Alors que les équipes pédagogiques, particulièrement éprouvées par la période de confinement et les injonctions relatives à la “continuité pédagogique”, sont encore en pleine période d’examens, de préparation des concours et d’achèvement de certains enseignements, elles sont sommées d’organiser la rentrée 2020 dans le flou le plus complet. La circulaire ministérielle diffusée le 3 juin contredit les informations de celle diffusée le 2 juin et demeure d’une grande opacité. Le ministère se défausse une nouvelle fois sur les établissements, leur laissant le soin d’assumer les responsabilités qui sont les siennes.
Nous pouvons en effet lire dans cette circulaire “même si la prochaine rentrée sera vraisemblablement encore contrainte par de strictes recommandations sanitaires, une reprise en présentiel des activités de formation initiale est envisagée à partir du mois de septembre”; mais également que “l’incertitude relative à la situation sanitaire qui prévaudra durant le premier semestre de l'année 2020-2021 conduit toutefois à en projeter l'organisation dans le respect des consignes sanitaires actuelles. Pour cette raison, les établissements doivent prévoir des enseignements en distanciel et/ou en présentiel dans une mesure et selon des modalités qu'il leur appartiendra de déterminer et qui leur permettront d'anticiper une éventuelle dégradation des conditions sanitaires”.
Face à ces termes qui laissent libre cours à toute interprétation, des chiffres alarmants et des injonctions contradictoires nous remontent des établissements concernant l’organisation de la rentrée. Alors qu’à Caen, Rennes 1 ou encore Besançon on évoque 20 % seulement d’enseignement en vis-à-vis sur site contre 80 % d’enseignements organisés à distance, qu’à l’université de Lorraine on évoque 50 % de cours en présence jusqu’à la fin du 1er semestre, à l’université Côte d’Azur, le président annonce une reprise quasi-normale des enseignements habituels.
Alors que l’état d’urgence sanitaire devrait prendre fin le 10 juillet, les injonctions dépassent largement ce qui est nécessaire du point de vue de l’évolution de l’épidémie. La vie sociale reprend un peu partout sur le territoire en respectant les gestes barrières et l’université reste désespérément fermée…
La ministre qui rêve de voir advenir une véritable “révolution pédagogique” et de faire fructifier ce qu’elle présente comme les acquis du confinement en matière numérique trouve ici un terrain inespéré d’expérimentation à grande échelle. Un appel à projet ANR doté de un à cinq millions d’euros par projet est même lancé pour officiellement pérenniser cette situation. Dès lors, pourquoi déconfiner les universités ? D’autant plus qu’y gronde également la colère contre un projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche dont nous avons dénoncé tous les dangers et dont le projet a été dévoilé par la presse dimanche dernier. Avec un passage programmé devant le conseil des ministres le 8 juillet, sans doute vaut-il mieux éviter les regroupements, les manifestations étant déjà interdites… et faciliter une rentrée sans heurts en interdisant l’accès aux campus.
Le SNESUP-FSU appelle les collègues à ne pas répondre aux injonctions à généraliser les enseignements à distance alors qu’aucun bilan sérieux et systématique n’a été tiré de la période de confinement et que de nombreux problèmes sont apparus à cette occasion :
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pour le étudiant·es : inégalité de traitement, dégradation des conditions d’enseignement, limitation des interactions, appauvrissement de l’apprentissage collectif, isolement, etc ;
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pour les personnels : surcharge de travail, décompte et paiement des services faits à distance, empiétement sur le temps de recherche, etc.
Le SNESUP-FSU appelle à considérer le “normal” comme possible. Il est indispensable de concevoir les emplois du temps sur la base des maquettes habituelles d’enseignement. L’hybridation évoquée par le ministère ne doit rester qu’un scénario en mode dégradé. L’état d’urgence sanitaire ne doit pas imposer aux collègues des pratiques pédagogiques à distance, à court comme à long terme. Le danger de l’hybridation est particulièrement fort pour les étudiant·es en première année de licence davantage soumis au risque de décrochage et de mal-être. Le développement de l’enseignement à distance conduirait à freiner la vie sociale des étudiant·es qui contribue aussi à leur formation et leur émancipation. La vocation des universités est d’accueillir les étudiant·s pour des enseignements en vis-à-vis qui permettent la confrontation et la construction des connaissances. Elles sont des lieux de travail qui nécessitent des interactions fortes, aussi bien pour l’organisation des formations que pour la vie des laboratoires. L’abus du “distanciel” nuit gravement à notre métier et à notre université.