et que pour atteindre 2 % de PIB pour l’enseignement supérieur il faut qu’au cours des 10 prochaines années que notre budget progresse de 20 milliards d’euros. C’est cela la réalité !
 
Pour revaloriser la mission de formation, commençons par la rémunérer correctement, par augmenter le taux d’encadrement statutaire dans les établissements les plus sous-dotés afin d’assurer des conditions de travail décentes.
 
Madame la ministre, nous serons à vos côtés si tel est votre objectif et cela passe avant tout par un autre budget 2019.