Réforme des études médicales :
une usine à gaz, sans moyens et maintenant les sélections
Par Michelle Lauton, Jacques Haiech, Marie-Bénédicte Romond et Vincent Peyrot
Le gouvernement a bâti la réforme en avançant les principes suivants :
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Supprimer le gâchis intellectuel de la PACES, i.e. un taux de réussite de moins de 30% pour une population estudiantine, à 95% en capacité de poursuivre leurs études dans un système sans numerus clausus.
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Diversifier l’accès aux études médicales pour une meilleure représentation sociale de la société française et une lutte efficace contre les déserts médicaux, supposant que la population estudiantine pourrait préférer s’installer près de son territoire d’origine.
Le gouvernement a accouché d’une usine à gaz que les universités et de facto, les enseignant.es/chercheur.es doivent mettre en place avant décembre pour la présenter sur la plateforme Parcoursup. Il y aura une phase de transition d’une année.
Quelle est cette usine à gaz ?
Voyons le mode d’intégration en 2e année des formations de santé :
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La PACES est remplacée par une première année de Licence avec Majeur santé), caractérisée par une sélection aussi drastique que précédemment, mais avec une sémantique nouvelle, le numerus clausus devenant « Numerus apertus », et, en cas de non sélection, une interdiction de se représenter dans cette voie pour accéder à la deuxième année des formations de santé. Cette première année de licence devrait ouvrir en 2020 avec des capacités similaires par rapport à l’année 2019. Cette formation est la voie d’entrée de 70-80% des étudiant.es de seconde année des formations médicales et paramédicales. Les années suivantes l’arrêté fixe des pourcentages maximaux pour les diverses voies d’entrée, limitant le nombre d’étudiants entrant par la voie santé. Ce sera aux universités de mettre en œuvre.
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La voie alternative, représentant 20 à 30% des étudiant.es de seconde année des formations médicales/paramédicales et ouverte aux étudiant.es des licences avec une mineure santé (la ou les UEs de mineure santé doivent correspondre au moins à 10 ECTS) ou aux auxiliaires de santé diplômés (ex : infirmières) justifiant d’une formation de 3 ans minimum. Si le principe paraît simple, comme le dit l’adage « le diable se cache dans les détails »…. En particulier, comment définir ou valider un corpus de savoirs communs entre les étudiant.es d’une même formation ? Le gouvernement s’est penché sur cette question et propose des solutions génériques, laissant aux universités le plaisir de l’organisation…
Proposition du gouvernement :
Voie 1 (équivalent PACES): Pour les mêmes capacités d’accueil des universités et un numerus apertus équivalent au numerus clausus, un taux de succès d’au plus 21 % en 2021 est espéré.
Alors si le taux de réussite est du même ordre mais tronqué de 20 à 30% des places, quel changement ? … La teneur des enseignements ! Et la possibilité pour tous les étudiants ayant validé leurs crédits d’accéder en deuxième année d’une licence à déterminer (autour de 90 à 95 % des étudiants acceptés dans ce parcours de L1). Mais le temps est compté pour la rentrée de 2020. Nous prédisons que le programme du premier semestre de cette licence avec Majeure Santé sera identique au programme actuel de la PACES. Par contre, le deuxième semestre comprendra des UEs propres à chaque formation santé. Un.e étudiant.e doit pouvoir se présenter à au moins deux formations santé. Ainsi l’étudiant.e devra bénéficier d’une formation comprenant un module de préparation au concours des formations santé, un module de langue et 10 crédits pour pouvoir accéder à la deuxième année d’une autre licence de l’université ou d’une autre université. Parmi ces étudiant.es, ceux et celles désirant intégrer les formations santé auront une deuxième chance, après 2 semestres validés dans une autre licence proposant une UE de 10 crédits en santé.
Pour résumer, considérons une université dont la PACES accueillait 1000 étudiant.es (primant.es et redoublant.es) et en sélectionnait 300 pour ses formations en santé. Cette université accueillera en 2020 à peu près le même nombre (doublant.es de l’ancienne PACES et néo bacheliers). Elle va sélectionner 210 étudiant.es pour les formations santé (soit 70% du numerus apertus). Sur les 790 non retenu.es, eu égard au niveau moyen des résultats, on peut estimer la poursuite en deuxième année d’une licence de l’université de 700 d’entre eux et elles. Les étudiant.es n’ayant pas validé leur année (90 dans notre exemple) se réorienteraient en L1 d’une autre licence.
Cela implique :
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L’intégration de 700 étudiants dans diverses L2 alors que dans l’ancien système, ils se réorientaient entre autre en L1 dans certaines universités alors que d’autres avaient prévu des intégrations en L2 compatibles avec les études antérieures. Plusieurs L2 vont se retrouver avec des populations hétérogènes (dédoublement de TD, remise à niveau…).
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La mise en place d’UEs passerelles entre la L1 santé et les autres licences accueillant les étudiant.es.
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Voie 2 : les universités doivent proposer dès la rentrée 2020 des voies alternatives à l’entrée en deuxième année des formations santé.
En effet, dès la rentrée 2021 , il sera nécessaire qu’au moins 30% des étudiants entrant en deuxième année des formations de santé (médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique) viennent d’une L2 ou L3 ayant intégré une UE de 10 crédits d’enseignements en santé. A la rentrée 2022, il est envisagé qu’au moins 50 % des étudiant.es de deuxième année des formations santé viendront des licences « mineures santé ». Cela implique :
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Une modification des cursus de L2 et L3 des licences qui voudront s’impliquer dans l’accès aux filières santé
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Une gestion des flux entrant et sortant des étudiants venant de L1 santé et des étudiants intégrant les filières santé.
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Il est presque impossible de faire une modélisation réaliste des flux permettant d’anticiper les besoins. On peut toutefois faire les prédictions suivantes :
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A cours terme, les filières les plus impactés seront biologie, psychologie et STAPS.
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Les flux entrants en L2 pourraient atteindre 50 % des effectifs actuels de ces cursus en particulier pour STAPS.
Sans moyens importants, sans créations de postes, cette réforme ne pourra pas être mise en place ou conduirait à une détérioration importante de l’offre de formation des licences impliquées dans cette réforme. Or, le gouvernement ne provisionne que 16 millions pour l’ensemble du processus, dont 6 millions rapidement mobilisables pour la seule prévision de doublement des effectifs pendant la période de transition. Les dernières estimations de la CPU présentées au CNESER chiffrent le besoin en financement à 50 millions et rien ne permet d’assurer que les demandes seront entendues.
Par ailleurs, cela va aussi nécessiter de profondes restructurations des cursus des formations santé pour intégrer les populations estudiantines venant d’autres licences. La prééminence des universités dans le processus pourrait également avoir des conséquences en terme d’uniformité des compétences sur l’ensemble du territoire français, sauf à ce que les référentiels des professions de santé ne soient actualisés.
Déjà des collègues (STAPS notamment) refusent de participer à la mise en place de cette nouvelle formation des personnels médicaux et paramédicaux. Le SNESUP-FSU s’associe à leur exigence de moyens nouveaux.
Michelle Lauton, Jacques Haiech, Marie-Bénédicte Romond, Vincent Peyrot