Les coûts de la sélection - LETTRE FLASH 25

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Publié le : 20/11/2017

 

 

 

 

La sélection à l’entrée de la licence est au cœur du projet de loi relatif à l'orientation et à la réussite des étudiant.e.s actuellement en discussion. Nous avons pu, à diverses occasions, développer nos arguments[1] contre l’institution de cette sélection qui ne dit pas son nom et qui renforcera encore les inégalités sociales au lieu d’offrir à chaque titulaire du baccalauréat une possibilité de réussir dans la voie choisie.

 

De nombreux.ses collègues restent pourtant convaincu.e.s que la mise en place de cette sélection dès l’entrée de la licence permettrait de constituer des promotions plus homogènes, plus faciles à gérer et d’alléger ainsi potentiellement le travail d'enseignement. Si le travail pédagogique semble à première vue pouvoir s’alléger, la nouvelle procédure engendrera pourtant du temps de travail administratif supplémentaire, pour les enseignant.e.s et les BIATSS, dans l’examen des dossiers et l’accompagnement des étudiant.e.s qui auront à valider un « contrat pédagogique » sans que des moyens supplémentaires significatifs soient investis. Nous nous retrouverions ainsi face à un tour de passe-passe qui consisterait à troquer du temps pédagogique contre du temps administratif sans aucune assurance d’une meilleure efficacité pour les étudiant.e.s.

 

[1] http://snesup.fr/article/prerequis-selection-en-licence-des-fausses-evidences-aux-vrais-chiffres

 

Le passage du libre accès pour toutes et tous à la L1 à un « tri sélectif » s’annonce d’ores et déjà chronophage pour les collègues chargé.e.s de procéder à cette opération. L'expérience des formations actuellement sélectives ne fait que confirmer cette réalité. Sur la base des prévisions officielles[2], le SNESUP-FSU estime à plus de 630 000 le nombre de lycéen.ne.s qui seront en recherche d’une place dans l’enseignement supérieur à la rentrée 2018 (+40 000 par rapport à 2017, soit l’équivalent par exemple des effectifs d'étudiant.e.s de l’université Côte d'Azur en 2015-2016). Le projet de loi relatif à l'orientation et à la réussite des étudiant.e.s qui sera soumis prochainement au vote du parlement oblige que chaque vœu pour une mention de licence reçoive une des trois réponses suivantes :

 

  1. Oui sans besoin de justification

 

  1. Non avec motivation de la réponse

 

  1. Oui mais avec définition d’un contrat pédagogique pour une mise à niveau en fonction des attendus

 

Comme chaque bachelier.ère doit faire 10 vœux, il est inutile de procéder à de savants calculs pour constater l’accroissement exponentiel du travail qui sera à réaliser par les équipes éducatives chargées de l’étude des dossiers ! Sans entrer ici dans le détail, le SNESUP-FSU a évalué les moyens nécessaires à la seule procédure d’affectation des dossiers à plus 680 postes (Equivalent Temps Plein d’enseignants-chercheurs).

 

Et c’est sans compter le travail de mise en place de l’offre de formation pour les dossiers « oui mais », le travail de justification des dossiers refusés, du temps de négociation entre le rectorat et l’université. Si on évalue ce travail à 1,5 fois le coût de la procédure d’affectation des dossiers, c’est 110 M€ qu’il faut !

 

[2] SIES 2017 : https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2017/30/2/NF_voeux_APB_776302.pdf

 

L’investissement de 100 M€/an sur 5 ans annoncé par le gouvernement, signifie qu’aucun budget n’est programmé pour les heures de formations supplémentaires nécessaires et prévues dans le « contrat de formation ». Toute la remédiation se ferait donc à budget constant, mais avec une augmentation des effectifs et sans tenir compte des futures places promises qui seront ouvertes dans les filières sous tension. Ceci revient à diminuer le budget de l’université sur ses deux missions fondamentales (enseignement et recherche) sur les 5 ans à venir d’environ 500 millions d’euros.

 

Les conséquences négatives pour les personnels et les étudiant.e.s sont d’ores et déjà visibles. En effet, au-delà de l’augmentation de la charge de travail et de la souffrance au travail pour les personnels enseignants et administratifs déjà évoquée, d’autres conséquences apparaissent.

 

Certains établissements présentent l’augmentation des droits d’inscription comme la solution inéluctable et une diminution de l’offre de formation associée à la restriction des capacités d’accueil se profile. Sans accompagnement pédagogique, les bachelier.ère.s professionnel.le.s et technologiques se voient réserver un avenir tubulaire vers les STS et les IUT, voies décrétées uniquement professionnalisantes. En organisant dès le choix de la série du bac le flux des bachelier.ère.s vers les mentions de licence sélectionnant par les "attendus", le gouvernement ne fait que renforcer le déterminisme social, loin de la démocratisation annoncée et martelée comme argument de « vente » de la loi. Les formations privées ne manqueront pas de se développer pour créer, pour les titulaires du baccalauréat, des prépas pour répondre aux attendus, à l’instar de ce qui se passe pour la PACES.

 

Par ailleurs, l’ESR se régionalisant, cela entraînera, à terme, des formations subordonnées à l’activité économique locale avec des "attendus" et des "compétences" déclinés en ce sens. Comment ne pas comprendre que dans ce contexte, la concurrence s'exacerbe de plus belle entre L1 d’universités « prestigieuses » très demandées nationalement et L1 de petites universités de « proximité » (Plan Université 2000 de Jospin) ? Ces dernières se verront-elles condamnées à devenir des "collèges universitaires"? À terme, ce sont des déserts d’enseignement et de recherche (en plus des déserts médicaux et industriels) qui guettent l'ESR.

 

L’avenir vers une société plus juste, égalitaire et solidaire passe par l’émancipation et l’élévation du niveau de qualification et d’instruction de la jeunesse. Celui-ci requiert une formation ambitieuse de toutes et tous les étudiant.e.s à et par la recherche. Le SNESUP-FSU demande la libre inscription des bachelier.ère.s dans la mention de leur choix, dans l’établissement de leur académie, pour permettre la poursuite de la démocratisation de l’enseignement supérieur. Il défend le principe que chaque titulaire d'un bac ait sa place à l’université et les moyens nécessaires pour y réussir.

 

La réussite de chaque étudiant.e dépend tout à la fois de moyens suffisants -à la hauteur de ceux accordés aux actuelles formations sélectives-, du contenu des formations, des activités pédagogiques, de l’évaluation, de l'orientation et des dispositifs d'accompagnement ainsi que de la mise en place de parcours diversifiés pour la réussite du plus grand nombre. L’université ne peut plus être considérée comme le parent pauvre de l’ESR : le SNESUP-FSU[3]  exige l'alignement du financement par étudiant.e à l'université (10 850 € en 2013) sur celui des CPGE publiques (14 850 € en 2013). L’encadrement révèle une même inégalité.

 

Avec en toile de fond l’actuel contexte d’insuffisance budgétaire et de désengagement de l’État, ce projet de loi ne répond pas aux objectifs de démocratisation de l’enseignement supérieur et de réussite du plus grand nombre. Il contribue au contraire à accentuer les inégalités sociales. Nous ne pouvons accepter ce recul social.

 

 

Ne laissons pas cette régression s'opérer, et luttons avec les lycéen.ne.s et leurs parents et avec les étudiant.e.s contre ce projet néfaste et pour une véritable ambition du pays pour l'enseignement supérieur.