Le projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiant.e.s rédigé par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, modifie l’article L.612-3 du code de l'éducation définissant les modalités d’accès en 1er cycle universitaire. Il supprime la libre inscription des bachelier.ère.s dans l’établissement de leur choix et l’interdiction de sélectionner. Il révèle les intentions du gouvernement quant aux modalités de la mise en place de la sélection et la vacuité des mesures pour la réussite du plus grand nombre. Il s'agit de généraliser les capacités d’accueil pour les formations de 1er cycle et par là même la possibilité de sélectionner les bachelier.ère.s ou de leur subordonner l’accès à une formation à l’inscription dans un parcours spécifique ou dans un dispositif d’accompagnement pédagogique.
Pour les formations d’ores et déjà sélectives, les sections de technicien.ne.s supérieur.e.s (STS), les instituts universitaires de technologie (IUT), les grands établissements, les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) ou « les établissements où l’admission est subordonnée à un concours national ou à un concours de recrutement de la fonction publique », rien ne change.
Pour les licences en tension, c’est-à-dire pour toutes celles pour lesquelles le nombre de vœux dépassera les capacités d’accueil, elles pourront sélectionner les bachelier.ère.s qu’elles souhaiteront inscrire. Aucune restriction disciplinaire n’est évoquée, aucun dispositif de croissance de ces capacités n’est envisagé et, compte tenu de l’augmentation du nombre d’étudiant.e.s attendu.e.s au cours des dix prochaines années, ce projet de loi ouvre la boîte de Pandore de la sélection potentiellement généralisable à toutes les licences ! C’en serait fini de la possibilité de réorientation, de rebond ou d’accès à l’université pour les lycéen.ne.s qui auraient été orienté.e.s précocement dans un bac non conforme à leur ambition ou qui n’auraient pas brillé au cours de leurs études secondaires ! Le pacte social d’accès de droit pour tout.e bachelier.ère à la licence de son choix serait remplacé par une sélection et une orientation contrainte, qui reproduirait les inégalités socioculturelles de l’enseignement secondaire.
Enfin, pour toutes les formations, après « vérification de la cohérence entre d’une part, le projet de formation du candidat, les acquis de sa formation initiale ou ses compétences et, d’autre part, les caractéristiques de la formation », l’inscription d’un.e bachelier.ère pourrait être « subordonnée à l’acceptation, par le candidat, du bénéfice des dispositifs d'accompagnement pédagogique ou du parcours de formation personnalisé proposés par l’établissement pour favoriser sa réussite. » Ces dispositifs étaient déjà prévus depuis 2013 et de nombreux autres ont été proposés par les établissements bien avant cette date pour mieux accompagner la réussite des bachelier.ère.s dans leur diversité. Mais, faute de financements pérennes, ils ont pour la plupart été abandonnés. Le projet de loi de finances 2018, ne prévoit que 100 M€ par an pour accueillir 40 000 nouveaux.elles étudiant.e.s chaque année, ouvrir de nouvelles places et mettre en œuvre ces dispositifs pédagogiques.
Seuls 17 établissements lauréats des appels à projet PIA3 pourront compter sur les 150 M€ des « nouveaux cursus universitaires (NCU) » au cours des 10 prochaines années (soit 15 M€/an). Comment les licences pourront-elles toutes mettre en place ces dispositifs « personnalisés » dès la rentrée 2018 et les maintenir dans ces conditions ? Ces dispositifs pourront-ils être systématiquement ouverts quel que soit le nombre d’étudiant.e.s concerné.e.s ? Ces dispositifs se limiteront-ils à des MOOC (avec le taux de succès que l’on connaît de ces outils) ? Quand ils ne seront pas ouverts, les étudiant.e.s pourront-ils/elles s’inscrire ou seront-ils/elles refusé.e.s ?
Comment le ministère compte-t-il faire assurer la quantité de travail supplémentaire considérable (que nous estimons à près de 1600 ETP soit 100 M€) que suppose l'examen des quatre millions de dossiers des bachelier.ère.s par des personnels des universités déjà en sous-effectif critique sur toutes les missions, et même en diminution en ce qui concerne les enseignant.e.s-chercheur.e.s ? Serait-il envisagé, comme le déclarait récemment le conseiller du président Macron, Thierry Coulhon, de faire « travailler plus les enseignant.e.s-chercheur.e.s pour mener à bien cette sélection » (AEF 570464) ? Aucun recrutement n’est budgété en 2018 pour cela, alors que la charge de travail des enseignant.e.s-chercheur.e.s n'a fait que s'alourdir durant ces dix dernières années en raison des financements de recherche sur appel à projets et des sous-dotations systématiques des établissements, et conduit actuellement un nombre inquiétant de collègues au burn-out ? S’agirait-il alors de modifier le calcul de leurs obligations statutaires, de les augmenter ou de les moduler comme le réclame la CPU ?
Cette réforme, nous le constatons avec ce projet de loi, n’est pas à la hauteur des enjeux de la démocratisation de l’enseignement supérieur.
Derrière l’affichage de la volonté du gouvernement d’améliorer la réussite des étudiant.e.s en licence, c’est un changement complet de la politique d’accès des bachelier.ère.s à l’enseignement supérieur qui est organisé. Alors que la méritocratie est avant tout la reconnaissance de la réussite aux examens, des diplômes et des qualifications, cette réforme, est une substitution de l’égalité d’accès par un semblant de méritocratie basée sur la sélection et le maintien des lycéen.ne.s des classes populaires majoritaires en baccalauréat technologique et professionnel dans les filières courtes (STS et IUT). De plus, comme cela a déjà été constaté dans les universités anglo-saxonnes, la sélection est la première étape avant celle de l’augmentation des frais d’inscription !