Après un premier séminaire en mai 2016 regroupant une trentaine de participants et dont le thème était « Quelle place pour l'approche par compétences à l'université ? Du concept de compétence à l’évaluation par les compétences », un 2ème séminaire a eu lieu le 11 mai, à Paris V. Une cinquantaine de collègues se sont réunis pour aborder le thème : Séparer le bon grain de l'ivraie Compétences/insertion professionnelle/pédagogies : Des avancées et des détournements1.
L’idée de ce séminaire était de circonscrire à la fois ce qui se passe réellement au sein de nos établissements et les enjeux des « compétences », de « l’insertion professionnelle » et des « innovations pédagogiques ». 3 thèmes servaient de support à une réflexion transversale : montrer le fréquent détournement de ces mots, en comprendre le mécanisme et les objectifs et aider les collègues à (se ?) poser les « bonnes » questions…
En ouverture du séminaire, Stéphanie TRALONGO, a rappelé, selon une approche sociologique, le processus à l’œuvre dans le cadre de l’innovation pédagogique depuis Bologne. Elle a ainsi montré que la transformation pédagogique est un des leviers pour transformer l’université du XXIème siècle, d’où les injonctions très fortes à l'« Innovation pédagogique », derrière lesquelles se cache une volonté de transformer les collègues en « experts de pédagogie universitaire » et en « facilitateurs des apprentissages » au détriment de leur rôle de « producteurs et transmetteurs de savoirs », avec comme toile de fond le numérique et la professionnalisation. Un des éléments de cette injonction étant le regard dépréciatif porté sur la situation présente afin de pousser au changement.
Claudine KAHANE, en collaboration avec Bérangère PHILIPPON et Pierre CRÉPATTE, a ensuite présenté un exemple concret de mise en œuvre de « Pédagogie inversée » en L1 STAPS à l'université de Grenoble2). Elle a souligné combien, derrière ce terme d’ailleurs assez « fourre-tout », la forte réduction des enseignements « présentiels » peut modifier significativement les conditions de travail des étudiant.e.s et la nature des services d'enseignement. Les effets sur la qualité de la formation des étudiant.e.s restent d'ailleurs à analyser et ce d'autant plus que la mise en œuvre en a été assez précipitée sous la pression des effectifs étudiants en croissance et peu accompagnée.
Sur « Le rôle du numérique dans les pratiques pédagogiques et de recherche : impact, attentes et évolutions3 », Éric BRUILLARD a insisté sur le fait que chaque discipline étant spécifique, la pédagogie ne peut pas se penser de façon uniforme et déconnectée ; d’où la nécessité de renforcer le lien entre celles et ceux qui produisent des ressources numériques et les autres qui produisent des savoirs et les enseignent.
Les réticences des collègues face au concept d’insertion professionnelle seraient plus liées à la difficulté de sa réalisation qu’au concept lui-même, selon ROSE José, qui a présenté son livre « Préparation à l’insertion professionnelle, un défi ?4 » Pour lui, la question de l’insertion professionnelle est légitime car la formation doit préparer l’étudiant.e. à être un.e professionnel.le autonome et un.e citoyen.ne émancipé.e. L’insertion professionnelle n’est pas une préoccupation radicalement nouvelle : au temps des premières universités (droit et médecine) l’articulation avec le métier et l’insertion professionnelle étaient des évidences. La rupture est plutôt de considérer qu’elle doit désormais concerner tou.te.s les étudiant.e .s, dans leur nombre et leur variété, le tout par une démarche universitaire, proche de la recherche dans ce domaine et au fait de l’évolution des techniques.
Guy BRUCY, dans une perspective historique, a ensuite abordé le sujet « Compétences, innovation pédagogique, insertion professionnelle : genèse et usages de ces notions » en comparant les expérimentations menées dans les lycées professionnels des années 70 sur les compétences, les capacités, les référentiels, … et ce qui se passe de nos jours dans le supérieur.
Thierry SPRIET s'est penché sur « Les transformations pédagogiques dans le supérieur, origines, impacts, conséquences et risques 5» et les conséquences en termes de statut, telle la modification du décret de 1984 pour introduire les heures d’enseignement à distance (d'ailleurs non définies !) dans les services ou en termes de reconnaissance dans les carrières.
Stéphane SIMONIAN et Jérôme ENEAU ont enfin démontré comment l'usage des outils numériques, sous prétexte de permettre au plus grand nombre d’accéder à l’enseignement, peut conduire à « industrialiser » l’enseignement, ie « rationaliser » sa pratique et augmenter sa « productivité » dans un souci de « rentabilité ». Selon les pratiques, l’enseignant.e peut être amené.e à tout faire dans la production d'outils d'enseignement à distance ou appartenir à une équipe qui se répartit les différentes tâches et être ainsi un maillon de la chaîne de production d’un produit qui sera mis en vente. À ce jour, ni les institutions universitaires, ni les agents ne sont en situation de réaliser une telle transition.
Ces interventions permettront de nourrir les débats lors du congrès d’orientation, dont un des thèmes est « Accéder et réussir en licence - Fonctions et finalités de la licence et du premier cycle ». Elles nous aideront à définir de nouveaux mandats et à poursuivre la réflexion dans le cadre du secteur formations supérieures.
1http://www.snesup.fr/rubrique/seminaire-separer-le-bon-grain-de-livraie-...