Édouard Philippe a annoncé, lundi 19 novembre, que le gouvernement allait augmenter les frais de scolarité des étudiants étrangers extracommunautaires : 2 770 euros en licence et 3 770 euros en master et doctorat. C’est le projet « Choose France » que le site Internet Campus France annonce déjà en toute illégalité!
Pour les plus précaires(1), la hausse des droits d’inscription conduit à l’abandon de tout projet de réussite sociale par les études supérieures. D’une manière générale, pour les classes moyennes, elle conduit l’accroissement de la dette étudiante qui pèsera fortement sur les premières années de salariat.
Que ceux qui considèrent la marchandisation des études comme acceptable quand elle touche les étrangers ne s’y trompent pas, elle atteindra bientôt les nationaux. Valider la hausse des frais d’inscription pour les uns (étrangers), n’est-ce pas accepter leur légitimité à terme pour les autres (nationaux), même si le gouvernement se défend pour l’instant de vouloir appliquer cette préconisation de la Cour des comptes ? Et le système de bourses promis ne fera qu’acter le fait qu’en France les études seront devenues payantes. Si nous acceptons la hausse des frais pour les étrangers, nous risquons d’être dépourvus d’arguments universels pertinents pour refuser cette hausse pour les nationaux et européens.
Or, c’est évidemment ce qui se profile.
L’annonce du Premier ministre cherche à faire sauter une première digue face à la marchandisation de l’ESR. Cette première digue ne doit pas sauter ! Sinon, prochainement, la dette personnelle des familles deviendra la principale méthode de financement des études supérieures au lieu d’un investissement de la collectivité par l’impôt.
L’universalisme républicain à l’épreuve du néocolonialisme
Dans l’enseignement supérieur français, 12,4 % des étudiants sont des étrangers et parmi ces 329 900 étudiants, 46 % sont originaires du continent africain. Cette mixité est une chance pour nous tous. La hausse des frais d’inscription cible donc en premier les étudiants africains. En 2030, il y aura 80 millions d’étudiants en plus dans le monde, dont 20 millions sur le seul continent africain. Si une université moyenne accueille environ 30 000 étudiants, c’est presque 670 universités qu’il faudra créer sur le continent d’ici à 2030 ! Et c’est variable selon les pays. Dans certains pays, la croissance étudiante devrait même atteindre des sommets : en Tanzanie, au Niger, leur nombre pourrait être multiplié par 10 et il devrait tripler au Sénégal, passant de 150 000 aujourd’hui à 750 000 en 2030, soit 5 fois plus !
Là où le SNESUP-FSU voit une occasion de développer les coopérations entre formations et laboratoires de recherche, de permettre la libre circulation des idées, des hommes et
femmes, étudiants et chercheurs, et de participer, d’égal à égal, au développement social et économique de tout un continent, le gouvernement y voit l’opportunité d’un marché à
saisir (construction d’universités par exemple) et l’occasion d’étendre sa sphère d’influence politique et économique. Le 21 novembre, Franck Paris, conseiller Afrique d’Emmanuel Macron, déclarait lors des Rencontres de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (RUE2018) organisées par l’AEF, que le marché africain
de l’ESR « n’est pas si simple à pénétrer mais que l’émergence d’une classe moyenne africaine, prête à consacrer un investissement de 1 500 à 2 000 euros dans certains cursus (Sénégal et CIV), était une opportunité et que la concurrence est acharnée. […] La France est certes attendue par les présidents africains mais la Chine attire elle aussi des étudiants africains. Le pré carré français n’est pas éternel. » Quant au « risque politique africain », Franck Paris a cherché à « dédramatiser la situation ». Le lien avec l’opération Barkhane (« la plus longue guerre française », Le Canard enchaîné du 21 novembre) est cyniquement évident. Tout comme l’annonce du président Emmanuel Macron de « restituer sans tarder 26 oeuvres réclamées par les autorités du Bénin, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin, après les sanglants combats de 1892 », suivant ainsi les préconisations du rapport de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr sur la restitution du patrimoine culturel africain. Une hausse des frais d’inscription contre le retour d’oeuvres d’art spoliées ?
Le SNESUP-FSU se prononce fermement contre la hausse discriminatoire des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur, ciblant les étrangers extra-communautaires. Il souhaite que l’Université agisse conformément à ses valeurs humanistes en refusant d’appliquer cette mesure, ainsi qu’en la condamnant publiquement.
Chantelot Pierre, Secrétaire National
(1): Par exemple, au Sénégal, le revenu mensuel moyen par habitant s’élève à 79 dollars, soit 950 dollars par habitant et par an. Au Maroc, il s’élève à 240 dollars, soit 2 880 dollars par habitant et par an. Source : Banque mondiale, 2016.