La crise sanitaire a crûment mis en lumière l’exigence que nous portons depuis des années de services publics de qualité, le besoin d'une recherche pensée sur le long terme et libérée du carcan des appels à projet, d'un véritable service public de recherche et de l’enseignement supérieur qui ne soient pas assujettis aux logiques du marché et aux stratégies des grandes entreprises. Rénover en profondeur le système de la recherche est un besoin impérieux. La recherche et l’enseignement ont besoin de moyens supplémentaires, de postes de personnels titulaires ainsi que de l’indispensable liberté sans laquelle ils ne peuvent s’épanouir et progresser. La recherche française est reconnue internationalement, non du fait de sa contribution au mode de production capitaliste, mais parce qu’elle a toujours été exemplaire dans sa contribution au bien commun et au progrès des connaissances. Par ses décisions de financer "quoiqu'il en coûte" le secteur privé, le gouvernement semble oublier - au moins provisoirement - le dogme de la rigueur budgétaire qu'il opposait à toute demande de refinancement des services publics. Il est dans ce contexte, particulièrement inacceptable qu'aucune réponse ne soit apportée aux besoins budgétaires urgents de ces derniers, que ce soit dans le domaine de la santé ou de l'éducation et particulièrement dans l'enseignement supérieur et de la recherche.
Depuis décembre 2019, la mobilisation contre la réforme des retraites s'est accompagnée, dans les universités, d'une forte mobilisation contre le projet de loi de programmation pluri-annuelle de la recherche (LPPR). La crise sanitaire, qui implique la solidarité de tou·tes et l'engagement de chacun·e, ne peut nous faire oublier ni les besoins criants d'une Université mise à la diète depuis des années, ni les menaces contenues dans ce projet qui serait plus justement nommé « Loi de Privatisation et de Précarisation de la Recherche » et dont nous avons largement dénoncé le contenu dès la diffusion des rapports des groupes de travail qui annonçaient toutes les dérives du projet actuel. Mise en sommeil durant la période de confinement, la LPPR est réapparue la semaine dernière sous la forme d’un projet assorti d’un calendrier imposé au pas de charge puisqu’il s’agit désormais, après la consultation programmée de pas moins de 17 instances (dont le CNESER, le CTMESR et le CTU*) qui doivent donner un avis, d’arriver à une présentation du texte en Conseil des ministres le 8 juillet prochain. Relancer ce projet de loi alors que les universités ne sont toujours pas rouvertes est inacceptable.
La communication gouvernementale est principalement centrée sur l’effort budgétaire consenti. Or ce budget, annoncé comme historique, ne résiste pas à l’analyse. Ces projections n’engagent en effet que le gouvernement actuel ! L’augmentation budgétaire toute relative pour la recherche universitaire (inclue dans le programme 150) n'atteindrait 500 millions par an qu’en 2024, ne dépassant hypothétiquement le milliard d’euros annuel qu’en 2028. Les créations d’emploi annoncées sont insuffisantes (+20 200 emplois en dix ans) et pour les trois quarts d’entre elles ne concernent que des emplois contractuels. Les augmentations salariales ne sont envisagées que via des primes individualisées, à l’image de la prime COVID réservée à 5 % seulement des personnels. Seules les grilles des débuts de carrières seraient revalorisées, ce qui ne permet pas une reconnaissance du métier et s’oppose à la valorisation des collectifs de travail.
Relevons également que ces augmentations seraient très insuffisantes pour maintenir les niveaux actuels des pensions dans l’hypothèse où le gouvernement ne renoncerait pas à sa réforme des retraites, sachant que ces derniers jours, la presse se fait l'écho d'un retour de la réforme des retraites et que des déclarations de membres de la majorité LREM à l'Assemblée Nationale, de J.M. Blanquer sur la revalorisation des enseignant·es et l'article 13 du projet de loi LPPR nous font craindre de nouvelles attaques contre les retraites. Par contre, les CDI de mission et toutes les attaques et dérogations aux statuts, seraient effectives dès le vote de la loi.
La LPPR accentue et aggrave les décisions prises ces quinze dernières années, c’est-à-dire les politiques qui ont accentué la précarité des personnels, détérioré nos conditions de travail et organisé une sélection de plus en plus grande des étudiant·es. Maintien du sous-investissement du financement récurrent des laboratoires, surreprésentation des appels à projets via une Agence Nationale de la Recherche toute puissante, tenure track, CDI de mission scientifique, généralisation des primes, refus de considérer la complexité des disciplines, remise en cause de l’équilibre de nos missions, immixtion des entreprises dans la définition des politiques publiques de la recherche, autant de choix qui s’enchaînent pour dessiner l’ESR de demain aux antipodes des valeurs que nous défendons et au bénéfice – c’est le mot – de la concurrence et de la rentabilité à court terme. Le SNESUP-FSU se réjouit de la présence de la jeunesse dans les mobilisations, partout dans le monde, en attente d’une plus grande justice et contre les discriminations. Ces valeurs sont aussi les nôtres et nous entendons les défendre avec eux au sein de nos établissements.
Par ailleurs, les enjeux relatifs à la rentrée sont considérables. Comme nous l’avons rappelé dans notre dernière lettre-flash, cette rentrée s’inscrit dans la droite ligne des semaines passées. Tout en restant vigilant·es vis-à-vis de l’évolution de la situation sanitaire, nous ne céderons pas devant les injonctions pédagogiques toxiques en faveur de la généralisation de formes d’enseignement “dégradé” à distance, notamment celles qui mettraient en péril leur liberté pédagogique, les dépossèderaient du contenu de leur enseignement et mettraient en question leur droit à l’image.
Pour pouvoir être organisée sans restrictions, la rentrée 2020 nécessite des moyens supplémentaires et un investissement exceptionnel pour la jeunesse qu’il convient de financer dès maintenant. Elle doit se faire dans des universités ouvertes, à nouveau accessibles sans restrictions à tou·tes les étudiant·es et personnels.
Le SNESUP-FSU appelle d'ores et déjà tous les personnels et les étudiant·es à se réunir en assemblées générales, en présence ou à distance, à informer et à échanger sur le projet délétère de LPPR et sur les conditions de la rentrée 2020 pour construire les conditions d’une mobilisation massive afin d’obtenir de véritables moyens pour la recherche, la formation et l’accueil de tou·tes les étudiant·es.
Le SNESUP-FSU appelle à participer aux différentes initiatives organisées sur tout le territoire demain et le 18 juin au moment où le CNESER « virtuel-présentiel » est censé se tenir, en particulier au rassemblement prévu demain à 13h30 place de la Sorbonne à Paris, et/ou les 19 et 22 juin, jours de tenue du CTMESR et CTU.
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*Conseil National de l’Enseignement Supérieur Et de la Recherche ; Comité Technique Ministériel de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche ; Comité Technique des personnels enseignants titulaires et stagiaires de statut Universitaire.