Rentrée 2020 : ne laissons pas l’ESR basculer dans le virtuel ! - Lettre Flash n° 18, 8 juillet 2020

Publié le : 08/07/2020

                       

 
Après une période compliquée de confinement qui nous a maintenu·es dans l’isolement et qui nous a épuisé·es, nous sommes aujourd’hui occupé·es – souvent encore à distance – par la construction des emplois du temps, la réservation des salles, les inscriptions des étudiant·es et la constitution des groupes, etc. Face à ce casse-tête, le choix des modalités d’enseignement se fait de façon plus ou moins coordonnée au niveau des équipes pédagogiques et prend parfois en otage les collègues en leur imposant des choix qu’ils ou elles n’ont pas souhaités sur le plan pédagogique. Alors que la circulaire ministérielle de rentrée rend plusieurs scénarios possibles, les outils et plateformes numériques sont pourtant mis en avant par certains établissements ou certaines équipes. S’y ajoutent également des appels à projet, lancés nationalement ou au sein des établissements, pour un enseignement complètement distanciel.
 
Cette situation, pose de nombreuses questions : Peut-on refuser la transformation d’une partie de l’enseignement assuré en présence des étudiant·es en enseignement numérique ? Peut-on accepter un emploi du temps (EDT) construit de manière hybride, avec des temps en “visio” ou à distance et d'autres en présentiel, qui met en difficulté étudiant·es et enseignant·es pour assurer cette double modalité. Comment par exemple être à 8h en visio, donc chez soi majoritairement, et à 10h physiquement présent·e ? Comment jongler avec des demi-journées organisées selon des modalités différentes ? Quelle construction des EDT pour faire face à un éventuel rebond de l’épidémie de Covid-19? Comment se comptent les services et donc les heures faites à distance alors qu’elles n’apparaissent pas dans les maquettes ? Les cours magistraux en amphis seront-ils possibles en respectant les mesures sanitaires qui seront en vigueur à la rentrée ? Etc.
 
Réponses et points de vigilance 
 
Liberté pédagogique
 
L'article L952-2 du Code de l'éducation stipule que les enseignant·es et les enseignant·es-chercheur·es jouissent d'une pleine indépendance dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement. L'enseignant·e est seul expert·e du contenu, de la pédagogie, des supports et de la délivrance de son cours. Rien ne peut lui être imposé en terme de d’outils ou de plateformes pédagogiques, dans le respect des maquettes et des modalités de contrôle des connaissances votées en CFVU. Chacun·e d’entre nous peut donc choisir d'utiliser ou de ne pas utiliser les outils mis à sa disposition par l'établissement. De la même manière que dans le cadre d'un enseignement en présence on ne peut pas nous contraindre, par exemple, à utiliser un tableau, un projecteur, ou des polycopiés, on ne peut pas non plus nous obliger à utiliser tel ou tel outil numérique (visioconférence, moodle, etc.) si une partie de notre service se déroule à distance.
 
Droits statutaires
 
En ce qui concerne les enseignant·es-chercheur·es, leur décret statutaire prévoit explicitement que le service d'enseignement est une combinaison de formation initiale, continue ou à distance. Le service d'enseignement peut donc être constitué, pour tout ou en partie, d'enseignement à distance. Les enseignant·es du second degré affecté·es dans l’enseignement supérieur sont pour leur part simplement tenu·es d’accomplir “un service d’enseignement en présence des étudiant·es”. Dans les deux cas, l’enseignement hybride ne relève pas des obligations de service d’enseignement.
 
Attribution et comptabilisation des services
 
Les enseignements assurés via des outils numériques en remplacement des enseignements en présence doivent être décomptés de la même manière que ces derniers. Les collègues seront particulièrement vigilant·es sur les modalités réglementaires d'attribution du service d'enseignement :
Le président ou le directeur de l'établissement arrête les décisions individuelles d'attribution de services des enseignants-chercheurs dans l'intérêt du service, après avis motivé, du directeur de l'unité de recherche de rattachement et du directeur de la composante formulé après consultation du conseil de la composante, réuni en formation restreinte aux enseignants. Ces décisions prennent en considération l'ensemble des activités des enseignants-chercheurs” (article 7 du décret statutaire précité). Lorsqu'elle arrête le service d'un·e enseignant·e-chercheur·e, la présidence ne peut pas aller à l'encontre des avis émanant de la composante et de la direction de laboratoire, sauf si ces derniers sont illégaux ou ne respectent pas les principes généraux de répartition des services définis par le conseil d'administration.
 
Droits d’auteurs et de diffusion
Enseigner à distance n’implique pas de passer par la visioconférence. Aux injonctions à se filmer ou être filmé, l’enseignant peut opposer son "droit à l'image" qui, découlant de l'article 9 du Code civil et d’une jurisprudence abondante, impose à l'employeur de recueillir l'accord écrit du salarié. Un refus de celui-ci est d'autant plus légitime que la diffusion de cours en visioconférence auprès des étudiant·es n'offre évidemment aucune protection contre une captation illégale par ces mêmes étudiant·es, voire par les officines privées auxquelles les établissements pourraient avoir recours.
Concernant les supports écrits, les cours doivent être considérés comme des « œuvres de l’esprit » au sens de l’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle, ce qui confère à leurs auteurs et autrices des droits de propriété intellectuelle :
-droit de divulgation permettant de décider quand et comment son œuvre sera portée à la connaissance du public ;
-droit au respect de l’œuvre par lequel toute modification ou toute réutilisation qui porterait atteinte à son esprit peut être refusée ;
-droit à la paternité pour exiger que son nom et sa qualité d’auteur/trice accompagnent toute reproduction et toute représentation de l’œuvre.
 
La question du télétravail
 
Aucune disposition ne permet d’imposer du télétravail, dans sa définition réglementaire, (en réalité inapplicable aux enseignant·es du fait de leur conditions particulières d’exercice) comme dans le sens large de tâches à assurer à distance à l’aide de dispositifs de communication. Par ailleurs, si des activités d'enseignement à distance se déroulent depuis le domicile de l'enseignant·e, le matériel utilisé ainsi que les frais annexes doivent être pris en charge par l'établissement.
 
Au-delà de ces aspects réglementaires, les effets sur la santé des personnels ne doivent pas être négligés. Le SNESUP-FSU demande au MESRI que soit réalisé rapidement un bilan des effets du travail à distance sur les conditions de travail. Le confinement a mis en évidence l’extrême fatigue nerveuse occasionnée par des séquences de visio-conférences (successives et en grand nombre) ainsi que la difficulté d’exercer notre métier, lequel se caractérise avant tout par des échanges et relations en présentiel avec les étudiant·es.
Pour toutes ces raisons, le SNESUP-FSU rappelle que le mode “normal” en formation initiale est l’enseignement en présentiel et qu’aucune injonction au “distanciel” ne peut se transformer en obligation pour les enseignant·es. L’université est et doit demeurer un lieu de vie sociale, un lieu d’échange et de co-éducation qui est au fondement de sa mission de construction et de transmission des connaissances. Généraliser le recours à la visio-conférence et à la dématérialisation transformerait lourdement le sens de notre métier et reviendrait à l’amputer de tous ces aspects essentiels qui sont au fondement de notre mission d'intérêt général, d’enseignement et de recherche.