REFORME DE LA FORMATION DES ENSEIGANTS :
LE POINT DE VUE DE PROFESSIONNELS DE LA FORMATION
La formation des enseignants est un des éléments importants de la loi sur « l’école de la confiance », que le ministre Jean-Michel Blanquer a fait voter par l’Assemblée Nationale et dont il a récemment vanté les mérites dans une interview donnée au journal Le Monde (« L’école doit être la matrice fondamentale d’une société de la confiance », 11 février 2019) Cette loi, selon ses propos, devrait constituer la « matrice d’une société de la confiance » et serait fondée notamment sur la « bienveillance » et sur « l’évaluation ». À l’examen, cette vision paraît pourtant très éloignée du contenu réel des textes votés, qui sont porteurs de régressions et de dangers pour l’école publique. Concernant la formation des enseignants, l’Assemblée Nationale a adopté en première lecture des articles dont les conséquences risquent d’être catastrophiques pour les futurs professeurs et pour les élèves, en particulier ceux des classes populaires qui ont besoin plus que tous les autres, d’enseignants bien formés, capables d’engager les élèves dans des apprentissages bien construits.
La loi institue d’abord un dispositif dit de « pré-professionalisation » : d’après l'article 14, « des assistants d'éducation pourront se voir confier des charges d’éducation, de pédagogie et d'enseignement ». Présentée par le Ministre comme une « formidable mesure sociale » en faveur des étudiants, cette disposition est en réalité dangereuse pour les élèves. Elle massifie et banalise le recours inacceptable à des étudiants non qualifiés pour assurer des missions d’enseignement pour lesquelles ils n’auront ni la maîtrise des connaissances ni la formation pédagogique nécessaires. Dès la seconde année de licence (1 an après le baccalauréat), ces étudiants seront placés pour trois ans en situation d'alternance à raison de 8 heures par semaine avec des responsabilités pédagogiques croissantes. Ainsi à l’école primaire, un étudiant tout juste sorti d’une licence de lettres, par exemple, fera des remplacements au cours desquels il enseignera les mathématiques, les sciences ou l’EPS... Le rapport Ronzeau/Saint Girons récemment paru indique pourtant que « la plupart des candidats [au concours de professeur des écoles] ont une connaissance lointaine de certaines disciplines »… Le ministre, qui prétend promouvoir l'évaluation du système scolaire, envisage donc de confier des classes à des étudiants dont il ne prévoit nullement d'évaluer la capacité à enseigner. Il n'envisage pas davantage d'évaluer les apprentissages des élèves qui leur seront confiés. Quelle « confiance » pourra-t-on continuer à accorder à cette école qui fait si peu de cas des élèves ?
La loi institue ensuite les Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation (INSPÉ), à la place des Écoles Supérieures du Professorat et de l’Education (ÉSPÉ). Actuellement, dans les ÉSPÉ, les étudiants n’ont la responsabilité d’une classe qu’après la réussite au concours de recrutement de professeur qui s’effectue au bout d’un an de master (bac + 4). Or, dans les futurs INSPÉ, les étudiants seront employés comme enseignants contractuels et serviront de main d’œuvre pendant les deux années précédant le concours (qui sera reculé à bac +5) sans que leurs compétences n’aient été de fait validées. Alors que le Ministère déclare vouloir « réduire la charge de travail des étudiants qui se préparent au métier de professeurs», ce dispositif les mettra au contraire face à des exigences inconciliables: simultanément, ils devront réussir toutes les évaluations inhérentes au diplôme de master, incluant l’élaboration d’un mémoire de recherche, enseigner devant une classe - avec ce que cela implique de préparation, de corrections… - et préparer un concours exigeant. Le ministère généralise ainsi une expérimentation pour l'instant limitée à quelques dizaines d’étudiants préparant le concours dans un dispositif en alternance. Celui-ci n’a pourtant jamais été évalué en particulier quant aux effets sur les élèves qui en sont les « cobayes ». Or on observe que, dès le milieu de l’année beaucoup de ces étudiants délaissent la préparation de leur enseignement pour se consacrer au concours, et ce au détriment des élèves qui leur sont confiés. Dans les futurs INSPE, cette situation sera encore aggravée.
Venons en maintenant à la formation post-concours. Environ la moitié des lauréats au concours sont issus actuellement d’une formation sans rapport avec le métier d’enseignant (master de droit des assurances par exemple). Ils bénéficient comme les autres d’une année de formation professionnelle à mi-temps qui, certes, mériteraient d’être renforcée sensiblement, mais qui au moins existe encore. Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Les futurs lauréats seront-ils affectés à plein temps dans des classes, ou bien bénéficieront-ils d’une formation professionnelle réellement conséquente hors du temps devant les élèves ?
En conclusion, quelle « confiance » accorder à une réforme qui dit si clairement que le métier d’enseignant s’improvise et qui envoie les étudiants qui s’y destinent devant une classe sans qu’ils aient les savoirs indispensables pour mettre oeuvre de vrais apprentissages ? De quelle « bienveillance » peut se prévaloir une institution qui place les étudiants en situation de difficulté, voire de souffrance, et sacrifie les apprentissages sur une partie significative du temps scolaire de nos enfants ? Cette réforme aggravera l’échec scolaire et creusera davantage les inégalités territoriales et sociales. Au lieu d’économiser 25000 postes de fonctionnaires, l’intérêt général commanderait de nous doter d’une véritable formation professionnelle, d’une durée minimale de deux ans : en recrutant par concours plus tôt (par exemple à bac +3) et en rémunérant comme fonctionnaires stagiaires tous les étudiants-lauréats. Cette formation aboutissant à un master inclurait chaque année des périodes de stage ne dépassant pas un tiers du service d’un enseignant titulaire. Une déperdition de stagiaires ne serait pas à craindre, puisque que le débouché professionnel leur serait assuré et le recrutement sur une base disciplinaire ne nuirait pas à la qualité des professionnels issus de cette formation. L’éducation a un coût : le ministre estime lui-même qu' à l'école primaire, « il faudrait consacrer cent heures à la formation de chaque futur professeur sur l'enseignement de la lecture ». Enseigner est donc un métier qui s’apprend : par une véritable formation en alternance à partir de bases solides validées par la réussite à un concours de recrutement !
Texte rédigé le 13 mars par un collectif de formateurs et de formatrices de l'ESPE de Créteil.
[1] « L’école doit être la matrice fondamentale d’une société de la confiance », Le Monde du 11 février 2019